Société
|

Un prof du 93 partage sa méthode pédagogique pour donner le goût d’apprendre

Le professeur de sciences économiques et sociales Jérémie Fontanieu sort ce 31 août un livre dans lequel il partage son expérience d'enseignant / © Marianna (Wikimedia commons)
Le professeur de sciences économiques et sociales Jérémie Fontanieu sort ce 31 août un livre dans lequel il raconte son expérience d’enseignant / © PxHere

Professeur de sciences économiques et sociales dans un lycée de Drancy, Jérémie Fontanieu y a développé en 2012 le projet « Réconciliations » pour conduire l'ensemble de ses élèves vers la réussite. Il expose ses idées dans un livre qui sort ce 31 août en librairie.

Vous avez mis en œuvre une méthode pédagogique, le projet « Réconciliations », dans le lycée où vous enseignez à Drancy. Comment en êtes-vous venu à l’élaborer ?

Jérémie Fontanieu : Je préparais mes cours avec rigueur, amour même. Pourtant, le jour J, 50 % du cours disparaissait parce que mes élèves n’étaient pas concentrés ou en retard. J’avais beau me battre, c’était dur. En fait, mes élèves ne fournissaient pas les efforts demandés pour toutes sortes de raisons : le regard des autres, la peur de passer pour un fayot, le manque de confiance en soi, mais aussi tout simplement parce que ce sont des ados et qu’ils ont la flemme. Or, ce qui tue le potentiel des élèves, c’est le manque d’efforts. J’ai donc voulu les mettre au boulot.

Dans votre méthode, vous préconisez davantage d’assiduité dans le travail et, pour ce faire, vous leur imposez des QCM hebdomadaires. Ça semble un peu frappé au coin du bon sens, non ?

Tous les profs le disent : il ne faut pas réviser un contrôle la veille. Or les tâches demandées aux élèves sont plus facilement accomplies dans les milieux sociaux où les parents eux-mêmes ont fait des études, où on donne des livres, où la structuration du temps est plus sévère. Ce sont des injustices structurelles. Ces évaluations hebdomadaires, c’est une tentative subjective. D’autres profs qui ont adopté la méthode font autrement. Moi, ça me permet de montrer aux élèves que, quand on fait les choses avec soin, on y arrive mieux.

Votre méthode repose sur un triptyque : une « austérité » comme vous l’écrivez vous-même à l’égard des élèves, l’assiduité dans le travail avec notamment les QCM hebdomadaires, et  le lien avec les parents. Vous les appelez ou leur envoyez régulièrement des SMS dans une logique de coéducation. Dans votre livre, on a l’impression que cette prise de contact se fait très facilement. Or, dans les établissements de quartiers populaires, est souvent évoquée cette difficulté à joindre les parents. Vous n’y avez pas été confronté ?

En général, dans les quartiers populaires, on n’appelle pas les parents dès le premier jour. Si vous appelez le 15 octobre, de plus pour expliquer à un parent que son enfant s’est mal tenu en classe, c’est fichu, c’est trop tard. Dans le cœur des gens, il y a toujours l’espoir que ce qui va venir sera différent de ce qui a été. La rentrée des classes, c’est un peu comme le Jour de l’an : c’est le moment où on prend de bonnes résolutions ; mais deux semaines après, on n’y croit plus. En appelant les parents dès la rentrée, on leur fait comprendre que les choses peuvent se passer différemment. Parce que, quand on y réfléchit, c’est un peu malsain de n’appeler que quand les choses vont mal… Les parents ont souvent l’impression que l’école les maintient dans le silence ou l’indifférence. Ou alors dans le mépris en jugeant leur travail d’éducateur. Or le message doit être associé à une forme d’espoir. L’idée est de mobiliser le parent d’élève pour qu’il soit derrière nous. En fait, c’est comme si on demandait aux familles de passer une deuxième couche : on encourage l’élève, ils l’encouragent ; on râle, ils râlent ; on rappelle de ne pas oublier ses affaires, ils le font aussi… Du coup, à la maison, on parle de plus en plus de l’école et les enfants en viennent à se dire : « Ah oui, c’est peut-être important, quand même… »

Faire des interros hebdomadaires, appeler régulièrement les parents… Tout ça, c’est une charge de travail supplémentaire pour l’enseignant. Votre méthode n’ajoute-t-elle pas des tâches à une profession qui en compte déjà énormément ?

Cette méthode ne consiste pas à travailler plus mais différemment. C’est vrai, on travaille davantage les premières semaines. Et soyons honnêtes, du 31 août au 20 octobre, on est en surcharge. Mais après, c’est vite rentabilisé. Les élèves se mettent à travailler par goût, ils aiment réfléchir, apprendre ; du coup, ils vont plus vite. Le cours devient aussi plus fort, plus vivant. Ces petits poisons – l’absence de matériel, les retards… – qui pourrissaient le cours disparaissent. Mais non, il ne s’agit pas de travailler plus. Ce qui, étant donné le niveau de nos salaires, serait tout simplement hors de question.

Quand vous décrivez la façon dont vos élèves se mettent au travail, ont un déclic, vous utilisez la métaphore du feu, de l’embrasement. Pourquoi ?

Les enfants s’habituent vite au fait que le monde s’impose à eux et les écrase. La scolarité est souvent subie. Avec cette méthode, ils découvrent, ou plutôt redécouvrent, le fait d’essayer, de se tromper et, au bout d’un moment, d’y arriver. Et ça, c’est un vrai plaisir ! La métaphore du feu, c’est l’idée d’une forme de renaissance. Ils comprennent qu’on doit faire des choses dont on n’a pas envie pour atteindre des choses plus belles et plus fortes. La réconciliation, c’est celle entre les parents et l’école mais aussi celle de l’enfant et du maître.

Vous le dites en introduction de votre livre. Dans la réussite, il y a le travail mais il y a aussi tout un capital culturel que les élèves n’ont pas toujours. Pourquoi, dans la méthode, n’avez-vous pas développé un volet pour pallier ce manque dont on sait qu’il peut être un frein à la réussite ?

Cette question du capital culturel est un problème structurel qui relève de l’organisation sociale, de la faible mobilité sociale. Ce projet « Réconciliations » n’a pas pour but de sauver les élèves, mais plutôt de permettre aux enseignants de ne plus subir. Cela débouche sur des choses formidables comme l’épanouissement de tous : professeurs, élèves, parents. Si j’ai imaginé cette méthode, c’est avant tout pour ne pas me sentir inutile dans mon métier, éviter le gâchis de potentiels. Ce gâchis, on le trouve dans les quartiers aisés comme dans les quartiers populaires. C’est Kery James qui, dans sa chanson Pleure en silence, dit : « Tu peux souffrir sans venir de banlieue ». Pour en revenir à cette question du capital culturel : qu’est-ce qu’on fait ? Franchement, je ne sais pas parce que, comme je le disais, le problème est profondément structurel. Nous, nous donnons aux élèves des outils les mettant en capacité de travail. Afin que leur destin ne leur échappe pas.

Infos pratiques : L’École de la réconciliation de Jérémie Fontanieu. Éd. Les Liens qui Libèrent. 240 p. 19 €. En librairie dès le 31 août et disponible sur editionslesliensquiliberent.fr

Lire aussi : Le quotidien dans un lycée de Seine-Saint-Denis, la routine de l’épuisement

Lire aussi : Avec La Guerre des bouffons, la banlieue s’invite dans la rentrée littéraire

Lire aussi : « La vie HLM », une expo grandeur nature à la cité Émile-Dubois