
Cent ans après son âge d’or, l’Art déco continue de jalonner le Grand Paris, souvent sans qu’on y prête attention. Pour célébrer ce centenaire, deux spécialistes — Maurice Culot et Christian Barbaray — dévoilent une sélection de lieux incontournables : façades géométriques de Passy, villas de Le Corbusier, mairies futuristes de Boulogne, cités-jardins de Suresnes… Une véritable chasse aux trésors Art déco pour redécouvrir le style qui a façonné les communes du Grand Paris
Petit rappel préliminaire : au fait, qu’est-ce que l’Art déco ?
Maurice Culot : Il existe différentes formes d’Art déco, mais on distingue surtout l’Art déco post-Première Guerre mondiale et celui post-crise de 1929 qui émerge en France à partir de 1931. L’Art déco des années 1920 est très décoré : corbeilles de fleurs, jets d’eau, rayons solaires, ornements sculptés… Celui des années 1930 est plus géométrique, moins ornemental ; avec la montée des nationalismes, il devient plus classique. Le Trocadéro ou le Palais de Tokyo en constituent de bons exemples. L’Art déco grâce au béton permet la création de fenêtres d’angle. Il offre de grandes terrasses pour prendre des bains de soleil, car on craint la tuberculose qui touche alors toutes les classes sociales. L’exposition internationale de Paris 1925 constitue un apogée et contribue à diffuser l’Art déco dans le monde entier. Il exprime les ambitions d’une bourgeoisie en quête d’un style qui exprime la joie de vivre retrouvée, la foi dans le progrès technique, le cosmopolitisme. Il adopte des habitudes venues des États-Unis et importées par le contingent, tel le bar américain et les cocktails qui, aux USA, permettaient de contourner la prohibition. C’est ainsi que les appartements de la classe aisée se dotent de petits bars qui permettent de continuer la fête. L’Art déco infuse partout : non seulement dans l’architecture mais aussi dans la mode (Paul Poiret, notamment), l’automobile et même le cinéma puisque le décorateur français Paul Iribe ira travailler à Hollywood et injectera ce style dans les décors qu’il concevra pour les films de Cecil B. De Mille.
Passy : pas si mal pour l’Art Déco
Christian Barbaray : Le 16e est un arrondissement riche en Art déco. En effet, au moment où le mouvement prend de l’ampleur, les villes se développent et il y a, sur ce territoire, du foncier disponible. De jeunes architectes comme Perret ou Le Corbusier sont plébiscités par ces nouveaux propriétaires qui ont du goût… et des moyens ! On peut commencer sa déambulation au Trocadéro avec le Palais d’Iéna qui abrite le CESE, le Conseil économique social et environnemental. Je pense aussi au Palais de Chaillot et au musée de l’Homme, conçus pour l’exposition de 1937, incarnations d’un Art déco plus monumental. Au cimetière de Passy, on peut admirer la porte d’entrée, véritable pièce d’architecture qui participe à l’harmonie classique de la place du Trocadéro. Parmi les sépultures, on peut trouver celle de Robert Mallet-Stevens ou de Claude Debussy. Rendez-vous ensuite au 25, avenue Franklin D. Roosevelt, première réalisation des frères Perret et premier immeuble parisien en béton armé. Au 55 de la rue Raynouard, on trouve l’atelier-appartement d’Auguste Perret. L’atelier était au sous-sol et au rez-de-chaussée tandis qu’il occupait personnellement les deux derniers étages de l’immeuble. Du 13 au 33 de la rue Raynouard, on découvre sans doute l’ensemble Art déco le plus spectaculaire. Le béton est dissimulé sous de la pierre de taille ; on aperçoit aussi des jardins suspendus. Au 4, rue Charles Dickens, on peut admirer une résidence très haut de gamme. Cela vaut la peine de descendre l’avenue Frémiet pour l’admirer depuis les bords de Seine et en apprécier les incroyables perspectives.
Infos pratiques : Pour retrouver l’intégralité de la balade Art déco dans le quartier de Passy (2 heures de balade), rendez-vous sur Google Maps.

Boulogne-Billancourt : un quartier Art déco sous forme de trilogie
Maurice Culot : Boulogne-Billancourt constitue une capitale de l’Art déco. Les plus grands architectes de l’époque y sont intervenus, notamment dans la partie nord : Louis Faure-Dujarric, Robert Mallet-Stevens, Pierre Patout, Georges-Henri Pingusson, Emilio Terry, les frères Perret, Le Corbusier… Parmi tous ces bâtiments, je propose un focus sur un trio passionnant, situé dans un mouchoir de poche. Tout d’abord la mairie, un chef-d’œuvre dû à l’architecte de la ville de Lyon, Tony Garnier, et voulu par le maire bâtisseur de l’époque, André Morizet. Après avoir visité les hôtels de ville en Belgique en 1925, une délégation syndicale estime que la mairie de Schaerbeek, une commune de Bruxelles, présente le plan idéal, organisé autour d’une vaste salle des guichets. Les plans sont élaborés à partir de 1926. Pensé comme une « usine municipale », c’est d’abord un édifice rationnel avec un décor des plus sobres. En 1980, le peintre Olivier Debré réalise la vaste peinture qui orne l’escalier d’honneur. À côté de la mairie, on voit le Centre d’hygiène sociale, bâti sur les plans de Roger Hummel en 1936. Lieu de dépistage des maladies, il rappelle la prégnance de la tuberculose dans la population. Il ne faut surtout pas manquer le musée des Années trente, l’un des plus importants au monde consacré à l’Art déco, bien qu’insuffisamment fréquenté. On y trouve des peintures, des sculptures et des meubles de Ruhlmann, Mallet-Stevens, Follot, Sue et Mare. À noter que deux autres musées valent le déplacement : le musée consacré au sculpteur Paul Landowski (1875-1961) installé au sein même du musée des Années trente et le musée Paul Belmondo (1898-1982), sculpteur et père de l’illustre acteur.
