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Au Petit Palais, Bilal Hamdad fait dialoguer le Paris d’aujourd’hui avec Courbet et Monet

Il se voyait footballeur, il est devenu peintre. L’Algérien Bilal Hamdad signe aujourd’hui l’un des succès parisiens du moment en peinture, en accrochant ses grandes toiles du Paris contemporain — métro, terrasses, foules métissées — au cœur des collections permanentes du Petit Palais, parmi les Courbet et les Monet. Un dialogue entre les siècles, en accès libre, qui attire le public et rappelle que la peinture peut encore saisir la ville telle qu’elle est vécue.

Bilal Hamdad Nuit égarée 2023
 

Même pas peur des maîtres anciens

Même pas peur de la confrontation avec des maîtres anciens ! Et à raison. Les toiles du peintre algérien Bilal Hamdad, 38 ans, exhalent une puissance tranquille et sourde qui leur fait tenir la comparaison avec des tableaux signés Courbet, Carolus-Duran, Monet, Vallotton. Vingt-et-une de ses peintures en grand format sont accrochées dans les salles d’exposition permanente du Petit Palais, mêlées aux œuvres d’artistes de la fin du XIXe siècle. Il faut donc déambuler dans les salles du musée (accessibles gratuitement) pour tomber dessus.
Et voilà soudain que surgissent sur les cimaises des scènes de la vie parisienne d’aujourd’hui : des passagers attendant seuls sur des quais de stations, des vues de sorties de métro où une foule métissée se presse, des instantanés comme peint sur le vif de terrasses de cafés bondés où les clients portent des baskets, des casquettes oranges, des doudounes flashy ! Une cité vibrante où les individus semblent indifférents les uns aux autres.

Métro, terrasses, foules : le Paris réel entre au musée

“Je représente ce que je vois sans l’idéaliser”, nous explique-t-il, “et le métro, notamment, parce que c’est un lieu de croisement social. Je me promène dans la ville et je photographie avec un petit appareil ou mon téléphone, je prends des notes aussi. De retour dans mon atelier ensuite dans le 19e arrondissement, je pioche dans une banque d’images que je me suis constituée et je compose avec des fragments d’images que je retranscris dans de grandes compositions. Je peux passer plusieurs mois sur une toile, j’en peins trois ou quatre en même temps.”
Il n’y a pas de clash cependant entre les œuvres contemporaines de Bilal Hamdad et celles de ses prédécesseurs, mais tout un jeu d’échos, de reflets (il en parsème ses toiles), d’inspiration parfois évidente -Edward Hopper pour les personnages seuls au monde dans un univers urbain- à d’autres plus discrètes. Repérez la fine ligne d’un village apparaissant sur un mur du métro dans Angelus (2021), la même que celle de l’horizon du célèbre Angélus de Millet (1857-1859).
 
Bilal Hamdad lui-même définit sa peinture comme “naturaliste” (un courant du XIXe siècle dont les chefs de file sont précisément Millet et Courbet), “mais pas hyper réaliste”, ajoute-t-il, lui qui cultive les flous. “Les peintres modernes représentaient les bars et cafés de leur époque. Je fais de même, et je m’intéresse en particulier au rapport entre l’intérieur sombre et l’extérieur clair.” 
 
Pour cette exposition, il a travaillé en 2025 sur Paname, un tableau de sortie de métro où un flux très dense de passants avance. Une œuvre inspirée par deux autres accrochées dans la même salle du Petit Palais, un grand Courbet très sombre, Pompiers courant à un incendie (1851) et Les Halles de Léon Lhermitte, où une foule grouillante de marchands et de forts des Halles se bousculent sur la toile.
 
A l’instar de Léon Lhermitte qui s’est représenté dans sa toile, Hamdad a glissé son visage dans la sienne (sur la droite en arrière de la foule). Et les références artistiques abondent dans ses peintures, tel ce bouquet de fleurs et cette coupe d’oranges posé sur un bar dans Sérénité d’une ombre (2024) comme dans le célèbre tableau de Manet, Un bar aux folies bergères. Le modèle féminin posant à moitié nue tiré de L’atelier du peintre de Courbet, se retrouve en graffiti sur un mur de la station Barbès dans la toile Rive droite (2021). Des rideaux théâtraux tombent souvent d’un côté dans ces scènes de café (comme dans certains tableaux de la Renaissance et dans L’art de la peinture de Vermeer, directement cité dans un tableau par Hamdad).
 
Bilal Hamdad. Le guetteur

Peindre sans idéaliser, mais sans désenchanter

Passionné aujourd’hui par les musées, par les peintures classiques qu’il étudie avec soin – à Orsay notamment mais au Prado à Madrid aussi, car Velazquez est l’une de ses grandes inspirations-, Bilal Hamdad n’a pas toujours voulu être un artiste. Il se voyait footballeur professionnel pendant sa jeunesse à Sidi Bel Abbés en Algérie. Mais à 18 ans, il dut abandonner ce rêve. “Je me sentais un peu perdu.” Il candidate à l’école d’art de sa ville, poussé par ses parents. “Je suis arrivé dernier au concours. J’ai commencé l’année en me disant que je resterai une semaine. Mais j’ai découvert un nouveau monde…”
 
Finalement, il ne va pas cesser d’étudier et pendant plus de dix ans : en Algérie, puis à l’Ecole nationale supérieure d’art de Bourges et enfin aux Beaux-Arts à Paris, dans l’atelier du peintre Djamel Tatah (né en 1965). Un long cursus, qui lui permet de développer son style figuratif réaliste, avec des fonds obscurs, souvent peu de matière, des touches de couleurs vives, des effets de transparence sur les verres et quelques les bulles de savon volant dans les airs. Et il n’y a pas besoin forcément de capter toutes les citations qu’il glisse dans ces tableaux pour être touché par eux. Dans Nuit égarée (2023), un homme semble flotter, mort ou endormi dans l’eau, telle l’Ophelie peinte par Millais, mais ce corps mort fait songer aussi aux migrants noyés en traversant la Méditerranée.
 
Infos pratiques : Jusqu’au 8 février 2026 au Petit Palais, 8e. Entrée libre
 
 
Bilal Hamdad Sérénité d’une ombre, 2024