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Comment parler d’écologie à Noël sans passer pour un donneur de leçons

Parler d'écologie sans rebuter toute la tablée, c'est l'objectif de la "méthode du plaisir" créée par Tammy Mayer, fondatrice de One Climate Action / ©  Jean-Pierre Lavoie (Creative commons - Flickr)
Parler d’écologie sans rebuter toute la tablée, c’est l’objectif du « modèle du plaisir » créé par Tammy Mayer, fondatrice de One Climate Action / © Jean-Pierre Lavoie (Creative commons – Flickr)

Khmer vert, écoterroriste, bobo… À vouloir convaincre absolument des enjeux liés au climat, le risque est grand de passer pour un donneur de leçons et de braquer ses interlocuteurs. Après avoir longtemps travaillé dans l'univers des ONG, Tammy Mayer a fondé en 2022 One Climate Action et propose des formations pour apprendre à faire passer ses messages sans rebuter et ainsi accroître son impact. Enlarge your Paris s'est entretenu avec elle pour aborder sereinement les repas de famille durant les fêtes de fin d'année.

Pourquoi avoir créé One Climate Action ? 

Tammy Mayer : Avec One Cimate Action, j’ai voulu proposer des formations aux personnes sensibles à l’écologie qui cherchent à avoir un impact aussi bien dans la sphère publique que plus près d’eux, au sein de leur famille. L’objectif est de comprendre comment faire passer un message, car la communication est essentielle pour parvenir à des solutions partagées et acceptées par le plus grand nombre. Je me suis appuyée pour cela sur trois ressources principales : le livre Saving us de la climatologue canadienne Katharine Hayhoe dans lequel elle explique les bases du changement climatique et la façon d’agir ; je suis également allée puiser chez la psychologue Renée Lertzman qui a beaucoup travaillé sur le sujet de la communication sur le climat ; enfin je me suis saisie des recherches de l’ONG Climate Outreach qui portent elles-aussi sur la communication en matière de changement climatique. À partir de tout ce corpus, j’ai créé une formation pour parler du climat d’une manière calme et qui invite les gens à s’y intéresser.

Quels sont les travers de ceux qui défendent une cause ?

Les militants convaincus par la nécessité d’agir en faveur du climat ont tendance à s’exprimer avec beaucoup d’ardeur, avec leurs peurs aussi, pour pousser les autres à prendre conscience comme eux de la situation et les amener à faire quelque chose. Au lieu de créer un changement chez leurs interlocuteurs, cette manière de vouloir convaincre à tout prix entraîne une résistance. Au bout du compte, le fait de ne pas avoir l’impact espéré est très décevant pour ceux qui cherchent à faire bouger les choses.

Quels sont écueils à éviter ?

En premier lieu, il faut être conscient que les faits sont une arme à double tranchant qui peut se retourner contre nous. Si l’on ne s’en tient qu’aux faits, cela peut avoir un effet culpabilisant chez certaines personnes qui vont se sentir attaquées. Au lieu d’être force de persuasion, les faits sont susceptibles de rebuter. C’est ce que nous dit Katharine Hayhoe : « Si nous donnons aux gens de nouvelles informations qui contredisent leur cadre de pensée, ce à quoi ils croient et ce à quoi leur tribu adhère, leur cerveau s’éteint tout simplement» Au lieu de déloger la désinformation, ces nouvelles informations ancrent la désinformation. De nombreuses études psychologiques montrent que, lorsque nos croyances sont face à des contre-preuves, nous avons tendance à chercher les raisons pour lesquelles notre croyance initiale est correcte. Nous cherchons à justifier notre première croyance. Les efforts pour aller contre la désinformation ne vont faire que renforcer la désinformation. C’est pourquoi il faut utiliser les faits si c’est naturel dans la conversation mais il ne faut pas les pousser. Il s’agit d’être économe avec les faits que l’on décrit. De la même manière, selon Katharine Hayhoe, mettre en garde contre de potentiels périls a plus de chances de faire fuir les gens que de changer leurs comportements. La psychologie nous apprend que les êtres humains ont évolué pour éviter la douleur, et que tout ce qui génère de la peur fait réagir la partie reptilienne de notre cerveau, c’est-à-dire nos comportements primitifs. Quand quelqu’un est confronté à un récit anxiogène, il va possiblement ne pas écouter pour éviter de provoquer chez lui de la douleur ou du stress. Ce mécanisme peut aller jusqu’au déni ou à la colère.

