Société
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Et si l’Unesco classait les Parisiens avec les berges de Seine et les toits en zinc ?

Les berges de Seine à Paris / © Guilhem Vellut (Wikimedia commons)
Les berges de Seine à Paris / © Guilhem Vellut (Wikimedia commons)

Faut-il inscrire les Parisiens au patrimoine mondial de l’Unesco ? Ou sur une liste d’espèces à sauvegarder ? Alors que l’organisation de l’ONU demande à la France de mieux protéger les berges de Seine, plus de 30 % des logements des quartiers concernés ne sont pas occupés à l’année. Un paradoxe révélateur. À force de classer la ville, ne risque-t-on pas d’oublier ceux qui la font vivre ?

Un musée à ciel ouvert

C’est l’un de mes souvenirs les plus marquants de Paris, la ville où je suis né. En juillet 2024, quelques jours avant les Jeux olympiques, j’ai fait partie des rares journalistes invités à plonger dans la Seine avec des élus et des organisateurs, pour inaugurer la baignade sous l’œil de centaines de caméras. Le choc a été réel. Je me suis retrouvé à nager dans un décor que je connais par cœur, et que j’ai pourtant redécouvert : la Seine, ses berges, ses ponts, les façades de l’île de la Cité. Une carte postale parfaite, qu’on vient contempler du monde entier.

Ces derniers mois, cette baignade au milieu d’un décor classé m’est revenue à l’esprit à plusieurs reprises. La première fois, en apprenant que l’Unesco avait demandé à la France de renforcer la protection des berges de Seine, inscrites au patrimoine mondial depuis 1991¹. Dans la foulée, le ministère de la Culture a classé environ 20 % de Paris en « site patrimonial remarquable »². Traduction : une large part des travaux publics et privés passera désormais sous l’œil attentif des architectes des Bâtiments de France. Une garantie patrimoniale bienvenue, évidemment. Et, dans une ville déjà complexe à transformer, un degré supplémentaire d’encadrement à intégrer.

Car oui, les Parisiens vivent dans un musée à ciel ouvert. Près de 350 sites sont classés aux Monuments historiques³. Portes, ponts, places, palais, immeubles, églises, fontaines… jusqu’aux toilettes Art déco de la place de la Madeleine, où il est plus simple d’entrer que dans un appartement du quartier. Le Parisien qui va travailler ou acheter sa baguette marche sur, sous, au-dessus, à travers des chefs-d’œuvre, souvent sans y prêter attention. C’est le privilège – et parfois le poids – de l’hypercentre.

Une carte postale sous verre

La deuxième fois que j’y ai repensé, c’est en découvrant les chiffres du logement dans le centre de Paris. Dans Paris Centre, ainsi que dans le 6e, le 7e et le 8e – précisément les arrondissements que l’on protège avec le plus grand soin –, plus de 30 % des logements ne sont pas occupés comme résidences principales⁴. Et près de la moitié des appartements appartiennent à des propriétaires qui en possèdent cinq ou plus⁵. On ne parle plus vraiment d’habiter. On parle de collectionner.

Résidences secondaires, pieds-à-terre, locations touristiques, bureaux occasionnels. Entre 15 000 et 25 000 euros le mètre carré⁶, la carte postale est soigneusement encadrée, sous verre. Pendant ce temps, Paris a perdu plus de 76 000 habitants en six ans⁷. Les familles s’éloignent. Les écoles ferment des classes, parfois comme en zone rurale. Habiter Paris est devenu un sport de riches – à moins de décrocher un logement social, ce qui relève alors d’un sport de combat doublé d’une persévérance olympique.

Or un patrimoine, aussi exceptionnel soit-il, fonctionne mieux quand il est habité. Vivant. Bruyant parfois. Un patrimoine sans habitants finit par ressembler à un décor. Bien sûr, ce n’est pas l’Unesco qui fait monter les prix ni qui vide les immeubles. On protège les pierres, les quais, les perspectives, et c’est heureux. Mais à force de préserver la carte postale, on prend le risque d’oublier ceux qui la faisaient vivre.

Emily in Paris… without Parisians

Défendre Paris, c’est défendre son patrimoine et sa vitalité. Les deux vont ensemble. Avoir une ville aussi belle, aussi riche, aussi attractive au cœur du Grand Paris, c’est une chance incroyable. Mais l’idée n’est pas d’en faire un décor pour Emily in Paris – d’autant que l’Américaine a tendance à se barrer à Rome. L’idée, c’est d’en faire un cadre de vie pour les Parisiens, et pour tous les Grand-Parisiens qui y travaillent et viennent profiter de sa beauté.

Paris en chiffres

  • 81,5 % des logements privés détenus par des multipropriétaires
  • 45-50 % des logements des arrondissements centraux (1er-8e) appartiennent à des propriétaires de 5 biens ou plus
  • 272 000 logements sociaux (25,2 % des résidences principales)
  • 145 000 résidences secondaires (× 5 en 50 ans)
  • 145 000 logements vacants
  • 76 600 habitants perdus en six ans

Sources : ¹ UNESCO, « Paris, rives de la Seine », inscrit au patrimoine mondial en 1991 – whc.unesco.org ² Ministère de la Culture, création du site patrimonial remarquable « Paris, rives de la Seine », 2024 ³ Base Mérimée, Ministère de la Culture – environ 350 immeubles, monuments et sites classés ou inscrits aux Monuments historiques à Paris ⁴ Ville de Paris / Mediapart, « 300 000 logements vides à Paris », 2024 ; Le Journal du Grand Paris, tribune « Crise du logement : objectif zéro bâtiment vide à Paris », 2024 ⁵ INSEE, France Portrait Social 2021, dossier « 24 % des ménages détiennent 68 % des logements possédés par des particuliers » (données Fidéli 2017) – insee.fr ⁶ Meilleurs Agents / SeLoger, prix immobiliers par arrondissement, décembre 2025 ⁷ INSEE, recensement de la population – Paris est passé de 2 190 327 habitants en 2016 à 2 113 705 en 2022