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Avec « La Guerre des bouffons », la banlieue s’invite dans la rentrée littéraire

Le pont de Bondy sur le canal de l'Ourcq / © Jeanne Menjoulet (Creative commons - Flickr)
Le pont de Bondy sur le canal de l’Ourcq / © Jeanne Menjoulet (Creative commons – Flickr)

En cette rentrée, un nouvel acteur fait ses premiers pas dans le monde de l'édition. Homme de radio et de télé, Mouloud Achour lance sa propre maison, baptisée Clique (comme son émission sur Canal +). Le bougre commence très fort en publiant « La Guerre des bouffons », premier roman d'Idir Hocini, ancien journaliste du Bondy Blog. Une plongée percutante et sensible dans le Bondy des années 90.

Vous dédiez La Guerre des bouffons à « tous les idiots du village ». Qui sont ces idiots ?

Idir Hocini : En premier lieu, je faisais référence à l’idiot de mon village en Algérie, un petit lieu-dit à côté de Tazmalt. Là-bas, comme dans tous les bleds du monde, il y a un idiot du village. Les gamins lui lancent des cailloux, on se moque de lui. Il me semble d’ailleurs que cette figure de l’idiot, c’est vraiment le dénominateur commun à tous les villages du monde. Or, pour les 50 ans de l’indépendance algérienne, une cérémonie a lieu. Il s’agit de remettre un diplôme à toutes les familles dont un membre est mort au cours du conflit. L’idiot de mon village vient récupérer celui de son père. Et là, tout le monde l’applaudit. Pour la première fois, il ressent la fierté, le fait qu’il appartient à la communauté. Eh bien voilà, mon livre, je le dédie à tous ceux qui ne peuvent pas se défendre face aux brimades. Également à toutes ces victimes, au collège ou au lycée, qui subissent aussi. Et puis l’idiot, c’est moi aussi. Il faut savoir que, chez moi, à Bondy, la commémoration de mon premier râteau est une fête locale !

Votre livre débute avec un épisode de la guerre d’Algérie mettant en scène le courage de votre grand-père. Il se clôt avec la victoire des Bleus en 98. Pourquoi ce choix ?

L’histoire de mon grand-père, c’est ma grand-mère qui me l’a racontée. Le jour où, pour la première fois, je me suis fait traiter de « sale arabe ». J’avais honte et, en me relatant cet épisode de la vie de mon grand-père, elle m’a parlé d’un homme qui avait combattu plus fort que lui. Les histoires de faibles qui se rebellent contre les puissants, cela me parle. Quant à la victoire des Bleus, c’est évidemment un grand moment de l’histoire des quartiers populaires. Mais ce que je retiens presque davantage, c’est la figure d’Aimé Jacquet. Je ne sais pas si vous vous souvenez du nombre d’éditos dans L’Équipe réclamant sa démission… Le type s’est fait cracher dessus, personne n’y croyait. Et voilà qu’il fait gagner l’équipe de France.

Vous ouvrez votre livre avec une carte de Bondy qui emprunte les codes des royaumes du Seigneur des Anneaux. Pourquoi cette analogie ?

La carte, c’est d’abord un hommage aux joueurs de jeux de rôle de mon adolescence. Ils étaient les plus méprisés, non seulement à l’école mais aussi dans les médias qui les qualifiaient de dangereux sectaires. On le voit bien dans Stranger Things d’ailleurs. Eux aussi étaient vus comme des idiots du village ! Moi, je jouais, mais je n’assumais pas. Alors que les rôlistes étaient les vrais forts parce qu’ils assumaient ce loisir perçu comme honteux ! Et puis je pense à cette citation du géographe Mathis Stock : « Habiter un lieu, c’est le vivre ». Moi j’ai vécu Bondy ! La ville a deux frontières : la voie ferrée qui sépare Bondy sud – les « beaux quartiers » de la ville – du centre un peu plus mixte. Et puis il y a le canal de l’Ourcq qui sépare Bondy nord du reste de la commune. Bondy nord, c’est un quartier de cités, c’est un peu le Mordor de Bondy ! Cette carte montre aussi que la ville de banlieue est un endroit de fantaisie, où l’imaginaire se développe. J’ai grandi en cité mais au pied d’un champ qui était propice à l’aventure.

Y a-t-il une spécificité de l’enfance en banlieue ?

Oui. Elle tient à l’humour et à la liberté. Enfant, on rigole beaucoup en banlieue, plus qu’ailleurs, je pense. Cela tient au fait que chacun arrive de son petit patelin avec une forte dose d’autodérision. On rit de ses petits malheurs. C’est très villageois en un sens.

Il existe une tradition du récit d’enfance d’écrivains issus de l’immigration, que ce soit Cavanna ou Azouz Begag par exemple. Ce sont des références que vous aviez en tête ?

En fait, moi, ma référence absolue, c’est Pagnol. Il a une écriture très simple et, en même temps, en deux phrases, il dit ce que d’autres mettraient deux livres à écrire. Quand il décrit les Bastides Blanches, dans Jean de Florette, je vois mon bled en Algérie. Et puis sa description du monde scolaire… À cent ans d’écart, je me reconnais dans les tours pendables, les bagarres qu’il raconte. Il y a aussi un vrai sens du récit : on a envie de vivre les choses avec les personnages.

Chez vous aussi, il y a beaucoup d’humour. On a aussi le sentiment d’une écriture très visuelle…

Pour l’humour, j’ai été inspiré par les magazines de jeux vidéo des années 90 type « Joystick ». Les journalistes arrivaient à passer de vraies infos tout en faisant rire. Pour le reste, il est clair que les 22 heures d’antenne hebdomadaires dont disposait le Club Dorothée, ça impacte ton enfance et ta vie pour un long moment. J’ai été marqué par exemple par Le collège fou, fou, fou, cette logique de bande, l’envie de faire des blagues sans arrêt… Les profs, la déconne, cela nous parlait. Bon, après, je crains que cela ait mal vieilli. Mais plus globalement, j’ai aussi été marqué par l’esprit du manga. Alors que dans les comics américains, le héros naît avec un don, dans le manga, il doit galérer, échouer, se relever… Cela me parle davantage.

Pourquoi avoir largement articulé le récit autour de votre année de première au lycée ?

Parce que, pour moi, c’est la dernière année de l’enfance. C’est l’année de l’arrêt du Club Dorothée, de la mort de ma grand-mère. C’est aussi l’année où je découvre l’amour et ce n’est pas rien. Je dois devenir un adulte. Et, dans ma classe, j’ai le sentiment de devoir m’occuper des miens, de les protéger parce que c’est une classe que les autres élèves pensent pouvoir opprimer. Et je le fais avec mon humour, mes vannes, mais aussi mon don pour le renseignement… Je suis toujours ami avec un certain nombre des élèves de cette classe de 1re S. D’ailleurs, j’en profite pour passer le bonjour à Karim et Zhen !

Infos pratiques : La Guerre des bouffons d’Idir Hocini. Clique Éditions. 20 €. Plus d’infos sur clique.tv

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