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J’ai visité les deux expos Doisneau du moment de part et d’autre du périph

Les clichés de Robert Doisneau sont à voir en ce moment au musée Maillol à Paris ainsi qu'à la Maison Doisneauu à Gentilly / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris
Les clichés de Robert Doisneau sont à voir en ce moment au musée Maillol à Paris ainsi qu’à la Maison Doisneau à Gentilly / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris

Il est né au début du siècle dernier dans celui que l'on ne nommait pas encore Grand Paris et l'a arpenté inlassablement avec son appareil photo. Une sélection des clichés de Robert Doisneau est à voir en ce moment de part et d'autre du périphérique au musée Maillol à Paris et à la Maison Doisneau à Gentilly. Un pèlerinage qu'a effectué Joséphine Lebard.

Est-ce parce que ce sont les derniers jours de l’exposition ? Une chose est sûre : on a beau être une matinée en pleine semaine, je n’étais pas seule pour visiter « Robert Doisneau. Instants donnés au musée Maillol » (7e). Une sélection de 350 clichés sélectionnés parmi les 450 000 que contient la collection du photographe. Par conséquent, l’exposition se visite un peu en mode chenille, à faire sans cesse du touche-touche avec les voisins. On n’ira pas jusqu’à accuser le musée Maillol de surbooking mais il est clair que les conditions ne sont pas idéales pour profiter de l’œil incomparable de l’artiste. C’est d’autant plus dommage que l’accrochage – mobilisant notamment les deux filles de Doisneau – a été brillamment réalisé.

Décliné de façon thématique, « Robert Doisneau. Instants donnés » permet de contempler toutes les facettes d’un travail qu’on n’imaginait pas aussi protéiforme. L’exposition s’ouvre sur ses représentations de l’enfance entre jeux dans les gravats des anciennes fortifs ou dans les chantiers des futurs grands ensembles. Car une chose apparaît clairement au fil de la visite : Doisneau aime les marges. Normal, lui-même en vient, ayant grandi à Gentilly (Val-de-Marne).

Des portraits de stars et d’anonymes 

Il arpente donc la banlieue, notamment dans les années 80, au cours d’une importante commande passée par la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar). Il capte le quotidien des habitants des arrondissements périphériques ou de la petite couronne, de la fille mélancolique d’un bistrotier aux ouvriers de chez Renault (où il a lui-même travaillé).

Mais la marge, ce sont aussi les artistes. Eux aussi, Doisneau les portraiture en plein travail ou au milieu de leurs œuvres. Fernand Léger semble jaillir de l’une de ses toiles. La silhouette discrète de Vasarely contraste avec l’exubérance des peintures qui l’entourent. Le visage de Jean Tinguely disparaît derrière la fumée de l’une de ses machines. Quant à Picasso, fixé dans sa maturité triomphante au sein de son atelier de Mougins, Doisneau l’immortalise drapé dans un tissu qui le fait ressembler à un empereur romain. Clin d’œil ironique à sa mégalomanie ? Une chose est sûre : quand le photographe a pour modèle des puissants de ce monde – il a été salarié du magazine Vogue entre 1949 et 1952 –, sa malice se fait mordante. Devant son objectif, le gotha ne peut plus longtemps dissimuler une forme de ridicule et d’hypocrisie qu’il tente pourtant d’étouffer sous les épaisseurs de satin et les volutes de cigare.

L'un des portraits réalisés par Robert Doisneau à découvrir à la Maison Doisneau à Gentilly / © Atelier Robert Doisneau
L’un des portraits réalisés par Robert Doisneau à découvrir à la Maison Doisneau à Gentilly / © Atelier Robert Doisneau

Un banlieusard fier de l’être

Si Doisneau triomphe à Paris, il se dédouble en ce moment avec une exposition au sein du musée qui porte son nom à Gentilly, la Maison Doisneau. Bien évidemment, elle est plus modeste qu’à Maillol, mais elle a plusieurs avantages. Elle est gratuite (contre 16,50 € à Maillol), on n’est pas gêné par le monde (traduction : lors de ma visite, nous étions trois) et elle est elle aussi de grande qualité. Son angle : Gentilly, justement, où l’artiste a passé son enfance et qu’il n’a ensuite pas cessé d’arpenter pour en fixer toutes les mutations.

Durant plusieurs décennies, Doisneau documente une histoire de la banlieue : les moments de fêtes populaires comme un cyclocross ou un tournoi de boules, les jardins pavillonnaires méticuleusement entretenus, les dents creuses colonisées par les herbes folles… Il montre la jeunesse des pieds d’immeuble, les grands-mères en blouses fleuries… Sa force : un impeccable sens du cadre qui rend leur noblesse aux perspectives des grands ensembles sans en dissimuler une massivité presque inquiétante. Au fil de ses photos (dont il a lui-même effectué les tirages), on constate qu’il ne cède jamais ni à la condescendance ni à l’angélisme. Il est juste, toujours juste. Pourquoi ? Peut-être tout simplement parce qu’il vient de ce territoire-là. Robert Doisneau est un banlieusard et semble fier de l’être.

Infos pratiques : exposition « Robert Doisneau. Instants donnés » au musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, Paris (7e). Jusqu’au 19 octobre. Ouvert du lundi au dimanche de 10 h 30 à 18 h 30, le mercredi jusqu’à 22 h. Tarif : 16,50 € (plein tarif), 12,50 € (6 à 25 ans). Accès : métro Rue du Bac (ligne 12). Infos et réservations sur expo-doisneau.com / exposition « Robert Doisneau, Gentilly » à la Maison Doisneau de la Photographie, 1, rue de la Division du Général Leclerc, Gentilly (94). Jusqu’au 15 février. Ouvert du mercredi au vendredi de 13 h 30 à 18 h 30, les samedis et dimanches jusqu’à 19 h. Gratuit. Accès : métro Hôpital de Bicêtre (ligne 14) / gare de Gentilly (RER B). Plus d’infos sur maisondoisneau.grandorlyseinebievre.fr

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