
Nouvelle carte imaginée par l'Institut Paris Region, la Société des Grands Projets et l'Agence EYP, le « Grand Paris des continuités » dévoile 2 145 kilomètres d'itinéraires prospectifs pour relier les futures gares du Grand Paris Express aux espaces naturels franciliens. Au-delà de l'exercice cartographique, c'est une lecture inédite du territoire qui émerge.
En partenariat avec la Société des Grands Projets
Tout part d’un constat simple mais troublant : alors que la région Île-de-France compte de nombreux parcs, forêts et espaces naturels, leur accès reste largement conditionné à la voiture. Avec l’arrivée du Grand Paris Express d’ici à 2030, une équipe de travail composée de l’Institut Paris Région, la Société des Grands Projets et l’agence EYP s’est posé une question apparemment évidente : et si le nouveau métro devenait la clé d’accès à ces territoires oubliés ? Une réflexion a qui a abouti à une carte, celle du « Grand Paris des continuités » qu’il ne faut pas voir comme un document d’urbanisme de plus. C’est le fruit d’un travail de terrain minutieux qui a consisté à identifier, tronçon par tronçon, les liaisons possibles entre les 68 futures gares du Grand Paris Express et les espaces naturels environnants. Résultat : 2 145 km de tracés en pointillé, certains existants, d’autres à créer, qui dessinent en filigrane une métropole insoupçonnée.
« L’objectif était de projeter des itinéraires plutôt que des pistes cyclables complètement aménagées », expliquent les concepteurs. Ces tracés s’appuient sur des trames vertes et bleues existantes ou en projet, en tenant compte d’une large gamme d’aménagements possibles : bandes cyclables, pistes uni- ou bidirectionnelles, chemins verts, zones 30… Les chiffres révèlent l’ampleur du paradoxe francilien. La métropole du Grand Paris compte certes 87 % d’espaces urbanisés, mais les 13 % restants représentent un patrimoine naturel considérable : forêts domaniales, parcs départementaux, berges de rivières, sites Natura 2000. Un archipel de biodiversité largement méconnu des habitants, faute d’accès aisé.
La marche comme vecteur de rayonnement du Grand Paris Express
Si l’on prend l’exemple de la future ligne 16, véritable laboratoire de cette mutation, elle va relier une succession exceptionnelle d’espaces naturels : le parc Georges-Valbon (420 ha), le parc du Sausset (200 ha), la forêt régionale de Bondy (185 ha), le parc forestier de la Poudrerie (140 ha). Ces grands parcs vont soudain devenir accessibles en transport public. L’enjeu dépasse le simple loisir. Ces espaces constituent les vestiges d’un paysage disparu : la Seine-Saint-Denis maraîchère ou les reliquats du bois de Bondy qui couvrait presque tout le département au début du XIXe siècle. Leur accessibilité retrouvée participe d’une forme de réparation territoriale.
L’analyse des mobilités révèle une contradiction saisissante. Selon l’Enquête régionale sur la mobilité des Franciliens publiée en 2024, 40 % des déplacements quotidiens en Île-de-France se font à pied contre 33 % en voiture. Pourtant, l’espace public reste dominé par l’automobile, et la signalétique pensée pour les automobilistes. Cette hégémonie de la voiture contraste avec les pratiques d’accès aux transports. La marche représente 60 % des accès aux gares de la première couronne, un taux qui peut monter à 80 % dans certaines communes de la métropole du Grand Paris. La marche s’impose donc comme un « vecteur essentiel du rayonnement du Grand Paris Express », selon les termes de l’étude. Les 480 hectares d’espaces publics qui vont être requalifiés autour des futures gares – création de places publiques, nouveaux cheminements piétons, résorption des coupures urbaines – participent d’une mutation vers une « métropole marchable ».
