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Les associations, actrices du retour du vélo en Île-de-France

Marquage au sol de la ligne V1 du projet de réseau Vélopolitain à Paris le 12 décembre par un collectif d'associations / © Paris en selle
Marquage au sol de la ligne V1 du projet de réseau Vélopolitain à Paris le 12 décembre 2019 par un collectif d’associations vélo / © Paris en selle

Selon les premiers résultats de l'Enquête global transport 2020, l'usage du vélo a grimpé de près de 30% en dix ans en Île-de-France. La mobilisation du mouvement associatif a joué un rôle décisif dans ce développement, ce qu'analysent Dominique Riou, ingénieur transport à l'Institut Paris Region et Clément Dusong, doctorant à l’Université Gustave Eiffel.

Dominique Riou, ingénieur transport à l’Institut Paris Region et Clément Dusong, doctorant à l’Université Gustave Eiffel

Le monde associatif a eu historiquement un rôle prépondérant dans l’essor du vélo en Île-de-France. Il se renouvelle aujourd’hui dans un contexte où l’usage de ce mode de transport se généralise. Les actions comme les modes d’actions du mouvement citoyen se transforment, accompagnant l’augmentation de la pratique ainsi que la prise en compte progressive de ce mode par les politiques publiques.

Durant les années 1970, l’usage du vélo à Paris est au plus bas : seulement 0,3 % des déplacements des Parisiens selon l’Enquête globale transport (EGT) de 1976 tandis qu’à l’échelle de l’Île-de-France, la pratique se maintient encore à 2 % de part modale. L’usage du vélo va alors lentement progresser dans la capitale pour atteindre 0,4 % à l’EGT 1991 et décoller ensuite dans les années 1990 et 2000 pour atteindre 3 % en 2010. À l’inverse, au niveau régional, la part modale du vélo est encore à 2 % en 1976 mais s’effondre ensuite avec un minima de 0,8 % en 1991, pour remonter progressivement et atteindre 1,6 % en 2010 (mais avec un volume supérieur à celui de 1976) et 2 % en 2018.

Le rôle pionnier de l’association MDB

De nombreuses explications permettent de comprendre pourquoi le retour de l’usage du vélo est plus précoce à Paris qu’à l’échelle francilienne. Le changement de l’image du vélo, la composition sociodémographique des territoires, la réduction de l’espace consacré à la voiture, la nature des déplacements ou le lobbying citoyen sont des facteurs explicatifs. Parmi ces éléments, la présence d’une association militante plaidant pour la promotion de l’usage du vélo sur le territoire parisien paraît décisive. La création en 1972 du Mouvement pour les couloirs à bicyclette (MPCB), qui deviendra deux ans plus tard le Mouvement de défense de la bicyclette (MDB, renommé en 2004 Mieux se déplacer à bicyclette), amorce le début des revendications des cyclistes parisiens. Cette pression militante n’aboutit pas à une prise en compte immédiate des besoins des cyclistes mais est une voix décisive dans les réflexions sur l’évolution de la mobilité parisienne.

La prise en compte des revendications par la municipalité est croissante au cours des années suivantes, jusqu’à aujourd’hui où l’association, subventionnée par la Mairie de Paris, est consultée au sein du comité vélo de la ville. Pendant de nombreuses années, l’échelle d’action de l’association MDB n’est pas strictement circonscrite à Paris. Néanmoins en banlieue, les réclamations des cyclistes ne disposent pas de relais équivalent. On constate la création de quelques structures militantes hors Paris au cours des années 1990. Cependant, c’est seulement à partir du début des années 2000 que le mouvement de création d’associations vélo se diffuse véritablement sur les autres territoires.

Un développement du vélo porté par le déménagement des Parisiens en banlieue

Depuis l’année 2002, on assiste sur tout le territoire francilien à un véritable essor de la création d’associations locales faisant la promotion du vélo. Cette dynamique coïncide avec le retour de la mobilité quotidienne à vélo en Île-de-France et interroge sur une potentielle diffusion spatiale de son usage du centre vers la périphérie de l’agglomération. L’étude de la création de ces associations corrobore cette idée pour plusieurs raisons. En premier lieu, on constate que certaines structures parisiennes étendent leur champ d’action en créant des sections locales en banlieue et, en second lieu, on retrouve également parmi les membres d’associations de banlieue d’anciens cyclistes parisiens.

