Versailles et le Louvre ? Pas cette fois. Stéphane Bern préfère nous entraîner vers des trésors plus discrets : une rotonde ferroviaire, des écuries princières à deux pas du port de Gennevilliers… Le patrimoine francilien ne se limite pas à ses icônes. Star cathodique et passeur passionné, il révèle un héritage tout proche, souvent éclipsé par les géants royaux. Des lieux souvent accessibles en quelques stations seulement... et qui ont besoin de notre mobilisation pour les sauver.

Il faisait frisquet ce jour-là sur le parvis de la basilique Saint-Denis. On inaugurait le chantier de reconstruction de la flèche nord, démontée au XIXe siècle et jamais remontée. J’admirais le portail gothique lorsque j’ai entendu une voix reconnaissable entre toutes. Stéphane Bern, ravi d’être là — on ne le connaît que enthousiaste ! On échange quelques mots, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. On se promet de se revoir pour parler du patrimoine francilien.
Promesse tenue quelques semaines plus tard, au milieu d’un tournage. Je n’avais pas encore sorti mon carnet qu’il me faisait déjà voyager à Gennevilliers. Une ouverture improbable : les anciennes écuries du duc de Richelieu. « Vous savez que Louis XV et Madame de Pompadour venaient ici ? Que Le Mariage de Figaro y a été joué pour la première fois ? » Je l’ignorais, évidemment. « C’était une ruine. On transforme tout ça en maison des métiers d’art. »
Gennevilliers, donc : port industriel, barres d’immeubles, et au milieu, un vestige du XVIIIe siècle que personne ne soupçonne. « C’est exactement ça qui m’intéresse. Personne n’imagine que Richelieu avait une propriété là. Et pourtant. » C’est là son combat : révéler ce que les grands monuments éclipsent. « On a Versailles, Fontainebleau, et c’est magnifique. Mais partout en Île-de-France, il y a un patrimoine industriel, militaire, ouvrier, aristocratique… qui raconte aussi notre histoire. Et lui, il est parfois complètement à
l’abandon. »
Chaque année, 7000 dossiers de lieux patrimoniaux à aider, dont près de 300 franciliens
Depuis 2018, la Mission Bern croule sous les dossiers — jusqu’à 7000 par an, dont environ 270 en Île-de-France. Comment choisir ? « Quatre critères », énumère-t-il : l’état de péril d’abord — est-ce urgent ? L’intérêt patrimonial ensuite. Puis le projet de valorisation —
« ce qui me plaît, c’est quand il y a une vraie vie derrière ». Et enfin, le réalisme financier : est-ce qu’on peut y arriver ? Et des projets qui cochent les cases, ce n’est pas ce qui manque !
Après Genneviliers, direction les rotondes ferroviaires de Longueville, en Seine-et-Marne. Ces hangars circulaires servaient à orienter les locomotives sur des rails pivotants. « C’est fascinant. J’en ai un peu marre de faire le travail de la SNCF, mais bon, j’adore le patrimoine
ferroviaire ! » Là-bas, l’Association de Jeunes pour l’Entretien et la Conservation des Trains d’Autrefois (AJECTA) restaure des trains historiques et organise des voyages en locomotives d’époque. « C’est sérieux. C’est vivant. C’est exactement ce qu’on veut soutenir. »
« On donne envie à des gamins de devenir tailleurs de pierre, charpentiers. Des métiers sans chômage, des métiers qui vous élèvent. » Il marque une pause. « Participer à la beauté du monde, c’est pas mal, non ? »
Parmi ses coups de cœurs franciliens qui ont besoin d’un coup de main, il y a Chamarande, dans l’Essonne. Certaines parties du château, propriété du Département, menaçaient ruine. J’y avais vu une expo d’Arman incroyable. Lui aussi. « Un bâti ancien se marie formidablement avec l’art contemporain. » Aujourd’hui, c’est le plus grand espace vert de l’Essonne hors forêts domaniales, accessible en transports en commun. Il fait partie des projets retenus par le Loto du patrimoine 2025. Une collecte de dons est ouverte auprès de la Fondation du patrimoine pour participer à sa sauvegarde.
On revient à notre point de départ, cette flèche qui nous avait réunis dans le froid. Pourquoi ce projet lui tient-il tant à cœur ? « La basilique, c’est un livre d’histoire de France en pierre. Et j’ai toujours été frappé par son déséquilibre — cette flèche manquante. » L’idée lui avait été glissée par François Hollande en 2014. Le projet a dormi, puis repris vie.
On lui a un jour reproché de soutenir un monument « monarchiste et catholique ». Cela le fait rire. Sa réponse a fusé : « Allez voir les jeunes sur le chantier. Demandez-leur si c’est monarchiste. » Il insiste sur l’essentiel : un chantier ouvert, un village d’artisans qui se construit autour, des vocations qui naissent. « On donne envie à des gamins de devenir tailleurs de pierre, charpentiers. Des métiers sans chômage, des métiers qui vous élèvent. » Il marque une pause. « Participer à la beauté du monde, c’est pas mal, non ? »
Paye ton arbre au Potager du Roi !
Avant de le laisser retourner à son tournage, on lui demande une destination à visiter absolument le week-end prochain. Le Potager du Roi, à Versailles. La réponse ne se fait pas attendre. « Tout était trop compliqué trop longtemps. Maintenant, on avance. » Restauration des murs, replantation massive : 6 500 arbres, dont près de 5 000 fruitiers palissés. Un chef-d’œuvre du patrimoine végétal, piloté par l’École du paysage et lui aussi en péril. Pour allier l’utile à l’agréable, il est possible de parrainer un arbre pour aider à sa restauration.
Pour ceux qui veulent prolonger ? « Le Musée Pasteur, à Paris. Une Maison des Illustres trop méconnue. C’est un trésor. » Et cette collection est son autre cheval de bataille : Rosa Bonheur à Thomery, Monte-Cristo au Port-Marly, Cocteau à Milly-la-Forêt, Zola à Médan… Autant de lieux où l’on visite à la fois le patrimoine et la création. « Ça permet de visiter autrement notre histoire », dit-il en retournant à son film. Il a déjà mille choses à faire. Nous aussi, désormais.
Pour découvrir les sites soutenus par la Mission Bern en Île-de-France : missionbern.fr et la Fondation du patrimoine
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8 décembre 2025 - Gennevilliers