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Denecourt, l’inventeur des premiers sentiers balisés au monde en forêt de Fontainebleau

Un sentier tracé par Claude-François Denecourt en forêt de Fontainebleau au XIXe siècle / DR
Un sentier tracé par Claude-François Denecourt en forêt de Fontainebleau au XIXe siècle / DR

Pionnier du tourisme vert en forêt de Fontainebleau et créateur au XIXe siècle des premiers sentiers pédestres balisés au monde, Claude-François Denecourt est aujourd'hui une figure méconnue dont nous parle Jean-Claude Polton, historien et membre de l'association des Amis de la forêt de Fontainebleau.

Qui était Claude-François Denecourt ? 

Jean-Claude Polton : Né en 1788, Claude-François Denecourt est originaire de Haute-Saône. Il a commencé par exercer le métier de voiturier avant de s’engager dans l’armée napoléonienne en 1809 puis d’être employé comme concierge dans une caserne à Versailles où il vend du vin aux soldats et amasse une petite fortune. Il n’apprend à lire et à écrire que tardivement avec l’aide de sa nièce qu’il a recueillie chez lui. Dans le même temps, il se politise et devient républicain. Après plusieurs années à Versailles, il est à nouveau nommé concierge mais dans une caserne à Fontainebleau, d’où il sera d’ailleurs révoqué pour ses idées républicaines. Il entame alors un tour de France pour convaincre les Français de se révolter mais sans grand succès. Il en sort déprimé et découvre alors la forêt de Fontainebleau. Il est âgé de 44 ans et écrit dans son autobiographie « la forêt m’a sauvé ». Dès lors, il aura à coeur de partager son attachement pour le massif en éditant des cartes et des guides de voyage et en créant les tout premiers sentiers balisés au monde. 

A quoi ressemble le touriste de l’époque à qui s’adresse ces guides ? 

En cette première moitié du XIXe siècle, le tourisme commence tout juste à émerger en forêt de Fontainebleau. Il concerne surtout la bourgeoisie, qui trouve ainsi une façon de fuir la ville. L’accès à la forêt reste compliqué. Dans l’édition de 1843 du guide Denecourt, on apprend que pour rejoindre Fontainebleau depuis Paris, le voyageur doit s’armer de patience et prévoir au moins huit heures de trajet en bateau à vapeur. Les plus aisés peuvent aussi s’y rendre en voiture mais il faut vraiment attendre l’arrivée du chemin de fer à Avon en 1849 pour que la forêt Fontainebleau soit rendue plus accessible. La destination reste toutefois hors de portée des ouvriers qui, avec un salaire de 3 francs par jour, sont dans l’impossibilité de s’offrir le voyage. Un billet de train coûte à l’époque 6 francs et un guide Denecourt environ 3 francs. 

La Tour Denecourt en 1853 en forêt de Fontainebleau / DR
La Tour Denecourt en 1853 en forêt de Fontainebleau / DR

Comment Denecourt va-t-il baliser la forêt ?  

Claude-François Denecourt est habitué à marcher. En plus d’être un homme de la campagne, il a participé aux guerres napoléoniennes où il était courant de marcher 40 kilomètres par jour. Si ses premières cartes sont destinées à arpenter la forêt en calèche, il va peu à peu inciter les promeneurs à la découvrir à pied. A partir de 1842, il commence à flécher des sentiers pédestres. Sans le savoir, il crée les premiers sentiers balisés au monde, les sentiers bleus. Il peint des grandes flèches bleues, au grand dam des peintres qui le perçoivent comme un hurluberlu dénaturant la forêt. Il en profite également pour nommer certains sentiers et points d’intérêts avec des noms tirés de la mythologie gréco-romaine ou de son propre Panthéon, fait de héros ayant marqué l’histoire sociale, politique et culturelle de la France. Denecourt va même jusqu’à aménager des fontaines et des grottes dans la forêt ainsi qu’une tour d’observation désormais dénommée tour Denecourt. 

Comment s’y prend-il pour financer ses actions en forêt de Fontainebleau ?

Denecourt est un formidable homme d’affaires. Grâce à l’argent qu’il a gagné en vendant du vin, il a pu investir. Les aménagements qu’il entreprend sont également financés par la vente de ses guides. Le moindre nouvel élément est d’ailleurs une occasion pour éditer un nouveau guide. Il en existe même un sur l’assassinat d’une femme avec une promenade fléchée pour aller sur les lieux du meurtre. Pour la construction de la tour, il lance une souscription en contrepartie de l’inscription des noms des mécènes dans les guides.  

Comment est-il perçu ?

Si ses débuts sont plutôt controversés en raison des reproches qui lui sont faits de dénaturer la forêt, il finit par gagner les faveurs de l’opinion publique dans les années 1850. En 1855, un recueil est publié pour lui rendre hommage avec notamment un texte original de Théophile Gautier qui le compare au « Sylvain », une divinité romaine des bois. Au sommet de sa gloire, il a droit à un article dans le Larousse qui loue son action et la façon dont il a su mettre la forêt à la portée de tous. Il atteindra un tel égo qu’il ira jusqu’à écrire à Alexandre Dumas et à d’autres écrivains pour leur proposer des promenades à Fontainebleau en sa compagnie. 

© Christophe Pinard (Creative commons - Flickr)
Sentier de randonnée en forêt de Fontainebleau / © Christophe Pinard (Creative commons – Flickr)

Que se passe-t-il après sa mort ?

Après la mort de Denecourt en 1875, Charles Colinet et sa femme Maria prennent sa suite et doublent le nombre de sentiers. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on se pose toutefois la question de maintenir ou non ces 300 km de sentiers qui, n’ayant pas été entretenus, ont vu la nature reprendre ses droits. On décide finalement de les conserver. Leur entretien est assuré bénévolement par l’association des Amis de la forêt de Fontainebleau, fondée en 1907 et dont je fais partie.

Comment le tourisme a-t-il évolué en forêt de Fontainebleau ? 

L’évolution la plus significative est venue de l’escalade qui démarre dès 1900 et se popularise dans les années 1960-1970. Plus délicate, l’intégration du VTT, dont les adeptes empruntent les mêmes sentiers que les promeneurs, génère des conflits d’usage et une plus grande érosion des aménagements. Par ailleurs, l’importante notoriété de la forêt de Fontainebleau entraîne parfois une surfréquentation à certains endroits. Pourtant, le domaine est gigantesque (25.000 ha soit 2,5 fois Paris, Ndlr) et de nombreux lieux sont à explorer. Il ne faut donc pas avoir peur de se plonger dans une carte et de quitter les chemins de randonnée les plus plébiscités. 

Infos pratiques : Jean-Claude Polton est l’auteur d’une biographie parue en 2011 et intitulée Claude-François Denecourt, 1788-1875, l’amant de la forêt de Fontainebleau. Plus d’infos sur l’association des Amis de la forêt de Fontainebleau sur aaff.fr  et fontainebleau-tourisme.com

La tour Denecourt / © Fontainebleau Tourisme - Chlorofilm
La tour Denecourt / © Fontainebleau Tourisme – Chlorofilm

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