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Pour Nuit Blanche, la Cinémathèque idéale des banlieues du monde fait son cinéma

Afrique-sur-Seine est considéré comme le premier film africain bien que tourné en 1955 à Paris / DR
Afrique-sur-Seine est considéré comme le premier film africain bien que tourné en 1955 à Paris / DR

Alors que le cinéma est à l'honneur de Nuit Blanche le 7 juin, les Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois accueilleront une programmation conçue par la Cinémathèque idéale des banlieues du monde dont nous parlent Liza Alster, responsable de cette cinémathèque pas comme les autres, et l'artiste Sido Lansari.

En partenariat avec la Métropole du Grand Paris

En quoi consiste la Cinémathèque idéale des banlieues du monde ?

Liza Alster : La Cinémathèque pose la question de l’assignation que porte en son sein ce mot-valise de banlieue, ainsi que le sens à donner à cette notion de « cinéaste de banlieue ». A l’origine du projet, la cinéaste Alice Diop s’est emparée à bras-le-corps du sujet. Si ce cinéma existe, alors donnons-en notre propre définition et réunissons les oeuvres. Il s’agit parfois de rechercher un cinéma qui n’a pas été vu, compris. En fait, on met les moyens institutionnels pour lui conférer une existence. Cela passe bien sûr par des projections au Centre Pompidou (4e) et aux Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), mais aussi, depuis 2024, par un travail de restauration. En dehors de la programmation, nous créons aussi des liens avec la jeune création via des workshops. C’est par ce biais que j’ai rencontré Sido Lansari à qui j’ai proposé la direction artistique de Nuit Blanche aux Ateliers Médicis. il s’agissait de revisiter le catalogue de la Cinémathèque et de voir comment le cinéma populaire était traversé par les habitants des quartiers.

Pourquoi avoir intitulé ce projet « Toute première fois » ?

Sido Lansari : Mon idée de départ était d’interroger la découverte de l’image chez les jeunes et les moins jeunes. J’ai grandi au Maroc et mes premières images ne sont pas celles de quelqu’un qui aurait vécu ailleurs. L’idée était d’aller chercher les premières émotions, les premières sensations. Donc j’ai voulu parler des premiers films vus, des premières fois au cinéma mais aussi de la première fois où on se sent représenté à l’écran. Or, face à ce parcours-là, nous ne sommes pas égaux ! Dans un deuxième temps, j’avais aussi envie d’aborder la question de la variété des images. Dans ma famille, j’ai été très bercé par la télévision par exemple, beaucoup plus que par la salle de cinéma. Je voulais donc mettre cette variété au centre du dispositif. 

Vous avez imaginé deux parcours pour Nuit Blanche. Que pourra-t-on y voir ?

Sido Lansari : Avec le premier parcours, nous allons proposer une projection en plein air d’Afrique-sur-Seine, considéré comme le premier film africain mais tourné en 1955 à Paris car les deux réalisateurs, Paulin Soumanou Vieyra et Mamadou Sarr, n’avaient pas le droit de filmer au Sénégal. Il sera suivi d’un long-métrage de 1975, Nationalité Immigré de Sidney Sokhona qui filme l’arrivée en France d’ouvriers africains. Des premières fois pas forcément joyeuses mais qui mettent en valeur les premiers moments de politisation de ces populations. Ce sera aussi l’occasion de découvrir l’installation Night Stalker signée Sarah-Anaïs Desbenoit qui interroge la fragilité de l’outil cinématographique. Cette installation s’anime et nous donne à voir comment le cinéma est la résultante de petites choses. Quant au second parcours, il s’interroge sur les « fois d’après ». Parce que, parfois, ce qui compte davantage que le moment initial, ce sont les suivantes qui permettent de reposer les choses. Un peu comme la seconde chance ou le second rencard dans une rencontre amoureuse. Pour les ados, nous proposons une projection du film d’animation Aya de Yopougon réalisé par Marguerite Abouet et Clément Oubrerie. A noter que ce film, comme les deux que j’ai précédemment cités ainsi que Night Stalker sont proposés en partenariat avec la Cinémathèque Afrique. Ce second itinéraire permettra aussi de découvrir Au bord de la fiction, exposition collective au Dojo solidaire qui interroge la question de l’auto-représentation. C’est aussi l’occasion de voir comment les artistes vont investir ce lieu singulier qu’est le dojo…

Parmi les propositions, il y a aussi une installation consacrée aux séries égyptiennes qui sera diffusée dans un restaurant. Et une autre tournée vers les telenovelas proposée dans une boulangerie. Pourquoi avoir voulu investir des commerces au cours de cette Nuit Blanche ? 

Sido Lansari : Il s’agissait d’honorer de grands pays producteurs de séries mais aussi de se demander comment rendre hommage à des moments de culture populaire, comment célébrer cette consommation de l’image dans les foyers. Or, dans ces cafés, ces boulangeries, il y a des postes de télévision qu’on regarde un peu, mais pas trop en même temps. Et puis ce sont des propositions qui s’inscrivent dans une festivité globale. En même temps que les gens visionneront ces installations, ils pourront boire un thé à la menthe, grignoter quelque chose. Cela évite que le parcours soit superficiel. Ce sont des endroits liés à la « vraie vie » des habitants. Et ces installations parlent aussi aux gens qui nous accueillent dans leurs commerces.

Liza Alster : L’implication des commerces s’est faite de façon assez naturelle. La seule question qui les préoccupait était de savoir s’ils devaient arrêter leur activité pendant la diffusion des films. On les a rassurés sur ce point. C’était important pour nous d’investir d’autres espaces que le nôtre aux Ateliers Médicis. D’ailleurs nous serons aussi présents à la Cité du Chantier, l’endroit où architectes et ouvriers travaillent à la construction du nouveau bâtiment des Ateliers. Premiers Reflets se compose d’extraits de films issus de la Cinémathèque idéale des banlieues du monde accompagnés des voix de celles et ceux qui les ont choisis. 

Nuit Blanche mélange des publics très différents. Les habitants de Clichy mais aussi des gens qui, sans cet événement, n’y seraient sans doute jamais venus. Est-ce que penser à la rencontre de ces publics a fait partie de votre réflexion ?

Liza Alster : Les Ateliers Médicis travaillent régulièrement cet enjeu. Et le tissage se fait à partir d’une question : à qui s’adresse-t-on ? Dans la programmation, nous avons de nombreux Clichois qui sont artistiquement impliqués comme des élèves du lycée Alfred Nobel, mais aussi des associations. Quand la programmation est co-pensée, il y a moins de dissonances.

Sido Lansari : C’est une responsabilité dont nous sommes conscients. Notre programmation est d’abord destinée aux gens de Clichy. Mais la question c’est aussi : qui est le centre, et par rapport à qui? On peut considérer que Clichy est le centre et que, pour cette Nuit Blanche, des gens venus d’autres banlieues, comme Paris, viennent lui rendre visite…

Infos pratiques : « Toute première fois », Nuit Blanche aux Ateliers Médicis, allée Françoise N’Guyen, Clichy-sous-Bois (93). Samedi 7 juin. Gratuit. A partir de 14h jusqu’à minuit. Accès : tramway T4 station Clichy-Montfermeil. Plus d’infos sur ateliersmedicis.fr

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