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« La promotion du vélo et de la marche est devenue essentielle »

Si 21% des Franciliens choisissent de se déplacer à pied ou à vélo au quotidien, la voirie urbaine d’Île-de-France reste peu cyclable dans son ensemble, et parfois même difficilement marchable soulignent Sophie Laurent, architecte-urbaniste, et Dominique Riou, ingénieur transport.

En vélo à Paris / ©  Pascale EVAIN (Creative commons - Flickr)
En vélo à Paris / © Pascale EVAIN (Creative commons – Flickr)

Sophie Laurent, architecte-urbaniste, et Dominique Riou, ingénieur transport, au sein de l’Institut Paris Region. Cette analyse est tirée du cahier « Bouger ! Le sport rythme la ville » publié en juillet par l’Institut Paris Region et téléchargeable gratuitement

La marche et le vélo sont des modes de transport dit « actifs », car l’énergie nécessaire au déplacement est produite par la propre activité physique de la personne transportée. Alors que l’on a longtemps parlé de modes « doux », au regard de leurs faibles impacts négatifs sur l’environnement, cette évolution sémantique est très révélatrice des enjeux que ces deux moyens de se déplacer portent aujourd’hui. Face à la congestion chronique des grands réseaux de transports routiers ou ferrés, à la mauvaise qualité de l’air en ville et à la crise climatique, la promotion des modes actifs dans la mobilité du quotidien n’est plus secondaire, elle est devenue essentielle.

Les enjeux sont multiples : réduction des nuisances liées à l’utilisation excessive de la voiture (en particulier pour les courts trajets, dont beaucoup sont encore réalisés ainsi), réduction de la pression sur les transports collectifs, gain en mobilité et en accessibilité pour certains, notamment vers l’emploi et les services. Il s’agit de contribuer à l’émergence de transports décarbonés pour lesquels les modes actifs sont très performants. Il s’agit également de promouvoir un environnement urbain plus apaisé, des espaces publics davantage partagés, une plus grande sobriété dans la mobilité et une plus grande accessibilité pour tous.

Se déplacer au quotidien à pied ou à vélo est une des occasions les plus abordables de mettre en pratique l’une des recommandations du Programme National Nutrition Santé (PNNS) : pratiquer une activité physique dynamique au minimum trente minutes par jour. Trente minutes correspondent à environ 2 km de marche ou de 7 à 10 km à vélo. Ces portées sont compatibles avec de nombreux déplacements, que ce soit pour rejoindre son lieu de travail ou aller vers une station de transports collectifs.

« La voirie urbaine d’Île-de-France reste peu cyclable dans son ensemble, et parfois même difficilement marchable »

Certes, le vélo est encore parfois considéré comme un mode de transport dangereux, et les conditions de son usage en ville restent encore trop souvent inconfortables. Cependant, si faire du vélo en ville n’est pas sans risques, comme toute activité de déplacement, il n’est pas non plus anormalement dangereux, contrairement à l’image dont il pâtit encore. Le bilan de l’évaluation effectuée en 2012 par l’Observatoire régional de santé (ORS), département de l’Institut Paris Region, a démontré que les risques d’accidentologie sont largement compensés par les bénéfices.

La voirie urbaine d’Île-de-France reste peu cyclable dans son ensemble, et parfois même difficilement marchable, que l’on soit en zone dense ou dans des secteurs périurbains. C’est un héritage de politiques de transports ayant donné de longue date priorité au trafic automobile et au stationnement : la place allouée au piéton est parfois minimaliste, et celle du vélo souvent inexistante. Des vitesses de circulation trop élevées rendent la rue peu confortable, voire dangereuse pour les modes actifs, et de nombreuses coupures urbaines et discontinuités d’itinéraires grèvent l’efficacité des aménagements cyclables et piétons déjà réalisés.

Les formes urbaines en tant que telles ont également un impact sur la pratique du vélo ou de la marche : les grandes emprises obligent à des parcours parfois longs dans des environnements inadaptés. La faiblesse de l’offre de stationnement adaptée pour les vélos, au domicile ou au travail, devant les gares et autres équipements publics, est aussi un frein au développement de son usage. Au-delà de l’aménagement, des freins sociaux et sociétaux puissants persistent, liés à une image soit dégradée des modes actifs soit survalorisée de modes individuels motorisés.

