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Le TikTokeur Féris Barkat veut faire du climat un sujet à la portée de tous

Suivi par 50 000 abonnés sur TikTok, Féris Barkat entend lutter contre l'ignorance climatique / DR
Suivi par 50 000 abonnés sur TikTok, Féris Barkat entend lutter contre l’ignorance climatique / DR

Co-fondateur de l'association Banlieues Climat, qui forme les jeunes des quartiers aux enjeux du climat, Féris Barkat s'appuie également sur les réseaux sociaux comme TikTok et Instagram pour sensibiliser sa génération à l'écologie et lutter ainsi contre l'ignorance climatique. Enlarge your Paris s'est entretenu avec lui.

Pouvez-vous nous dire qui vous êtes et la façon dont les préoccupations environnementales sont entrées dans votre vie ?

Féris Barkat : J’ai 20 ans et je viens d’Illkirch, une commune du sud de Strasbourg. Mon père et ma mère ont grandi dans des quartiers populaires et moi-même j’y ai grandi jusqu’au collège. En troisième, une prof d’histoire m’a aidé à intégrer un lycée du centre-ville. C’est là que je me suis un peu émancipé. Avant, mon rêve, c’était d’être footballeur. Dans ce lycée, mes camarades parlaient de Sciences Po, de prépa. Je me souviens aussi d’une visite guidée du lycée qu’on animait lors d’une Journée du patrimoine. Une dame nous a dit : « Dans votre lycée, il n’y a pas de fils d’ouvrier ! » Ben si, il y avait moi… Ça m’a fait réfléchir. J’ai découvert la philosophie, l’éloquence, l’engagement et c’est comme ça que j’ai pris confiance. Comment se fait-il que des pays, à l’autre bout de la planète, subissent des effets qu’ils n’ont pas causés ? Après le bac, je suis parti à Londres à la London School of Economics. Comme il n’y avait que 9 heures de cours par semaine – avec, évidemment, un gros travail personnel –, cela me laissait quand même le temps de m’engager.

Pourtant, en deuxième année, vous décidez de quitter la London School of Economics…

Pour des raisons familiale et au regard de la dérive climatique, j’ai décidé de suspendre mes études. En février 2022, je suis rentré au Collège citoyen de France, un cursus de quatre mois qui permet de développer son projet citoyen. Parce que, même si je me rendais compte de l’urgence climatique et de la nécessité d’agir, je voyais bien aussi que, quand je montrais à mes potes d’Illkirch mes fichiers PowerPoint sur le sujet, ils ne se sentaient pas trop concernés. Je me suis donc senti en décalage et je n’avais pas encore les outils intellectuels pour les former. Je me suis beaucoup cherché et mes mentors au Collège citoyen m’ont aidé à prendre la parole sur TikTok. Aujourd’hui, pour gagner ma vie, je fais aussi des conférences, je crée des contenus…

Comment l’association Banlieues Climat voit-elle le jour ?

En fait, c’est la fusion de deux projets. Moi, à l’époque, j’intervenais déjà dans les quartiers via Tesslab. Et j’avais créé un cycle pédagogique d’une demi-journée à destination des élèves de primaire pour sensibiliser les plus jeunes aux questions environnementales. Aussi, pourquoi ne pas former des jeunes des quartiers à animer ces ateliers dans les écoles ? Pendant la formation climat à Strasbourg, Abdelaali El Badaoui (cofondateur de Banlieues Santé et Banlieue School)  que j’avais rencontré au Collège Citoyen m’a proposé de cofonder Banlieues Climat avec le rappeur Sefyu et Sanaa Saitouli.

Sur quoi reposent les formations que vous proposez ?