Infos pratiques : Mairie de Boulogne-Billancourt, 26, avenue André-Morizet, Boulogne-Billancourt (92). Ouverte de 8 h 30 à 17 h 30 du lundi au jeudi, de 8 h 30 à 16 h 45 le vendredi et de 8 h 30 à 11 h 45 le samedi. Accès : métro Marcel Sembat (ligne 9).
Ancien Centre d’hygiène sociale, 24, avenue André-Morizet, Boulogne-Billancourt (92). Accès : métro Marcel Sembat (ligne 9).
Musée des Années trente, 28, avenue André-Morizet, Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h Tarif : 8 € (plein tarif), 5,50 € (tarif réduit). Accès : métro Marcel Sembat (ligne 9). Plus d’infos sur boulognebillancourt.com
Villa Savoye : l’essence de Le Corbusier
Christian Barbaray : Avec son cousin Pierre Jeanneret, Le Corbusier conçoit cette maison pour les Savoye, une grande famille d’assureurs. Elle est édifiée entre 1928 et 1931 et est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Quand on arrive, on tombe sur ce cube posé au milieu de la pelouse. C’est la première réalisation où Le Corbusier met en pratique les fameux cinq points de l’architecture moderne qu’il a édictés en 1927 : les pilotis, un plan libre, l’absence de murs porteurs, une façade libre, les fenêtres en longueur et le toit-terrasse. C’est une maison de son époque au sens où elle prend en compte l’arrivée de l’automobile, avec un garage et une promenade couverte.
Infos pratiques : Villa Savoye, 82, rue de Villiers, Poissy (78). Ouvert de 10 h à 17 h sauf le lundi. Tarifs : 9 € (plein tarif), 7,50 € (sur présentation du passe Navigo), gratuit pour les moins de 26 ans. Accès : gare de Poissy (RER A, ligne J). Plus d’infos sur villa-savoye.fr
Suresnes : le charme d’une incroyable cité-jardin
Christian Barbaray : L’idée des cités-jardins vient de Grande-Bretagne et a pour principe de donner une impression de campagne en milieu urbain. La cité-jardin de Suresnes a été bâtie sur une échelle de temps assez longue, entre 1921 et 1956. C’est la plus importante de la région parisienne et elle s’est développée sur un terrain qui relevait précédemment de l’hippodrome de Saint-Cloud. C’est un mélange de petits immeubles de quatre étages, de pavillons avec de nombreux jardins et des équipements publics. Il y a même un lieu de culte puisque l’église Notre-Dame-de-la-Paix a été édifiée dans le cadre des Chantiers du Cardinal. Elle est inachevée et sa façade sobre offre un très beau contraste avec son intérieur très apaisant. Il faut aussi aller jeter un coup d’œil au théâtre Jean-Vilar, bâti en 1938, tout comme aux groupes scolaires Briand, Vaillant et Wilson situés à proximité. À noter que, dans la cité-jardin, une maison de gardien a été transformée en maison-musée. Une bonne façon de comprendre le logement social !
Infos pratiques : Le musée d’Histoire sociale et urbaine de Suresnes organise régulièrement des visites de la cité-jardin. La prochaine aura lieu le 23 novembre. Infos et réservations sur exploreparis.com
L’hôtel de ville de Cachan : trésor caché
Maurice Culot : Pour moi, c’est tout simplement l’un des plus élégants hôtels de ville de la région parisienne. Adossé au parc Raspail, il est inauguré en 1935 sur les plans des architectes Mathon, Chaussat et Chollet. Sa construction résulte de la scission entre Cachan et Arcueil en 1923. Par l’agencement de ses volumes, son architecture en brique jaune clair de Champigny, son beffroi et son esthétique, il s’apparente à la villa Cavrois construite par Mallet-Stevens entre 1929 et 1931 à Croix près de Lille. L’escalier d’honneur est éclairé par un immense vitrail dû au maître verrier Barillet, les ferronneries d’art sont signées Borderel et Robert. On doit à Maurice Pico, l’auteur de la danseuse qui orne la façade des Folies Bergère, une gigantesque carte de la commune dans la salle du conseil, tandis que le peintre Gustave Jaulmes signe la grande toile qui orne la salle des mariages avec un paysage présentant différents points de vue de la ville. L’hôtel de ville vient d’être remarquablement restauré. Dommage que le grand bassin du hall d’accueil soit partiellement couvert et privé d’eau. À voir à deux minutes de l’hôtel de ville : l’aqueduc du Loing et la Bièvre qui circule de nouveau à l’air libre après des décennies d’enfouissement. Les aménagements paysagers qui bordent la rivière sont remarquables.
Infos pratiques : Hôtel de ville de Cachan, 8, rue Camille Desmoulins, Cachan (94). Ouvert lundi, mardi, mercredi et vendredi de 8 h 15 à 12 h et de 13 h 30 à 17 h 15 ; le jeudi de 13 h 30 à 19 h ; le samedi de 8 h 45 à 12 h 30. Accès : gare d’Arcueil–Cachan (RER B). Plus d’infos sur pop.culture.gouv.fr


19 novembre 2025 - Boulogne