Comment faire pour aborder un sujet qui nous tient à cœur ?

Il ne faut pas arriver avec un argumentaire tout fait mais créer les conditions de la conversation. Il est important que la personne avec qui l’on parle se sente en sécurité et s’assurer au préalable que l’on est le bon messager. Par exemple si votre mère continue de vous considérer comme un enfant, elle refusera toujours d’entendre vos arguments en faveur du climat. Il vous faut donc trouver un autre messager de confiance qui sera votre relais auprès d’elle. À l’inverse, si vous parlez avec une personne qui partage les mêmes intérêts que vous, vous allez dans ce cas pouvoir mener une conversation argumentée car vous serez perçu comme un messager de confiance.

Pour parler du climat, il faut donc commencer par installer un climat de confiance…

C’est un critère essentiel. Cela tient à notre manière de parler, au ton que l’on utilise et à notre capacité à installer un vrai dialogue. Quand on est militant, le risque est de s’enfermer dans un monologue. Pour créer un sentiment de sécurité, il faut s’inscrire dans un va-et-vient et avoir de la bienveillance pour son interlocuteur, être sur un pied d’égalité. Son opinion doit compter autant que la nôtre voire plus parce que, pour accepter de se laisser convaincre, il doit vraiment se sentir en sécurité. Je conseille d’ailleurs de mettre l’autre sur un piédestal pour qu’il ne se sente pas jugé et qu’il sente que ses idées comptent. Beaucoup de personnes rejettent les discussions sur le climat de peur d’être jugées pour leur propre comportement, leurs propres choix ou leurs propres peurs. Mieux vaut donc avoir plusieurs petites conversations dans la durée que de forcer les choses.

Cette approche est défendue par Stein van Oosteren, militant de la cause vélo et porte-parole du Collectif Vélo Île-de-FranceSelon lui, « pour changer les choses, il faut déclencher des milliers de conversations ». Et il ajoute ceci : « Il ne s’agit pas de conversations pour convaincre. C’est impossible, car nous ne sommes pas rationnels et il est donc impossible de nous changer par les arguments»

En effet, il faut avoir à l’esprit que, lorsque nous prenons des décisions, nos émotions ont plus de poids que notre capacité à raisonner. Il est donc très important que dans la prise de décision nous nous sentions en sécurité pour avoir une pensée créative afin de faire émerger de nouvelles idées. Car, face à l’urgence climatique, nous devons être créatifs. Nous devons être capables de nous dire que nos vies vont changer et que cela ne constitue pas en soi une mauvaise chose. Pour cela, nous devons faire en sorte que notre cerveau reptilien et nos peurs ne prennent pas le dessus. Pour beaucoup de personnes, il est très dur de penser le changement. Quand j’ai quitté les États-Unis pour venir m’installer en France, certaines personnes m’ont dit que j’avais beaucoup de courage. Ce n’était pourtant pas mon ressenti. Je voyais cela comme une aventure, de celles que la vie vous offre lorsque l’on accepte d’être dans le mouvement. Si pour moi c’est naturel, je sais aussi que pour d’autres il sera très difficile, voire impossible, de quitter sa ville natale. Si l’expatriation est vue comme quelque chose de compliqué, alors changer sa façon de penser l’est encore davantage.