« De nombreuses communes ou intercommunalités franciliennes ont lancé des démarches de type Plan Piéton ou Plan Vélo »

La promotion des modes actifs est inscrite au premier rang des actions à mettre en œuvre dans le cadre du Plan de déplacements urbains (PDUIF) élaboré par Île-de-France Mobilités et porté par la Région Île-de-France à travers la feuille de route 2017-2020. Le PDUIF souhaite « redonner à la marche de l’importance dans la chaîne de déplacements et donner un nouveau souffle à la pratique du vélo » afin d’être en mesure, avec d’autres actions, de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements sur la période 2010-2020. Ils doivent « être intégrés dans les politiques de déplacements comme de véritables modes de déplacements du quotidien et non comme des modes réservés aux loisirs ».

Il n’existe pas à ce jour de politique régionale de la marche. En revanche, la Région Île-de-France a adopté, en juillet 2016, son Plan Vélo, qui intègre un objectif de généralisation du partage de la rue, à travers notamment l’apaisement de la circulation, projet favorable au développement de tous les modes actifs. Il intègre des actions concernant l’amélioration des infrastructures cyclables, le développement des services aux cyclistes et la promotion de ce mode de transport.

À des échelles plus locales, de nombreuses communes ou intercommunalités franciliennes ont lancé des démarches de type Plan Piéton ou Plan Vélo. Certaines mettent en œuvre de nouvelles techniques de conception de voirie visant à favoriser les modes actifs et la ville apaisée. C’est à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) qu’est né le terme de « Ville 30 » en 2005. Depuis, le concept a fait florès, et ce sont désormais 23 communes franciliennes, telles Sceaux, Fontainebleau ou Montreuil, qui appliquent ce principe d’une généralisation du 30 km/h et la mise en place de nouveaux aménagements qualitatifs.

« 21 % des Franciliens choisissent de se déplacer à pied ou à vélo au quotidien pour l’exercice physique que cela leur procure »

Les acteurs publics organisent aussi le développement de services visant à améliorer l’image des modes actifs. On peut citer l’exemple des appels à projets d’Île-de-France Mobilité (les « Trophées de la Mobilité »), ou ceux de la Société du Grand Paris, autour des gares du futur métro du Grand Paris Express. Le milieu associatif n’est pas en reste, soutenu par les acteurs publics, de l’éducation à l’environnement, avec des actions dans les écoles visant à développer l’écomobilité dès le plus jeune âge : pédibus ou vélobus, permis piétons/vélos, campagnes dans les écoles, kits pédagogiques tels que le kit « Je m’écotransporte »… Des startups s’appuient également sur la tendance à l’écomobilité pour proposer des services visant à développer l’usage des modes actifs : outils de calculs d’itinéraires bien sûr, mais aussi de renforcement de la convivialité et de la sécurité des déplacements, comme les applications de « co-piétonnage ».

21 % des Franciliens choisissent de se déplacer à pied ou à vélo au quotidien pour l’exercice physique que cela leur procure. Marcher et pédaler chaque jour, c’est faire un peu de sport sans s’en rendre compte. Et cette pratique initie un cercle vertueux : la dynamique de bien-être engagée permet d’être d’autant plus disponible et alerte pour s’engager dans des pratiques sportives plus soutenues. Par ailleurs, les sportifs réguliers peuvent trouver dans cette pratique du quotidien un complément à leur programme d’entraînement.

La prise en compte de l’égalité femmes-hommes dans l’espace public est particulièrement à considérer pour atteindre ces objectifs de meilleur partage de la rue, ainsi que de tous les équipements publics culturels et sportifs qui s’y trouvent. La Ville de Paris et le Centre national de la Fonction publique territoriale Île-de-France (CNFPT) travaillent de concert sur cette problématique depuis plusieurs années. Même si des freins et des difficultés persistent, les villes et territoires franciliens portent cette tendance. La promotion des modes actifs est aussi celle d’une ville apaisée, moins polluée, moins encombrée, dans laquelle les activités d’extérieur, notamment sportives, deviennent plus évidentes et plus accessibles. C’est d’ailleurs dans ce sens que le Grand Londres a placé la santé publique au cœur de sa nouvelle stratégie des transports, baptisée « Healthy Streets for London ».

Infos pratiques : Cette analyse est tirée du cahier « Bouger ! Le sport rythme la ville » publié en juillet par l’Institut Paris Region et téléchargeable gratuitement