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« Défendre le béton à tout prix, aujourd’hui, ça ne tient plus »

Pâturage devant la cheminée de l'ancienne usine de fabrication d'ampoules électriques de la Compagnie des lampes à Ivry (cheminée classée monument historique) / © Jérômine Derigny
Pâturage imporvisée à Ivry lors de la Transhumance du Grand Paris en 2019 / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

L’architecte suisse Philippe Rahm milite depuis plusieurs années pour que l’architecture s’empare davantage des enjeux actuels comme le changement climatique et les crises sanitaires. Une vision qu'il défend dans l’exposition « Histoire naturelle de l’architecture - Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville et les bâtiments » au Pavillon de l’Arsenal à Paris. Une expo qui fait l'objet de visites guidées en visio et en direct les samedis.

Pourquoi vouloir raconter « l’histoire naturelle » de l’architecture ?

Philippe Rahm : Ma pratique a été toujours reliée à une forme de pensée critique de l’architecture. Et depuis 2005, j’intègre les questions climatiques à mon travail. C’est d’autant plus nécessaire que nos constructions représentent 40% des émissions de CO2 ! C’est ce qui m’a conduit à réaliser cette exposition. Il faut regarder l’architecture par rapport à sa valeur réelle, matérielle, et moins par sa symbolique.

Vous dites que l’architecture a pour rôle premier de reproduire un bien-être climatique pour que l’homme maintienne sa température corporelle…

Complètement. Et on l’a perdu de vue. Un confrère disait récemment que l’architecture, c’est l’émotion. Mais la raison première de l’architecture, c’est de s’abriter de la pluie ou du soleil. Sa raison fondamentale est liée au fait que nous, êtres humains, avons besoin de conserver notre température à 37 degrés. Et face aux canicules en ville, au taux de particules fines dans l’air, nous devons nous reconnecter à ces fondamentaux. On ne va pas répondre à ces enjeux par de l’émotion mais par des mesures réelles qui font baisser la température de l’air et la pollution.

A partir de quand on rompt avec ce rôle premier de l’architecture ?

Aux alentours des années 1950, à la fois avec la découverte massive du pétrole mais aussi des antibiotiques et des vaccins. Mieux se chauffer, mieux manger, vivre plus vieux, c’était une période extraordinaire. J’ai grandi à cette période et je peux vous dire que ça nous a déconnecté des enjeux qui animent les humains depuis le début de leur existence. Par exemple, trouver à manger, se protéger du froid, construire des bâtiments à hauteur de la quantité d’énergie disponible…

Visite de l’exposition « Histoire naturelle de l’architecture – Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville » au Pavillon de l’Arsenal 

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Chez les architectes, l’état d’esprit est complètement en train de changer. Ça devient compliqué de construire en béton, de faire des bâtiments qui consomment beaucoup d’énergie. On s’intéresse beaucoup plus aux bâtiments en bois, aux matériaux moins transformés. Plus aucun architecte ne voit de manière neutre les gigantesques gratte-ciels de Dubaï aujourd’hui.

L’épidémie du Covid va-t-elle avoir des conséquences sur le plan architectural ?

C’est un peu tôt pour le dire. Mais nous constatons déjà que cela peut influer sur les matériaux choisis. Par exemple, le virus ne vit que quatre heures sur du cuivre, contre quatre jours sur de l’acier inoxydable. L’autre enjeu, c’est la ventilation. On sait qu’un air mal renouvelé peut contenir le virus, qui s’accroche à des particules comme la poussière ou, comme certains médecins le montrent, aux particules fines. Pour le reste, il est difficile de dire quelle sera la forme des villes de demain. Cette épidémie questionne avant tout la légitimité des métropoles.

Que pensez-vous du retour en grâce du pavillon individuel, pourtant jugé comme peu écologique ?

C’est une conséquence directe du confinement. Les gens réclament de l’air et un espace extérieur dans lequel s’oxygéner. Je vois l’avenir des villes comme un ensemble de petites villes, de petits villages, au détriment d’une métropole. Le pavillon en soi est un élément de la métropole, une conséquence de l’étalement urbain et des aller-retours entre le travail et le domicile. Alors que des villes moindres mais denses serait, en un sens, plus écologique. Cela accrédite le concept de la « ville du quart d’heure » et interroge le modèle de la métropole déconnectée des centres de production. On voit bien qu’en cas de confinement, de pandémie mondiale, le fait de produire des masques en Chine peut poser problème. Idem pour notre nourriture.

Comment le monde de l’architecture s’empare-t-il de la transition écologique ?

Il y a cinq ans, les questions écologiques intéressaient peu d’architectes. On assiste à une forme d’inertie de la profession, une forme de résistance de la part de certains. Mais depuis un an et demi, cela change. Défendre le béton à tout prix, ça ne tient plus. On assiste à une révolution au sens de Karl Marx. Le monde matériel change et révolutionne les formes esthétiques, artistiques et architecturales.

Infos pratiques : Exposition « Histoire naturelle de l’architecture – Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville » au Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, Paris (4e). Visites interactives en visio et en direct les samedis. Inscription sur eventbrite.com. Tarif : 5€. Plus d’infos sur pavillon-arsenal.com

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