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Une Cinémathèque idéale des banlieues du monde est en train de voir le jour

Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui et Hubert Koundé (de g. à dr.) dans La Haine sorti en 1995 / © Alatele fr (Creative commons – Flickr)

« Pas un lieu, plutôt un mouvement. » C'est ainsi que Clément Postec, conseiller artistique aux Ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil, décrit la Cinémathèque idéale des banlieues du monde à Enlarge your Paris.

D’où vient ce projet de Cinémathèque idéale des banlieues du monde ?

Clément Postec : C’est la cinéaste Alice Diop qui en est à l’origine. Elle a fait partie, en 2017, de la première promotion d’artistes chercheurs accueillie en résidence aux Ateliers Médicis. Or nous aimons poursuivre les collaborations. En 2020, à la sortie du premier confinement, Alice nous montre son film Nous [sorti en salle le 16 février dernier, NDLR]. Le film nous paraît important, nous souhaitons l’accompagner ; mais nous ne sommes ni distributeurs ni exploitants de salle… Nous avons donc l’idée de monter un cycle autour du cinéma et des quartiers populaires. J’écris donc à des partenaires comme le Centre Pompidou, Cinémas 93 et les services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis. Mais, avec le covid, tout prend beaucoup plus de temps à se mettre en place. C’est lors d’une discussion avec les partenaires à l’automne 2020 qu’Alice prononce le terme de « Cinémathèque idéale des banlieues du monde ».

Quelle est la finalité d’un tel projet ?

Il est urgent à la fois de dissiper un malentendu et de renforcer la mémoire. Le malentendu, c’est qu’il y aurait un « genre » qui serait le film de banlieue. Or cette typologie n’existe pas. Il s’agit donc de lutter contre cette assignation. Par exemple, Alice Diop nous disait qu’il a fallu qu’elle aille à New York pour que quelqu’un fasse le lien entre son film et le cinéma de Marguerite Duras. En France, dans les critiques, on l’associe presque systématiquement à la banlieue. Concernant la mémoire, Alice soulignait que les cinéastes issus des quartiers étaient souvent perçus comme des « phénomènes ». Ils apparaissent puis disparaissent. Il y a donc là un travail de consolidation à mener. Il s’agit aussi de construire un patrimoine : en banlieue, le patrimoine ne se structure pas, certaines mémoires sont invisibles, peu représentées.

Mais, élaborer une Cinémathèque idéale des banlieues du monde, n’est-ce pas aussi prendre le risque d’en faire un sujet à part ?

Comme le dit le philosophe Mathieu Potte-Bonneville, la démarche est paradoxale : il faut à la fois reconnaître la banlieue et ne pas accepter d’y être réduit. Pour contrer l’assignation, il faut demander la reconnaissance. Par ailleurs, j’attire votre attention sur cette idée de « banlieues du monde ». C’est important : la Cinémathèque aura des connexions avec la région parisienne mais aussi avec Marseille, les États-Unis… Nous voulons multiplier les liens avec différents endroits.

Où en est le travail de sélection des films qui prendront place dans cette Cinémathèque ?

Nous avons constitué un comité autour d’Alice Diop pour élaborer la programmation. On y trouve Malika Chaghal, Léa Colin, Claire Diao, Amélie Galli, Amélie Garin-Davet, Tangui Perron, Margot Videcoq et moi-même. Nous nous voyons une fois par mois et nous nous sommes réparti les domaines en fonction de nos spécialités : certains travaillent sur le cinéma de patrimoine, d’autres sur le cinéma américain, le cinéma visuel, les cinéastes issus des quartiers populaires… Jusqu’à présent, nous avons identifié environ 300 films. Mais la liste n’est absolument pas terminée. Elle ne le sera sans doute jamais. L’enrichissement sera permanent. On peut ainsi imaginer des commandes passées à des cinéastes pour qu’ils nous livrent leur propre liste. Par exemple, nous pourrions demander à un cinéaste colombien de nous proposer une liste thématique de films autour de Bogota.

Où se trouverait cette Cinémathèque ? Aux Ateliers Médicis ?

Les Ateliers Médicis peuvent être un lieu, mais pas le seul. D’abord parce que cette Cinémathèque idéale tient plus du mouvement que du lieu physique. Ensuite parce qu’il s’agit de provoquer la rencontre entre le centre et les périphéries. Cela tombe bien : le Centre Pompidou est dans l’hypercentre parisien, les Ateliers se situent en périphérie. L’idée, c’est de créer des relations avec d’autres centres ou périphéries. Une chose est sûre : le lieu définitif des Ateliers Médicis ouvre en 2025 et nous réfléchissons à un endroit pour installer la Cinémathèque. Reste à définir sous quelle forme : une salle de projection ? Un centre de ressources ? Des ateliers ? Dès cette année, nous allons en tout cas lancer le site web. Il permettra de découvrir le projet, les commandes que nous allons passer, les films que nous avons recensés. Et nous espérons pouvoir proposer gratuitement un film par mois dans une salle de cinéma virtuelle. Mais nous ne serons jamais une plate-forme.

Plus d’infos sur ateliersmedicis.fr

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