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Oser le dégonflement de la région parisienne au profit des villes moyennes

La région parisienne rassemble 12 millions d'habitants, soit autant que la Belgique / © Pe_Wu (Creative commons - Flickr)
La région parisienne rassemble 12 millions d’habitants, soit autant que la Belgique / © Pe_Wu (Creative commons – Flickr)

Si le télétravail a permis à certains Franciliens de quitter la région parisienne, le journaliste Olivier Razemon, auteur du livre "Les Parisiens, une obsession française" sorti ce mois-ci, considère que le dégonflement des grandes villes doit s'appuyer sur une politique d'Etat.

Olivier Razemon est journaliste, auteur de « Les Parisiens », une obsession française, (éd. Rue de l’Echiquier). Cette chronique est tirée de son blog « L’interconnexion n’est plus assurée » sur lemonde.fr

« Les villes moyennes tiennent leur revanche ». Voyez donc, avec les confinements, les couvre-feux, le masque obligatoire, la suspension des lieux de distraction, restaurants, salles de concert, musées, théâtres, sans oublier les backrooms, bref, avec les restrictions en tous genres, vivre dans une grande ville, et en région parisienne en particulier, ne présente plus beaucoup d’intérêt.

Voyez donc les maires de Charleville-Mézières, Valence, Bourg-en-Bresse, qui proclament, fiers, « mais oui, nous avons des parcs et des forêts, des commerces, une scène nationale, des espaces de coworking, et puis des gares pour venir et repartir, et même des pistes cyclables, venez donc télétravailler chez nous ». Paris se vide, la région parisienne n’attire plus, et ces gens qui ont fui la grande ville, qui télétravaillent à Valence ou depuis Caen, voyez comme ils sont heureux. « Les villes moyennes tiennent leur revanche », soit. Après un an de Covid, cette conclusion s’impose. Même si, en réalité, la tendance est plus ancienne. La région parisienne ne gagne des habitants que parce qu’elle compte une forte proportion de ménages en âge de faire des enfants, en grande couronne ou en Seine-Saint-Denis.

« Tous les sondages confirmaient, avant même 2020, le rejet massif de la Région capitale, tant par ses propres habitants que par ceux des autres régions »

Depuis les années 2000, le solde migratoire (les habitants qui arrivent versus ceux qui partent) de l’Île-de-France est négatif. Tous les sondages confirmaient, avant même 2020, le rejet massif de la Région capitale, tant par ses propres habitants que par ceux des autres régions. En 2019, la cherté des logements et la galère des transports se montraient déjà aussi efficaces que le coronavirus.

Puisque désormais l’évidence apparaît aux yeux de tous, ne boudons pas notre plaisir. Fringants, souriants, les ex-Parisiens (en fait des Franciliens), essentiellement des cadres et professions intellectuelles, s’installent dans des villes « à taille humaine » où ils font revivre les commerces de proximité que les grandes surfaces s’acharnent à détruire depuis des décennies. Un rééquilibrage entre Paris et la province est en cours ? Oui, et tant mieux. Les bonnes nouvelles ne sont pas fréquentes.

Pourtant, il ne faudrait pas que le double tropisme des observateurs, un tropisme à la fois parisien et cadre supérieur, ne laisse croire que l’exode urbain des professions intellectuelles et la normalisation du télétravail suffiraient à rééquilibrer le pays. Douze millions de personnes vivent en Île-de-France, et parmi elles quantité d’employés, ouvriers, intermédiaires, salariés par des grandes sociétés ou auto-entrepreneurs désargentés, dont une bonne partie rêvent aussi de quitter la région.

« Si les seuls bénéficiaires du rééquilibrage étaient des cadres hypermobiles, cette tendance créerait bientôt de nouvelles inégalités »

Si les seuls bénéficiaires du rééquilibrage étaient des cadres hypermobiles, cette tendance créerait bientôt de nouvelles inégalités. Les uns iraient et viendraient, Parisiens dans leur ville d’adoption, demi-touristes à Paris, tandis que les travailleurs essentiels, coincés en région parisienne par leur emploi non délocalisable, continueraient de subir les hauts prix de l’immobilier et la pénibilité des trajets quotidiens. De même, dans les régions de destination, l’exode urbain ne manquerait pas de créer des clivages, opposant les locaux de toujours aux nouveaux venus qui font monter les prix.

Le dégonflement des grandes villes, et en premier lieu de la conurbation francilienne, ne peut être alimenté seulement par les télétravailleurs et les professions intellectuelles. Ce rééquilibrage doit aussi procéder d’une politique d’État, une politique volontariste, à rebours de la concentration qui se pratique aujourd’hui.

Bien sûr, personne ne propose de déplacer de force des populations. Mais les pouvoirs publics, nationaux comme régionaux, doivent encourager la relocalisation de sièges sociaux, universités, bassins d’emploi dans les villes moyennes et petites. Un exemple: la SNCF, dont le siège est à Saint-Denis, au nord de Paris, peine à recruter des salariés effrayés par le prix de l’immobilier et la lourdeur des déplacements en région parisienne. « Pourquoi ne pas délocaliser ce siège dans une autre région? », interroge Jacques Baudrier, adjoint (PC) à la maire de Paris.

Or, aujourd’hui, les pouvoirs publics font exactement l’inverse. La région Île-de-France, l’État, ainsi que les puissants acteurs économiques franciliens continuent de promouvoir un Grand Paris tentaculaire et omnipotent, n’ont d’yeux que pour « l’attractivité » de la « métropole-monde », espérant « faire revenir les touristes internationaux », séduire les investisseurs, construire des marinas, magnifier Paris par les Jeux olympiques ou des grands projets immobiliers. Les villes moyennes tiendront vraiment leur revanche quand on acceptera enfin son inévitable corolaire : le dégonflement de la région parisienne.

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