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Quel avenir pour le Triangle de Gonesse dans le Grand Paris ?

Le Triangle de Gonesse dans le Val-d'Oise / © Pierre-Olivier Deschamps (Creative commons - Flickr)
Le Triangle de Gonesse dans le Val-d’Oise / © Pierre-Olivier Deschamps (Creative commons – Flickr)

Après l'abandon du projet de mégacomplexe de loisirs EuropaCity dans la plaine du Triangle de Gonesse dans le Val-d'Oise, un rapport a été dévoilé fin 2020 qui explore trois scénarios sur lesquels s'interroge Khader Berrekla, architecte et auteur du blog « Au-delà du périf ».

Khader Berrekla, architecte à Goussainville (Val-d’Oise) et auteur du blog « Au-delà du périf »

En novembre 2019, consécutivement à l’abandon du projet EuropaCity dans le Val-d’Oise, le président de la République Emmanuel Macron avait promis une alternative « plus mixte, plus moderne, sans créer un pôle démesuré de consommation, de loisirs et d’objets ». Le projet EuropaCity devait s’implanter dans une partie du département qui cumule les difficultés sociales et économiques, le Triangle de Gonesse, proche de la Seine-Saint-Denis et de Roissy. Le haut-fonctionnaire et ancien directeur de l’Atelier parisien d’urbanisme, Francis Rol-Tanguy, avait donc été missionné par le gouvernement pour esquisser d’autres alternatives.

Le projet EuropaCity prévoyait d’ouvrir à l’urbanisation 280 hectares de terrains actuellement dévolus à l’agriculture intensive, pour accueillir un nouveau quartier mixte d’activités, bureaux, loisirs, hôtels et commerces en lien avec la proximité de l’aéroport Roissy – Charles-de-Gaulle. Si la dimension commerciale du projet EuropaCity a fait couler beaucoup d’encre, on sait moins qu’il était également prévu une halle pour des expositions artistiques, une annexe du Grand Palais ou encore une grande salle de concerts et de spectacles, dans un territoire miné par le chômage et le manque de perspectives. Le projet demeurait toutefois controversé, avec la mobilisation de nombreux collectifs environnementaux opposés à ce projet.

« Le rapport Rol-Tanguy, dévoilé fin 2020, propose trois scénarios pour le Triangle de Gonesse »

Le rapport Rol-Tanguy, dévoilé fin 2020, propose trois scénarios pour le Triangle de Gonesse. La première option consiste à maintenir la superficie initiale du projet (à 280 ha), mais elle est immédiatement évacuée par l’auteur, considérant que la viabilité économique d’un tel projet n’est pas assurée. Une deuxième option médiane consiste à réduire l’urbanisation à 110 hectares autour de la gare du Grand Paris Express. Il est suggéré l’implantation d’activités de  « relocalisation productive de secteurs stratégiques », sans pour autant que des projets soient précisément identifiés en ce sens. Enfin le troisième scénario consiste en l’abandon complet de l’urbanisation du secteur. Cette option semble avoir la faveur de l’auteur qui propose une reconversion agricole vers le maraîchage et l’horticulture, en lien avec le projet CARMA, défendu par des associations environnementales.

Si cette dernière hypothèse venait à être retenue, les conséquences d’un tel abandon doivent être pleinement mesurées et les compensations devront être à la hauteur des besoins d’un territoire dont le taux de chômage dépasse les 20% dans certains quartiers. Ceci sans compter les conséquences de la crise sanitaire et économique que nous traversons, qui met pratiquement l’économie aéroportuaire à l’arrêt. L’urgence est donc grandissante au vu des conséquences de cette crise, alors même que le Triangle de Gonesse serait susceptible de retombées positives en matière d’emplois, de formation, de transports avec un investissement global de près de 4,8 milliards d’euros.