Ce développement est en partie porté par les parcours résidentiels de Parisiens quittant le centre pour la périphérie et emportant avec eux leurs pratiques de mobilité et leurs investissements dans l’action citoyenne. Cet essaimage des associations sur le territoire francilien s’accompagne d’une diversification progressive de leurs actions, des structures et de leurs objectifs. Alors que la majorité des premières associations d’usagers du vélo se consacraient à faire du lobbying auprès des collectivités pour la promotion du vélo, ces organismes se sont mis au fil du temps à proposer des services aux cyclistes. Il est possible d’identifier trois types d’activités majeures : les ateliers d’auto-réparation qui permettent aux adhérents de réparer leurs vélos grâce aux outils et aux conseils des adhérents ou salariés de l’association ; des cours de vélo-école dédiés à l’apprentissage du vélo et la remise en selle pour les enfants et les adultes afin de mieux appréhender la circulation en milieu urbain ; et enfin des sorties à vélo, de la balade familiale à la « masse critique », pour permettre aux usagers de découvrir leur environnement de manière ludique tout en revendiquant davantage de place sur la voirie.

Certaines structures s’orientent directement lors de leur création vers une ou plusieurs de ces actions tandis que parmi les anciennes associations, certaines élargissent, voire réorientent leurs activités dans l’objectif de s’adapter aux contraintes locales, aux capacités de la structure, aux besoins et aux revendications des cyclistes. Les associations autonomes type loi 1901 faisant uniquement la promotion du vélo ne sont plus la seule forme d’organisation. Certaines associations parisiennes comme MDB ou Paris en Selle (PeS) développent des antennes ou groupes locaux, de nouveaux ateliers vélos sont gérés par des organismes ouverts sur l’ensemble des enjeux liés au développement durable, et de multiples groupes informels fleurissent grâce aux réseaux sociaux. Le mouvement militant devient de plus en plus hétérogène et protéiforme.

Rassemblement de cyclistes devant l'Hôtel de Ville à Paris / © Mieux se déplacer à bicyclette en Île-de-France
Rassemblement de cyclistes devant l’Hôtel de Ville à Paris / © Mieux se déplacer à bicyclette en Île-de-France

« Penser global, agir local »

Derrière cette diversité, on retrouve un objectif commun pour le déploiement de pratiques de déplacement durable. Pour les associations, le vélo permet d’offrir une réponse locale aux enjeux de transport, économiques, environnementaux et sociaux qui traversent la société. La formule « Penser global, agir local » traduit la logique d’action des associations dont les activités dépassent rarement le cadre de la commune. Qu’elles mènent des actions avec la population locale, en proposant des cours de vélo-école et des ateliers ou bien qu’elles interpellent la puissance publique, en militant pour promouvoir l’usage du vélo, les associations cherchent à rendre visibles des besoins et des revendications souvent mal pris en compte par les politiques locales. Dans ces démarches, les associations pro-vélo restent généralement limitées à des actions à l’échelle communale, du fait du découpage administratif du territoire, avec de réelles difficultés à intervenir sur des territoires plus larges même si cela s’avère pertinent ou nécessaire.

Néanmoins, l’évolution récente de la structuration du monde associatif avec la création en mars 2019 du Collectif Vélo Île-de-France, les multiples réorganisations institutionnelles au niveau régional et l’intérêt progressif des élus pour le vélo augurent un changement d’envergure pour l’action associative. En créant une structure associative à un échelon intermédiaire entre la fédération nationale, la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB) et les associations locales, le Collectif Vélo ouvre la possibilité d’un dialogue avec de nouveaux acteurs institutionnels qui disposent ainsi d’un contrepoids citoyen organisé, dont l’assise dépasse l’échelle locale.

Un contexte porteur

Cette réorganisation du secteur associatif est une étape indispensable pour accompagner l’évolution de la gouvernance et la prise en compte de plus en plus puissante du vélo dans les politiques publiques de mobilité. La Région Île-de-France porte aujourd’hui un plan Vélo promouvant le développement d’infrastructures, de stationnement et de services pour les cyclistes. L’autorité organisatrice Île-de-France Mobilités poursuit le développement des espaces de stationnement sécurisé à proximité des gares, Véligo Station, et propose depuis septembre 2019, un nouveau service de location longue durée de vélos à assistance électrique (Véligo Location).

Les gestionnaires de voirie de l’ensemble du territoire régional (l’État, les départements, les communes et intercommunalités) sont à la tête de presque 6 000 km de linéaires cyclables, le double d’il y a 10 ans. Dans ce contexte porteur, les associations de promotion du vélo se positionnent plus facilement en tant que force de proposition. Le concept RER V (Réseau express régional vélo), présenté en janvier dernier, en est l’exemple le plus probant. Porté par les 33 associations du Collectif Vélo Île-de-France, il propose la construction d’un réseau cyclable régional sur le modèle des transports en commun. Cette évolution des positions et des pratiques est au final très positive, voire indispensable, pour aborder efficacement les enjeux croisés de mobilité durable et de transition écologique.

Infos pratiques : L’état des lieux des aménagements cyclables en Île-de-France est à retrouver sur le site de l’Institut Paris Region