
Sous ses chapiteaux modernisés et dans une halle baignée de lumière, l’Académie Fratellini forme une nouvelle génération d’artistes tout en restant fidèlement ancrée dans son histoire populaire. Entre exigence artistique, ouverture au territoire et rénovation écologique exemplaire, le lieu cultive plus que jamais l’ambition d’un cirque vivant, accessible et tourné vers demain.
Impossible de louper son chapiteau de bois en arrivant depuis le RER D. À une station de la gare du Nord, l’Académie Fratellini forme les circassiens et circassiennes de demain, dans des locaux rénovés qui n’ont rien trahi de leur charme originel. Un silence sacré règne dans sa cour aménagée en jolie terrasse, face à une halle baignée de lumière, animée par le bruit d’artistes profitant des nouvelles infrastructures du lieu. En traversant la cour, un souvenir me revient : celui des premières sorties au cirque les yeux rivés sur les trapèzes et le cœur battant. Revenir ici aujourd’hui, après les travaux, me montre comme le lieu, plus moderne, est toujours habité par cette poésie d’époque.
De l’usine à gaz à la rénovation écologique
Dehors, personne ne pourrait dire que l’espace a été un parking provisoire durant la Coupe du monde de 1998, ni que la halle est une ancienne usine de gaz. En tant qu’ancienne spectatrice, je me souviens bien d’hiver très frais et de spectacles où l’on se frottaient les mains pour décongestionner les doigts : ces souvenirs paraissent loin maintenant que la structure a été isolée thermiquement, et ouverte vers l’extérieur par de grandes baies vitrées et des fenêtres. La halle, reliée à trois studios tout équipés et à des espaces communs, est un véritable lieu de vie, d’où s’étendent deux terrasses avec un sol dépollué et des bassins d’infiltration pour reverdir l’espace. Les mercredis après-midi, les parents s’y installent et y dégustent pop-corn et cafés en attendant leurs progénitures lors des cours amateurs. En traversant les espaces, on remarque comme les publics s’y croisent, des simples étudiants de fac en ateliers, au personnel employé, en passant par les académiciens. Le soleil, qui nous fait l’honneur de sa visite, rajoute en plus une touche de magie à ce véritable petit théâtre plein de vie.
Le lieu, entièrement consacré à la création, est encadré de deux chapiteaux : un de 1 500 places, reconnaissable par sa structure en métal d’où sortent des boîtiers rouges, et un autre de 250 places, en bois, spécialisé dans les spectacles pour enfants et les projets émergents. Tous deux ont été modernisés pour mieux accueillir les spectateurs, et ils sont complétés aujourd’hui par une toute nouvelle salle modulable, le Studio Zéro, scène-laboratoire de 180 places réservée aux expérimentations. Pour Valérie Fratellini, directrice adjointe pédagogique, cette renaissance s’inscrit dans l’héritage d’une volonté de décloisonner le cirque. « À l’époque, les Fratellini s’entretenaient avec les plus grands, de Cocteau à Colette. Il y a toujours eu une volonté d’ouvrir cet art chez nous, explique-t-elle. L’école fondée en 1974 par Annie, ma mère, a été la première en Europe occidentale à ouvrir le cirque à celles et ceux qui n’étaient pas issus des familles traditionnelles. »

« Le cirque dialogue avec tous les arts »
Malgré les nouveaux apports matériels, l’âme du lieu n’a pas changé. Située à quelques centaines de mètres de la capitale, l’Académie compte toujours faire, comme l’indique son directeur Stéphane Simonin, « la jonction entre la banlieue et Paris ». À la tête de la maison depuis treize ans, celui-ci y voit un outil du Grand Paris. « Ce lieu insère la Seine-Saint-Denis dans le Grand Paris, et est très ancré dans les villes aux alentours. De plus, le cirque permet d’amener au spectacle un public très diversifié, car c’est un langage universel : tout le monde comprend le risque de chuter ou le fait de tenir en équilibre. » Des enjeux compréhensibles par tous, étoffés par la narration du cirque contemporain : « On est sorti de la simple succession de numéros. Le cirque raconte désormais des histoires et dialogue avec tous les arts. En allant voir un spectacle de cirque, on peut ainsi découvrir la danse contemporaine ou le théâtre et construire un vrai parcours de spectateurs. » En enjambant les différentes salles, je suis frappée par la diversité d’agrès représentés, croisant sur ma route des étudiants tournoyant sur une roue Cyr, d’autres accrochés aux abords de mats chinois, et une jeune femme, suspendue sur l’épaule de son acolyte.
Avec ses espaces repensés et son bar ouvert les week-ends, l’Académie veut devenir un lieu accueillant pour les habitants du quartier autant qu’un pôle de création ; un espace où les parents, étudiants et gens du coin peuvent patienter, échanger et même visiter les locaux au chaud et où tous les publics peuvent se croiser. Ce lieu de vie, Valérie Fratellini le revendique comme principale inspiration des travaux : « Le cirque, c’est pour tout le monde. Ici, nous accueillons des étudiants de Paris-8, des pros, des scolaires, des personnes en situation de handicap… Nous sommes en lien direct avec les gens du territoire. » Un ancrage affirmé avant le traditionnel spectacle de décembre, « 4 saisons 2050 », où les élèves présenteront leurs dernières recherches sous le chapiteau rénové. Ou comment rappeler qu’ici, depuis Annie Fratellini, on invente toujours « le cirque de demain ».
Infos pratiques : Académie Fratellini, 1, rue des Cheminots, La Plaine Saint-Denis (93). Spectacle « 4 Saisons 2050 » du 6 au 20 décembre. Tarifs : de 7 à 20 €. Accès : gare de La Plaine–Stade de France (RER B) ou Stade de France Saint-Denis (RER D) puis 10 min à pied, ou métro Saint-Denis–Pleyel (ligne 14). Plus d’infos et réservations sur academie-fratellini.com
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3 décembre 2025 - Saint Denis