« Les grands projets culturels et sociaux peuvent aussi constituer des leviers de développement à condition qu’ils profitent aux habitants »

Le rapport Rol-Tanguy reprend également diverses propositions qui portent sur des thématiques variées telles que la formation, le sport ou la culture. Si ces sujets constituent de véritables enjeux pour le secteur, ces éléments sont présentés comme un catalogue de projets plutôt qu’une véritable vision globale et cohérente du territoire. Pour amorcer une dynamique dans ces quartiers, on pourrait pourtant saisir les grands enjeux qui se dessinent à l’échelle de l’est du Val-d’Oise et proposer que chaque ville s’empare de l’un d’eux, afin de favoriser les complémentarités entre elles.

A titre d’exemple, un pôle universitaire de formation pourrait être implanté à Sarcelles, un grand musée d’art contemporain à Gonesse, un équipement sportif d’échelle nationale à Garges, un pôle lié à l’alimentation en circuit court et à l’économie sociale et solidaire dans le Vieux-pays de Goussainville… Les grands projets culturels et sociaux peuvent aussi constituer des leviers de développement (Jeux olympiques, Capitale européenne de la culture, Exposition universelle…) à condition qu’ils profitent aux habitants. L’émergence de cette structure territoriale multipolaire permettrait aussi de limiter la dépendance à l’activité aéroportuaire dont la crise sanitaire laisse apparaître la fragilité du modèle.

« La plaine agricole mais aussi les espaces boisés et les chemins ruraux mériteraient d’être revalorisés afin de constituer un véritable maillage entre les villes »

La dimension paysagère est également à intégrer à la réflexion : la plaine agricole mais aussi les espaces boisés et les chemins ruraux mériteraient d’être revalorisés afin de constituer un véritable maillage entre les villes. Ces espaces de promenade actuellement dégradés et parfois jonchés de dépôts sauvages constitueraient pourtant des éléments de qualité de vie. L’interface entre ville et nature est donc à imaginer, tant du point de vue urbain que sociétal. Une démarche de concertation avec les habitants du territoire est aussi à mener. Les propositions citoyennes peuvent devenir des moteurs de réflexion et d’innovation.

Avec l’émergence potentielle de ces différents pôles, subsiste l’enjeu des transports. L’arrivée de la ligne 17 du métro devrait permettre de désenclaver un territoire où pour se rendre à Roissy – Charles-de-Gaulle en bus il faut aujourd’hui près d’une heure alors que l’on se situe à moins de 10 km. Mais la station Triangle de Gonesse, la seule du Grand Paris Express prévue pour desservir le Val-d’Oise, est menacée.

Le rapport Rol-Tanguy évoque la création d’une ligne « 17 bis » de Villiers-le-Bel à Roissy en remplacement de la desserte du triangle de Gonesse. Cette option de tracé apparaît peu pertinente au premier abord. Cette portion de métro paraît trop courte pour être rentable et son exploitation en forme de fourche pose également question. En revanche, on pourrait imaginer que ces nouveaux pôles de l’est du Val-d’Oise soient reliés via un nouvel axe transversal reliant Roissy et Nanterre – La Défense, deux pôles économiques principaux de la région parisienne dépourvus actuellement de desserte directe.

Ce serait l’occasion de compléter opportunément le tracé du Grand Paris Express en desservant l’est mais aussi le centre et le sud du Val-d’Oise. Cette nouvelle « ligne 19 » pourrait connecter les communes de l’est du département en passant par Colombes, Argenteuil, ou encore Ermont-Eaubonne, et raccrocherait ainsi tous ces territoires à la dynamique du Grand Paris. Ce tracé reprendrait partiellement celui de la ligne orange ouest entre Nanterre et Colombes. En plus de la nouvelle offre de transport proposée, elle relierait les lignes radiales existantes (RER A, B, C et D, Transilien H et J), sans nécessité de correspondance dans Paris.

Bien entendu, les coûts financiers d’une telle opération seraient conséquents. Mais ils sont à la hauteur des besoins des habitants si l’on souhaite véritablement s’engager dans une politique de rééquilibrage des territoires. Avec un coût moyen de 150 millions d’euros par kilomètre, compenser l’investissement prévu sur le Triangle de Gonesse équivaudrait à construire 32 km de métro. Il s’agirait surtout d’un véritable investissement pour l’avenir, une occasion pour rendre concrète la notion d’égalité de la devise républicaine.

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