Penser autrement l’accès aux gares pour ouvrir de nouvelles continuités urbaines
Mais les concepteurs de la carte proposent de changer d’échelle. Là où les urbanistes raisonnent traditionnellement dans un rayon de 800 mètres autour des gares, pourquoi ne pas penser l’accès à pied sur 2 voire 3 kilomètres ? Et à vélo sur une distance de 10 à 30 minutes ? Cette approche ouvre des perspectives inédites de continuités urbaines. L’évolution des aménagements cyclables raconte l’histoire d’une métropole en mutation. Paris ne disposait que de 6 kilomètres d’aménagements cyclables en 1994. La capitale en recense aujourd’hui plus de 1 000 km, et plus de 4 000 à l’échelle métropolitaine. Cette croissance s’accélère. En 2023, 20 % de la voirie dans la métropole du Grand Paris comprend désormais un aménagement cyclable dans au moins un sens. Le déploiement du réseau Vélo Île-de-France et du Plan Vélo Métropolitain va structurer cette dynamique.
À l’horizon 2030, l’ensemble de la métropole sera à moins de 10 minutes à vélo d’une gare ou d’une station de métro. Un potentiel d’intermodalité considérable, à condition de surmonter les obstacles actuels : discontinuités du réseau, caractère routier de certains espaces publics, héritage du réseau francilien organisé en étoile autour de Paris. Car l’enjeu n’est plus seulement technique – créer des pistes cyclables – mais sensible : rendre les territoires véritablement cyclables. C’est la perception, l’imaginaire et les représentations des usagers qui transforment un lieu en espace agréable à parcourir.
Cette réflexion sur l’accessibilité des espaces naturels s’inscrit dans un contexte d’urgence climatique. Paris connaît une augmentation de température de 2,3 °C entre 1873 et 2019, contre 1,1 °C au niveau mondial. La ville fait face au phénomène d’îlot de chaleur urbain qui menace l’habitabilité de la métropole. Les espaces naturels ne relèvent plus du luxe mais de la nécessité sanitaire. Ils participent à la réduction des îlots de chaleur urbains, à la régulation des températures et à l’amélioration de la qualité de l’air. Leur présence contribue à une ville plus respirable, plus tempérée et plus résiliente. Les recherches en « paysage santé » confirment ces intuitions. L’exposition à la nature réduit le stress, favorise l’activité physique, améliore la santé mentale. Le contact régulier avec la nature diminue les risques de dépression et d’addiction. Dans certains pays comme le Canada, des médecins prescrivent même des « cures de nature » en cas d’épisode dépressif.
Un réseau naturel encore à valoriser
La démarche cartographique révèle une évidence longtemps masquée : le Grand Paris possède déjà son réseau naturel. De la Petite Ceinture parisienne à la Ceinture Verte francilienne, des canaux aux grandes forêts domaniales en passant par les parcs naturels régionaux, l’archipel nature existe. Il ne demande qu’à être relié, valorisé, raconté. Cette lecture du territoire par ses continuités naturelles permet de gommer les frontières administratives et morphologiques. Elle dessine une nouvelle carte du Grand Paris, unie par ses richesses paysagères plutôt que divisée par ses infrastructures. Le Grand Paris Express joue ici un rôle de révélateur territorial. Non plus seulement un métro qui améliore les trajets quotidiens, mais un réseau qui efface les barrières et rend visible un patrimoine naturel méconnu.
Cette proposition s’inscrit dans la suite des Jeux de Paris, moment charnière où la narration de la dynamique métropolitaine doit être repensée. Et si le Grand Paris Express devenait le support d’un nouveau récit ? Celui d’une région qui assume sa densité tout en retrouvant ses liens avec la nature ? Les 2 145 km d’itinéraires identifiés ne relèvent pas de l’utopie. Ils constituent une projection réaliste de ce que peut devenir le Grand Paris quand on cesse d’opposer transports et nature. Ces axes paysagers et végétalisés sont pensés pour être utilisables au quotidien, à pied ou à vélo, pour des déplacements domicile-travail ou de loisirs.
Imaginons 2035. On prend la ligne 18 à Massy–Palaiseau et on descend à Versailles Chantiers. En quelques coups de pédale, on longe la Bièvre restaurée, on traverse le plateau de Saclay renaturé, et on rejoint la forêt. Le soir, retour par la ligne 15, avec un détour par les berges de Seine à Saint-Cloud. Le Grand Paris Express ne sera peut-être pas seulement le métro du XXIe siècle. Il pourrait bien être la clé d’une métropole enfin réconciliée avec ses paysages. Cette carte en dessine les contours, reste à la faire exister.
Infos pratiques : la carte « le Grand Paris des continuités » est téléchargeable sur institutparisregion.fr
11 juillet 2025