Personnellement, j’ai grandi avec un tel déficit d’informations sur l’écologie qu’aujourd’hui je n’ai qu’une envie : les partager. Ça tombe bien parce que, sur le sujet du climat, il y a clairement une inégalité des connaissances. Or ceux qui en savent le moins sont aussi ceux qui, demain, seront les plus impactés par les bouleversements environnementaux. Comment a-t-on pu faire croire que l’écologie n’était pas le sujet des plus précaires ? Mais voilà, il faut trouver une porte d’entrée efficace. On ne peut pas standardiser les formations, il faut les élaborer en fonction de son public. Aussi, je passe beaucoup par le rap mais aussi les dessins animés japonais. La première slide de ma présentation, c’est une image de la Princesse Mononoké.

@ferisbarkat 1 minute pour comprendre. (C un reposte) #rechauffementclimatique #ecologie ♬ Epic Music(863502) – Draganov89

On dit souvent que la difficulté à intéresser les quartiers à la question de l’écologie tient à l’opposition « fin de mois » contre « fin du monde », parce que la première prend le pas sur la seconde. Cette analyse vous semble-t-elle recevable ?

Non. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’avec le réchauffement climatique les fins de mois vont être de plus en plus difficiles. Alors effectivement, on ne va pas forcément axer la communication sur les ours polaires. En revanche, on peut parler de la qualité de l’air ou de l’alimentation. Je crois qu’en fait, quand on s’adresse aux jeunes des quartiers populaires, il faut arrêter avec le discours d’hyper-responsabilisation des individus, du style « chaque petit geste compte ». Ça sert à quoi de vous dire d’arrêter de prendre l’avion quand vous ne le prenez jamais ? Idem, dans les quartiers, le niveau de consommation est assez faible. Le premier réflexe d’action est souvent tourné vers la consommation. Quand on s’adresse à des populations riches, c’est pertinent. Dans les banlieues, ça l’est nettement moins. Il faut donc activer d’autres leviers. Il me semble qu’il faut davantage tourner l’action vers la résilience. Que les habitants se demandent : est-ce que j’ai un maraîcher près de chez moi ? Et la situation des nappes phréatiques, on en est où ?

On a souvent tendance à aborder cette question de l’écologie dans les quartiers de façon descendante. En estimant que les habitants ont tout à apprendre. Mais ne peut-on pas orienter différemment le sujet en se demandant ce qu’ils ont à partager en la matière ?

Complètement ! Je crois que la première chose à apprendre des quartiers, c’est la force du groupe. Je suis convaincu qu’une écologie moins axée sur l’individuel et reposant sur le collectif peut naître en banlieue. Il y a aussi l’art de la débrouille, du réemploi. Je pense à l’un de mes copains qui est en train de créer son propre job de réparateur de trottinettes. Il récupère les pièces dans les décharges et, comme il bricole super bien, il remet en état celles de ses clients. En fait, j’aime bien l’idée selon laquelle si, dans les quartiers, le problème du réchauffement climatique nous touche plus, les solutions peuvent aussi y naître !

Quels sont les projets à venir pour Banlieues Climat ?

Nous avons déjà formé une première promo de jeunes à Strasbourg. On peaufine actuellement la formation car nous aimerions qu’elle soit certifiée par le ministère de l’Enseignement supérieur, qu’elle devienne diplômante. On fait découvrir un enjeu du siècle qui peut amener à des vocations, voire à des reconversions. Par exemple, les jeunes des quartiers peuvent constituer un vivier incroyable dans le cadre de la transition énergétique. Il n’y a pas que les élèves de Sciences Po ! Par ailleurs, on va proposer en mars une nouvelle session de formation à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Donc, si des jeunes sont intéressés, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter via Instagram ! Et puis nous avons aussi en chantier deux autres axes de réflexion : l’un sur des enquêtes concernant la qualité de l’air dans les quartiers que les habitants pourraient mener en étant accompagnés de scientifiques, l’autre s’appliquant plus spécifiquement aux familles sur les questions d’alimentation, d’économie domestique et de parentalité. J’ai la chance d’être extrêmement bien accompagné dans ce projet donc on va bosser ensemble pour définir la suite. Autant dire que nous avons du travail en perspective.

Infos pratiques : Féris Barkat est à suivre sur TikTok et Instagram. Pour suivre l’actualité de l’association Banlieues Climat, rendez-vous sur Instagram

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