Culture
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Je suis parti contempler la « Joconde des manuscrits » au château de Chantilly (et j’en ai profité pour goûter à la vraie chantilly)

Le château de Chantilly / © Mattis (Wikimedia commons)
Le château de Chantilly expose la « Joconde des manuscrits » jusqu’en octobre / © Mattis (Wikimedia commons)

Pour la première et sans doute la dernière fois depuis le XVe siècle, les plus belles pages du « plus beau manuscrit du monde », la « Joconde des manuscrits », sont exposées côte-à-côte comme des tableaux au château de Chantilly. Ce qu'est allé contempler John Laurenson, correspondant pour la BBC, qui partage ses expériences du Grand Paris avec Enlarge your Paris.

Depuis 2023, le journaliste et correspondant pour la BBC John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec la Joconde. Pas celle du Louvre mais la « Joconde des manuscrits » exposée exceptionnellement jusqu’en octobre au château de Chantilly (Oise). Et je compte bien en profiter pour goûter la crème chantilly, la vraie. Mais pour cela, il faut d’abord marcher une petite demi-heure pour gagner le château depuis la gare. Je longe un bois royal, traverse une large pelouse et frôle un hippodrome avant de me retrouver sur l’avenante rue d’Aumale.

Le duc d’Aumale est important pour notre affaire de manuscrit. J’en suis vaguement conscient. Mais il est presque 13 h. Je tape « où manger de la crème Chantilly à Chantilly ? » dans mon téléphone et apparaît le site de la Confrérie des Chevaliers Fouetteurs de crème Chantilly. Le monde est bien fait tout de même. La première adresse dont parlent ces Chevaliers Fouetteurs se trouve à 160 mètres. Cinq minutes plus tard, je suis installé dans le jardin ombragé du Vertugadin une« néo-auberge », c’est ce qui est marqué sur la carte. Pour moi, c’est plus vieillot que néo mais tant mieux… Je suis là pour la chantilly et je veux qu’elle soit dans la tradition.

 
 
 
 
 
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Pâté en croûte et crème chantilly

Je commande un pâté en croûte en préambule. Ça fait un peu moyenâgeux, le pâté en croûte, non ? Je suis sûr que le duc de Berry a mangé du pâté en croûte. Ou je confonds avec la comtesse du Barry. Et puis arrive la chantilly. Elle se présente très bien. La crème ondule comme le tulle d’une robe de mariée qui avance dans l’aile centrale d’une église. Au goût, elle est légèrement vanillée, légèrement sucrée. Légère tout court d’ailleurs. Légère mais volumineuse. Le serveur m’a donné le choix entre une coupe à trois euros et une coupe à cinq euros et, ne voulant pas faire dans la demi-mesure en pareil moment, j’ai pris la grande. Trop grande pour moi. Où moi pas assez grand pour elle. 

Pendant le café je m’instruis. Le duc d’Aumale, Henri d’Orléans, était au XIXe siècle le châtelain de Chantilly, ce si beau château qui  donne l’impression de flotter sur l’eau qui l’entoure. Alors qu’il était exilé en Angleterre quelques années après la Révolution, on lui a proposé d’acheter un manuscrit. Il a feuilleté ses pages. On l’imagine découvrant les douzaines d’enluminures, ces tableaux en miniatures de couleurs et de dessins exquis. On ignorait encore qu’il s’agissait du livre d’heures (de prières, Ndlr) que le frère du roi Charles V, Jean de Berry, avait commandé aux artistes hollandais, les frères Limburg, à la fin du Moyen Âge. Le duc d’Aumale savait pourtant qu’il tenait entre ses mains quelque chose de prodigieux : « J’ose dire qu’il n’a pas de rival. » Il l’achète. 20 000 francs. À sa mort, il le donne à la Nation mais à la condition qu’il ne sorte jamais de son château. Il ne viendra pas à nous ; il faut donc aller à lui et, ça y est, j’y suis. Enfin, il n’est pas dans le château même, mais dans la salle du jeu de Paume.

À livre ouvert

Je comprends grâce à un panneau explicatif ce qui m’a échappé jusqu’ici : l’occasion nous est offerte de voir une œuvre fabuleuse dans des conditions exceptionnelles. Les Très Riches Heures étant un livre, il est donc impossible logiquement d’exposer plus de deux pages à la fois. Mais là, à l’occasion de travaux de restauration, ses pages ont été séparées pour la première fois et sont exposées comme des tableaux dans une galerie. Le conservateur a par ailleurs réuni plusieurs livres d’heures médiévaux qui complètent cette exposition. Il y a le risque, je trouve, de trop se disperser. Et puis, je me connais. J’ai tendance à passer un certain temps devant chaque tableau. Il y a des membres de ma famille qui refusent d’aller à des expos avec moi tellement je suis lent.

Je vais donc droit au but et me retrouve dans une salle où la lumière est basse et où les 12 enluminures pleine page les plus connues des Très Riches Heures sont exposées en hémicycle. Il s’agit d’un calendrier. Une lumière, de la couleur surgissent doucement des images. Les gens parlent à voix basse. Il n’y a – c’est assez surprenant pour un livre de prières – rien de religieux dans ces représentations de la vie au Moyen Âge, mais ici l’art même est sacré. On découvre, au fil des mois et des saisons, la vie des seigneurs et des paysans. On élève des cochons et on fait la cour, on festoie, on chasse avec des faucons et avec des chiens, on vendange. On fête la fertilité et l’abondance en France, et très souvent dans les environs de Paris. On le sait parce que dans presque chaque tableau on voit un château. Un vrai. Celui de Dourdan (Essonne) par exemple ou de Vincennes (Val-de-Marne).

Détails coquins

Ce sont des images de la vie médiévale idéalisée certes, mais aussi très humaines, frappées des détails du réel. D’une réalité crue même. Prenez février. La neige est partout. Dans une bergerie les moutons se tiennent chaud. Un homme conduit un âne, un autre coupe du bois. Sa veste est bleue. À l’époque, le bleu était difficile à obtenir. Précieux. Littéralement. Le bleu de sa veste, c’est du lapis-lazuli moulu.

On voit aussi l’intérieur d’une maison paysanne. Une inspiration d’artiste brillante : elle est montrée en plan de coupe, comme si on avait simplement enlevé sa façade. À l’intérieur, trois personnages sont assis devant le feu. Ils relèvent leurs robes pour mieux chauffer leurs jambes et, pour deux d’entre eux, un homme et une femme, bien plus… Ça ne se voit pas à première vue ; ce sont les secrets coquins de la miniature. Une exposition dans l’exposition. On découvre aussi quelques belles coutumes d’autrefois. Au mois de mai, on voit des nobles à cheval dans la forêt, les dames en robes vert tendre, des seigneurs portant des couronnes et des colliers de feuilles pour fêter le renouveau. C’est un art plein de beauté et plein de vie qu’on voit ici. Allez donc à Chantilly. Vous y passerez, vous aussi, de très riches heures.

Infos pratiques : exposition « Les Très Riches Heures de duc de Berry » au château de Chantilly, salle du jeu de Paume, rue du Connétable, Chantilly (60). Ouvert tous les jours sauf le mardi jusqu’au 5 octobre de 10 h à 18 h. Tarifs : 12 € (plein tarif), 10 € (7-25 ans). Accès : gare de Chantilly Gouvieux (RER D) puis 30 mn de marche. Plus d’infos sur chateaudechantilly.fr

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