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« Avec les canicules, l’eau devient une question stratégique »

La Bièvre à Arcueil / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris
La Bièvre à Arcueil / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris

Si l'Île-de-France est traversée par la plus longue rivière de France, à savoir la Marne et ses 514 km, elle cache bien d'autres cours d'eau méconnus, parfois enfouis par l'urbanisation et que les collectivités tentent de restaurer. Ce dont nous parle Sabrina Charles-Bouhafsi, chargée de mission gestion des milieux aquatiques au sein de la Métropole du Grand Paris.

En partenariat avec la Métropole du Grand Paris

On entend de plus en plus parler des petits cours d’eau en ville, de leur réouverture et de leur rôle écologique. Est-ce que c’est un sujet dans le Grand Paris ?

Sabrina Charles-Bouhafsi : Oui, les rivières urbaines sont un vrai sujet, et pas seulement pour les amoureux de la nature. La Métropole du Grand Paris a la compétence de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations sur son territoire qui couvre 130 communes, Paris comprise. Et dans ce cadre, on ne s’occupe pas uniquement des grands fleuves comme la Seine ou la Marne. Il y a aussi tout un réseau de petits cours d’eau plus discrets, souvent oubliés, mais tout aussi importants : la Bièvre, bien sûr, mais aussi la Vieille Mer, le Croult, le Petit Rosne, le Morbras, le Sausset…

Certains sont-ils encore visibles ?

Oui, on compte environ 60 km de rivières visibles. Mais il y en a à peu près autant qui sont enfouies, canalisées, busées, c’est-à-dire enfermées dans des tuyaux. Ce sont des rivières qui coulent sous nos pieds sans qu’on s’en rende compte. Il s’agit donc de bien les identifier pour permettre potentiellement leurs réouvertures à moyen ou long terme.

Dans quel état se trouvent ces rivières aujourd’hui ?

Souvent dans un état très dégradé. Elles ont été recalibrées, bétonnées, canalisées… On leur a fait perdre toute naturalité. On les a transformées en simples conduits pour faire « passer l’eau vite », avec toutes les conséquences que ça implique : perte de biodiversité, aggravation des inondations, disparition des zones humides. Pourtant, ces petites rivières sont des réservoirs de vie incroyables. Et dans une région aussi urbanisée que l’Île-de-France, elles ont une valeur inestimable.

Donc l’idée, c’est de leur redonner un peu de liberté…

Exactement. On cherche à retrouver un fonctionnement plus naturel. Par exemple, sur le Sausset, les travaux prévoient de faire sortir la rivière de son encaissement artificiel. Dans certains cas, on casse des seuils et des obstacles pour restaurer l’écoulement de la rivière. On recrée des méandres, on reconnecte les berges avec le cours d’eau, on accepte que la rivière prenne un peu plus de place, qu’elle déborde légèrement sur des zones prévues pour. On parle parfois de « renaturation », mais il est plus approprié d’utiliser le terme de « restauration » pour redonner vie à une rivière qui était présente antérieurement. Il ne s’agit pas de revenir à une nature sauvage, mais de retrouver une rivière qui s’intègre et évolue en équilibre avec son nouvel environnement urbain

Est-ce une volonté locale ou une obligation plus large ?

C’est à la fois une conviction locale chez beaucoup d’élus, d’ingénieurs, d’associations, et une obligation européenne retraduite dans le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux du bassin « Seine Normandie ». La Directive cadre sur l’eau fixe des objectifs de bon état écologique pour les rivières. Pour une grande partie des « masses d’eau » d’Île-de France, cet objectif était prévu en 2021 mais il a été repoussé à 2027, voire 2033. Le retard est important. Donc on a une pression réglementaire, mais aussi une pression climatique. Avec les canicules, l’eau devient une question stratégique.

Est-ce que vous avez des exemples concrets de projets aboutis ?

La Bièvre est le cas le plus emblématique. Elle avait disparu pendant des dizaines d’années. Sa réouverture à Arcueil et Gentilly par le Département du Val-de-Marne, et bientôt sur d’autres tronçons par la Métropole, a transformé le quotidien. 

Et concrètement, qu’est-ce que ça change pour les habitants ?

Beaucoup de choses. D’abord, sur le plan écologique, cela apporte plus de biodiversité, plus de fraîcheur, moins d’inondations. Mais aussi sur le plan paysager et social : on reconquiert des lieux de vie. Une rivière restaurée, c’est un coin d’ombre pour lire, une promenade pour les familles, un repère pour le quartier. Il y a un petit tronçon rouvert de la Bièvre où les habitants ont eux-mêmes installé un banc en palettes. C’est symbolique, mais très parlant. Une rivière, si on lui laisse un peu de place, elle devient vite une alliée. Il faut juste réapprendre à cohabiter avec elle.

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