Culture
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« Les villes sont au bout de la chaîne » et c’est tendu : un maire raconte le financement de la culture

Qui finance vraiment la culture en France ? Selon une enquête de l'Association des maires de France publiée la semaine dernière, 67 % d’entre eux estiment être les premiers à mettre la main au portefeuille, loin devant les départements et les régions. Une conviction qui prend un relief particulier au moment où les subventions fondent de toutes parts. François de Mazières, à la tête de Versailles (Yvelines) depuis 17 ans et président de la commission Culture de France urbaine, raconte comment les collectivités s'échinent à maintenir leurs lieux culturels à flot.

La biennale d’architecture et de paysage d’Île-de-France se déroule jusqu'au 13 juillet à Versailles / © Juan Jerez
La Biennale d’architecture et de paysage d’Île-de-France se déroule tous les deux ans à Versailles / © Juan Jerez

Publiée la semaine dernière, une enquête de l’Association des maires de France montrait l’engagement des communes et des intercommunalités dans la culture, à un moment de baisse générale de nombreuses subventions. L’une de ses mentions frappe : celle selon laquelle 67 % des maires considèrent être les premiers financeurs de la culture sur leur territoire, loin devant les départements et les régions. François de Mazières, maire de Versailles (Yvelines) depuis 17 ans et président de la commission Culture de France urbaine, raconte comment les collectivités tentent encore de tenir leurs lieux culturels.

Pouvez-vous nous parler du désengagement de l’État dans la culture et la manière dont les maires se positionnent sur ce sujet ?

François de Mazières : Il n’y a pas de désengagement direct de l’État dans la culture, mais il y a des baisses de subventions qui peuvent être plus importantes selon les villes. À Versailles, nous sommes soumis à une « redistribution négative » : on considère que la Ville a des capacités financières supérieures à celles des alentours, donc on nous prélève des ressources pour les redistribuer ailleurs. Or, au bout de dix ans, c’est difficile à absorber.

Cette baisse des ressources touche aujourd’hui toutes les communes, car les régions se désengagent de la culture, comme les départements aussi, certains étant déjà fragilisés par la chute des droits de mutation [taxe due lors de la vente d’un bien immobilier, Ndlr]. On peut aussi parler du projet de loi des finances 2026, qui prévoit un prélèvement de 6 milliards d’euros sur l’ensemble des collectivités. C’est énorme, et ça va frapper en premier les grandes villes, qui portent traditionnellement les grands équipements culturels. S’engager pour la culture est une pratique générale des mairies, car les villes sont au bout de la chaîne : si nous ne faisons pas l’effort, théâtres, conservatoires et musées sont directement menacés.

On a souvent l’image de Versailles comme d’une ville très aisée. Où peut-il y avoir des problèmes d’argent dans la ville ?

Il y a un malentendu sur la richesse de Versailles. Les habitants sont globalement plus aisés que la moyenne, mais la ville elle-même est pauvre. Historiquement, Versailles n’a pas d’activité économique forte, c’est une ville d’administration. Et le château, qui occupe 800 hectares, ne rapporte rien à la commune. De plus, nous avons été impactés par une perte de 2,5 millions de recettes de son parking, car l’État a décidé que cet argent n’irait plus à la Ville, mais au château. Nous avons un très beau cadre historique, beaucoup de tourisme et une vie politique intense ; mais la culture doit rester inventive et économe, et repose beaucoup sur la valorisation de notre patrimoine existant.

Comment la ville s’engage-t-elle aujourd’hui pour la culture ? Comment la soutenir en pleine crise ?

Versailles est une véritable pépinière artistique, beaucoup d’artistes de la French Touch viennent d’ici [comme Air, Phoenix, Étienne de Crécy, Alex Gopher ou Arnaud Rebotini, Ndlr] et nous avons aussi des grands noms du théâtre, comme Jean-Philippe Daguerre ou Alexis Michalik. Le Mois Molière, que j’ai créé il y a 30 ans, repose sur une ouverture à la jeune création, avec un budget maîtrisé et des bénévoles. Là aussi, un véritable effort est mis en place pour maintenir ce tremplin, qui fonctionne sur la même logique que le Off du Festival d’Avignon : on achète les spectacles, on accompagne les compagnies, et ensuite elles partent tourner ailleurs. Nous accueillons également des compagnies en résidence, souvent sans subvention mais avec un soutien logistique, en leur donnant accès à des lieux de répétition, de stockage et un accès aux réseaux. Là encore, on innove, en utilisant des espaces disponibles – un ancien centre aéré par exemple – pour en faire des lieux de création.

Une autre de nos grands événements est la Biennale d’architecture et de paysage (BAP), qui a lieu à la fin du printemps. Versailles a accueilli trois éditions de cette manifestation désormais majeure en France, financée par la Région Île-de-France. Elle s’appuie sur deux écoles implantées dans la ville : l’École nationale supérieure d’architecture et l’École nationale supérieure de paysage, installée dans le Potager du Roi. En croisant ces deux disciplines et en proposant des expositions dans ces lieux magnifiques, nous avons créé un événement original qui attire désormais beaucoup de monde. En plus de cela, nous mettons aussi des moyens pour maintenir nos grandes écoles artistiques, comme notre CRR, notre Conservatoire à rayonnement régional. Et, pour mettre en avant la jeune création, nous ouvrons aussi de nouveaux lieux artistiques comme le tiers-lieu l’Ancienne Poste ou l’espace d’exposition de la chapelle Richaud.

Qu’attendez-vous comme changement pour le futur de la culture ?

Il ne faut pas renoncer aux écoles, car la création ne sort pas de nulle part : elle nécessite des lieux de formation, des conservatoires, des écoles d’art. Beaucoup de grands artistes sont passés par ces institutions ; or ce sont souvent les premières victimes des restrictions budgétaires, car elles sont moins visibles. À Versailles, nous avons tenu à conserver nos beaux-arts alors que d’autres villes ont fermé les leurs. Nous devons continuer à soutenir les jeunes artistes pour que la création française reste vivante.

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"L’Impromptu de Versailles" mis en scène par Anthony Magnier dans les rues de Versailles / © Ville de Versailles / Marc Olivier Carion
L’Impromptu de Versailles mis en scène par Anthony Magnier dans les rues de Versailles / © Ville de Versailles / Marc Olivier Carion