Plutôt que de chercher à convaincre, il faudrait donc plutôt chercher à partager sa confiance dans le changement et sa joie de vivre…

Tout à fait ! Il faut stimuler la joie plus que la peur. Si l’unique but est de convaincre, de prouver que l’on est expert, cela va être fun pour soi mais cela n’aura aucun impact positif. Au contraire, cela risque de détruire l’intérêt des autres à écouter et à changer. Avec One Climate Action, j’ai créé ce que j’appelle le « modèle du plaisir ». Pour beaucoup de gens, le changement climatique est loin de la réalité vécue. Les images d’ours polaires ou les prévisions à 30 ans ne les touchent pas. Ils ont le sentiment que la menace est éloignée et cela diminue d’autant leur motivation à agir aujourd’hui. Le modèle du plaisir adapté à la conversation permet de rapprocher mentalement l’avenir. On associe une chose que la personne aime beaucoup, ou dont elle se sent physiquement proche, à une menace climatique pour susciter de l’émotion. Il ne s’agit pas pour autant de faire peur. Si par exemple mon interlocuteur aime le vin, je vais pouvoir lancer une conversation sur ce sujet et, à un moment, partager mon inquiétude vis-à-vis de la vigne et du changement climatique. Je vais parler brièvement de la raison pour laquelle je m’inquiète et je vais mentionner une initiative qui vise à améliorer la situation. Il faut basculer rapidement du souci aux solutions puis revenir à la discussion plaisir. Cela suppose au préalable de récolter des informations sur ce qui est menacé et d’identifier les solutions qui sont mises en place.

La posture doit être avant tout empathique avant d’être didactique…

L’une des clés d’une conversation réussie est d’écouter plus que de parler. C’est un grand changement car quand on pense persuasion on imagine un monologue. Pour que la personne avec qui l’on parle se sente bien, il faut l’écouter et lui poser des questions. Il est essentiel de la laisser développer son raisonnement. C’est dur pour quelqu’un de passionné de laisser l’autre mûrir son idée. C’est dur de ne pas tout de suite imposer sa vision des choses. Quand on est investi dans l’action en faveur du climat, on peut penser qu’il n’y a de solutions que dans notre tête. Le problème est que, si l’on impose nos solutions, on retire aux autres toute créativité et on nie la diversité. Or, dans la nature comme en politique, la diversité est essentielle. Résoudre la crise climatique passera nécessairement par le collectif. Donc, plutôt que de chercher à convaincre, il est plus utile de partager ses propres inquiétudes. En faisant cela, on montre notre faiblesse, on se met à nu. C’est ce qui peut permettre à notre interlocuteur d’adopter une autre perspective. Si on parle de manière calme et sincère, l’autre peut laisser tomber ses barrières et faire preuve de bienveillance. Cela peut même devenir une motivation pour lui de nous soutenir. On est dans la tendresse de part et d’autre.

L’urgence climatique est aujourd’hui un sujet de quasi-consensus mais parler d’écologie reste clivant. Comment l’expliquez-vous ?

Les ONG tout comme les politiques ont tellement poussé le côté peur qu’avoir une discussion qui évoque le climat charrie des émotions négatives. Il est donc préférable d’éviter certains mots, à commencer par « climat ». Mieux vaut parler de « météo » pour éviter de déclencher la peur. On peut aussi craindre les messagers, redouter de se sentir agressé, d’être jugé. C’est pour ça que les écologistes doivent trouver de nouvelles postures afin de créer de la sécurité même dans un contexte d’urgence climatique. Il faut pacifier. En tant qu’écologiste, on est devenu agresseur. D’où l’expression d’« écoterroriste ». Ce sentiment est amplifié par les actions d’Extinction Rebellion. Il faut comprendre que ceux à qui on s’adresse sont encore plus effrayés que nous et qu’ils n’ont pas encore dépassé leurs peurs. Il s’agit donc de les accompagner plutôt que de leur reprocher.

À qui les formations de One Climate Action s’adressent-elles ?

À tout le monde ! En 2022, j’ai travaillé sur un prototype entièrement gratuit que j’ai proposé à des particuliers à qui j’ai demandé leur avis. Ils ont notamment souhaité qu’il y ait davantage de mises en situation. Je vais maintenant compléter le dispositif sachant que le prochain atelier de formation pour les particuliers démarrera en février. Par ailleurs, au printemps 2023, je lancerai une offre à destination des entreprises.

Infos pratiques : plus d’infos sur oneclimateaction.com

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