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« Les marchés incarnent une forme de sobriété heureuse »

Le marché de Saint-Denis est le plus grand marché d'Île-de-France / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
Le marché de Saint-Denis est le plus grand marché d’Île-de-France / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Durant le confinement, le journaliste et écrivain Olivier Razemon s'était lancé dans un tour à vélo des marchés parisiens. Il vient tout juste de sortir le livre « On n’a que du beau ! Le marché, ingrédient d’une société heureuse », mi-analyse sociologique, mi-déclaration d'amour.

Pourquoi avoir fait des marchés un objet d’étude ?

Olivier Razemon : Les marchés sont présents dans quasiment chaque ville. C’est souvent un espace qui plaît aux habitants. Pourtant, il apparaît peu dans les politiques publiques et les réflexions sur la ville, alors qu’il répond à plein de préoccupations contemporaines. Il permet de faire face à certains enjeux écologiques, tout en étant un grand vecteur de sociabilité. Mais, dans l’imaginaire collectif, ce n’est rien de plus qu’un joli cadre. On ne le présente jamais comme une solution. Ce livre sert donc à faire du marché un sujet à part entière.

Quels sont les enjeux soulevés par les marchés ?

Le marché est un sujet particulièrement important à l’heure où la grande distribution essaye de tout avaler. On voit des supermarchés tenter de reproduire l’esthétique des marchés sans comprendre pourquoi les gens continuent de faire leurs courses dehors, parfois sous la pluie. Il y a tout simplement un attachement. Le marché est le reflet d’un quartier. Vous avez des marchés populaires, comme ceux d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ou d’Argenteuil (Val-d’Oise), et d’autres plus hauts de gamme comme à Bastille (12e) ou Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Et puis le marché peut être vu également comme un outil de transition écologique qui s’ignore. C’est un lieu où l’on va souvent à pied et qui met en valeur les circuits courts. Il incarne une forme de sobriété heureuse.

Quels sont vos marchés préférés en Île-de-France ?

J’ai un attachement particulier pour les marchés de banlieue, comme celui d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) dans une ancienne halle. J’aime aussi ceux de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), notamment celui du quartier d’Adamville qui prend place sous une halle très animée et où se mêle une clientèle très diversifiée, aussi bien populaire que bourgeoise. Celui de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) permet de trouver des produits très chics, et assez chers, ce qui ne l’empêche pas d’être très convivial avec un bar où se retrouver. J’apprécie aussi beaucoup l’ambiance du marché du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) qui compte de nombreux producteurs. Et pour ceux qui voudraient pique-niquer, je conseille le marché de Juvisy-sur-Orge (Essonne), dont la halle en béton datant de 1950 est remarquable. On peut y acheter son pain et son fromage avant d’aller faire une balade au bord de la Seine jusqu’à Corbeil-Essonnes (Essonne). Il y a un effet dépaysant.

Pourquoi privilégier plutôt les marchés aux halles gourmandes ?

De plus en plus de halles gourmandes comme La Communale à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ou celles de l’enseigne Biltoki essayent de reproduire l’esthétique des marchés pour attirer une nouvelle clientèle. Mais ces « food-courts » ne sont pas des marchés ! Ce sont des lieux privés avec des loyers élevés et ouverts tout le temps. Ils diluent la convivialité car on a moins de chance de croiser ses proches que sur un marché ouvert sur un créneau fixe. Ces halles attirent une clientèle bourgeoise, en recherche de confort, mais qui prend des clients aux marchés. À terme, cela peut faire disparaître certains marchés de centre-ville et faire dépendre le commerce d’un seul acteur avec des prix très élevés.

Vous faites également du marché un sujet politique…

Le marché est systématiquement utilisé comme décor par les candidats aux élections et les élus en particulier par ceux de l’extrême droite. Lorsque les politiciens vont au marché, ce n’est jamais pour parler du lieu, mais d’eux-mêmes. Ils n’ont souvent rien à dire sur les marchés. Une autre dynamique que j’ai pu observer sur les marchés est la diffusion de clichés sexistes. Il y a parfois un décalage entre la clientèle, qui peut être sensible aux questions autour du genre, et les commerçants qui ont un mode de vie genré qu’ils surjouent sur le marché. Je pense qu’il faut pas laisser passer les réflexions sexistes. En particulier quand on est un homme ! Le mieux est de réagir ou de ne rien dire, mais en tout cas de ne pas rire, pour montrer que ces propos ne passent plus.

Un conseil pour apprécier de faire ses courses au marché ?

Il faut savoir prendre son temps ! Si je peux inciter les gens à profiter de cet instant qu’est le marché, c’est tant mieux…

Infos pratiques : « On n’a que du beau ! Le marché, ingrédient d’une société heureuse » d’Olivier Razemon avec des cartographies de Delphine Favorel. Editions Écosociété. 175 pages. 16 €. Plus d’infos sur ecosociete.org

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