1,1 million de vues pour « Gentrifier », sa chanson parodique sur les bobos qui transforment les Aldi en Naturalia. L'humoriste montreuillois Nicolas Benoit se moque d'une figure qu'il connaît bien : la sienne. Rencontre avec un artiste qui interroge les contradictions de la gauche aisée, entre courses bio et choix scolaires.

Comment avez-vous eu l’idée de la chanson parodique « Gentrifier » qu’on peut voir sur votre compte Instagram ?
Nicolas Benoit : Habitant Montreuil, je suis moi-même concerné par la question. C’est finalement un sujet un peu paradoxal. Parce que ces « gentrificateurs » sont souvent des gens de gauche qui ont sincèrement envie de vivre dans un environnement mixte mais qui participent aussi à la gentrification. En réalité, les vrais responsables du problème, ce sont davantage les promoteurs qui font monter les prix du foncier ou les propriétaires qui augmentent les loyers. En fait, le gentrificateur est dans une position délicate : c’est dans ses usages d’aller chez Biocoop, et en même temps il n’a pas forcément envie que ces usages fassent fuir les habitants historiques de son quartier. Pour moi, le gentrificateur est un peu le dernier maillon dans la chaîne des responsabilités.
En tant qu’artiste habitant à Montreuil, on peut considérer que vous êtes vous-même un de ces gentrificateurs dont vous vous moquez dans la chanson…
Évidemment, pour écrire cette vidéo, je suis parti de mes interrogations personnelles… À Montreuil, je n’habite pas une maison, je suis dans une tour dans un quartier encore très mixte. Mais je vais faire mes courses au Biocoop et je suis client des cantines véganes et autres cafés trop chers qui ouvrent un peu partout dans la ville.
Dans votre chanson, vous faites parler un gentrificateur : « Là où j’m’installe, les Aldi s’transforment en Naturalia ». La question, ce ne serait pas plutôt comment faire pour que tout le monde ait accès à une nourriture de qualité ?
Je suis complètement d’accord, mais ce ne sont pas des choses qui se règlent au niveau individuel. Certaines collectivités mettent par exemple en place des coopératives pour permettre aux habitants d’avoir accès à du bio à petit prix…
Votre vidéo a généré beaucoup de vues. Comment expliquez-vous ce succès ?
Au moment où on se parle, il y a effectivement 1,1 million de vues sur Instagram. En fait je pense que le sujet résonne chez beaucoup. La figure du « bobo » est très utilisée par la droite pour décrédibiliser les gens de gauche avec un certain statut social. C’est une figure intéressante parce qu’elle questionne la bourgeoisie de gauche et ses paradoxes. Mais, en même temps, elle me semble un peu facile : pourquoi être un CSP+ de gauche rendrait-il étanche aux questions de justice sociale ?
Vous commencez votre chanson en évoquant les écoles Montessori, qui sont en grande majorité des écoles privées. C’est justement « le » grand sujet dans ces quartiers gentrifiés : la mixité, beaucoup de ces nouveaux habitants trouvent ça sympa jusqu’à ce qu’il s’agisse de mettre ses enfants dans l’école du quartier…
Je disais tout à l’heure qu’il y a des points qui ne peuvent se régler au niveau individuel. Pour le coup, là, il est possible d’agir. Je suis très « team public ». Et quand des gens qui se disent de gauche optent pour le privé, à mes yeux, c’est juste une peur des pauvres et du sectarisme mal déguisés. Pour ne pas dire du racisme et du mépris de classe. D’autant qu’avec la reproduction sociale on sait que ces enfants de CSP+ retrouveront un entre-soi dans les études supérieures, à Sciences Po ou dans d’autres écoles prestigieuses. Cela ne leur ferait donc pas de mal, durant quelques années de leur scolarité, de côtoyer des enfants d’un autre milieu que le leur !
Infos pratiques : Nicolas Benoit joue son spectacle Performance à La Nouvelle Seine, 3, quai de Montebello, Paris (5e). Tous les mercredis soir à 19 h 30 jusqu’en mars. Accès : métro Saint-Michel (ligne 4) ou gare de Saint-Michel Notre-Dame (RER B et C). Infos et réservations sur lanouvelleseine.com
1 décembre 2025 - Montreuil