Société
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Des solutions pour tenter de résoudre le casse-tête grand-parisien du logement

Mobilisation des habitants de la place Sainte-Marthe à Paris (10e) contre la spéculation immobilière dans le quartier / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
Mobilisation des habitants du quartier de la place Sainte-Marthe à Paris (10e) contre la spéculation immobilière / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

En vingt ans, le prix du mètre carré à Paris a bondi de 350 %, contre 130% en moyenne en France. Face à cette situation, des solutions émergent dont nous parlent Olivier Launay, directeur général d'Habitat et Humanisme, et Benjamin Hecht, politologue-urbaniste au sein de l'agence Repérage urbain.

Selon Michel Lussault, professeur à l’Ecole normale de Lyon et interrogé récemment par Le Monde, « tant que les difficultés pour se loger ne touchaient que les pauvres, peu s’en souciaient, mais maintenant que les classes moyennes sont concernées et que se loger devient une angoisse, le sujet émerge ». Qu’en pensez-vous ?

Olivier Launay : Notre sujet chez Habitat et Humanisme, c’est le logement des personnes fragiles. Néanmoins, l’association Accession Solidaire, qui fait partie de notre mouvement, se préoccupe d’accession sociale à la propriété depuis 60 ans. Et le logement des classes moyennes nous intéresse. A ce titre, nous rencontrons des difficultés croissantes pour loger notre propre personnel. Tous les lundis matins en commission d’attribution des logements, nous octroyons des logements bien placés et de qualité dans Paris à des ménages en difficultés sous le regard de gestionnaires et de travailleurs sociaux qui eux-mêmes font plus d’une heure de transport pour venir bosser. Ceci apparaît d’autant plus cruel que notre vocation est de produire de la mixité sociale. Si l’on se contente de faire des immeubles en PLAI (Prêt Locatif Aidé d’Intégration), c’est-à-dire du logement très social, dans des endroits à haute qualité urbaine, on ne fait in fine qu’organiser la confrontation entre des très pauvres et des assez riches. A nous d’enrichir notre palette en proposant des produits-logements mixtes, intégrant publics fragiles et classes moyennes.

Benjamin Hecht : C’est pourquoi en Seine-Saint-Denis on observe de plus en plus de programmes qui mêlent accession à la propriété, logements sociaux et logements très sociaux. Mais le problème doit être traité à l’échelle métropolitaine compte tenu du déséquilibre qui existe entre l’est, fortement pourvu en logements sociaux, et l’ouest.

Ces 20 dernières années, le prix du mètre carré a augmenté de 130 % en moyenne en France contre 350 % à Paris. Quelles en sont les principales raisons ?

BH : Le phénomène de la métropolisation a conduit à concentrer dans les villes mondes à la fois les activités économiques, médiatiques et politiques. Ce fort pouvoir d’attraction s’est traduit notamment par une hausse des prix de l’immobilier. D’autant qu’en Île-de-France on constate un important turn over avec des gens qui viennent chercher leur premier boulot avant de repartir. La flambée de l’immobilier est liée à cette fonction économique de la métropole parisienne qui entraîne une forte concurrence en matière d’accès au logement. S’ajoute à cela la typologie de Paris qui fait partie des villes les plus concentrées et les plus denses du monde, ce qui exacerbe les tensions. Dans le quartier de la place Sainte Marthe (10e) par exemple, les habitants se sont mobilisés et luttent contre la spéculation immobilière.

OL : Encore aujourd’hui, la forte puissance symbolique de Paris par rapport aux villes de banlieue accroît ce phénomène d’augmentation des prix. Je ne vois pas d’équivalent à ce côté in/out dans les métropoles  françaises.

BH : Il s’agit d’une réflexion qu’a eu l’architecte Rolande Castro dans son étude “Du Grand Paris à Paris en grand” en proposant d’accoler Paris aux noms des villes de banlieue – Bobigny-Paris, Vitry-Paris, Issy-Paris –  pour des questions de symbolique. 

OL : Il n’y a toutefois pas qu’à Paris que les prix augmentent de manière vertigineuse. La petite couronne aussi est embarquée dans cette spirale infernale. Les classes moyennes sont repoussées toujours plus loin.

Le logement est-il un sujet sur lequel on a le sentiment d’avoir prise collectivement ?

BH : Sur les cartes participatives « Debatomap » que nous avons mises en ligne pour les Municipales, comme à Lyon, Strasbourg, Bordeaux et dans le Grand Paris, on voit qu’il s’agit d’un sujet sur lequel les propositions des habitants ont plus de mal à émerger. Contrairement au transport, le logement est quelque chose sur lequel on se sent davantage impuissant. 

Mobilisation anti-spéculation immobilière dans le quartier Sainte-Marthe à Paris (10e) / Mobilisation des habitants de la place Sainte-Marthe à Paris (10e) contre la spéculation immobilière dans le quartier / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
Mobilisation des habitants du quartier de la place Sainte-Marthe à Paris (10e) contre la spéculation immobilière / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

L’une des solutions qui émerge pour contrer la spéculation immobilière s’appuie sur la création d’offices fonciers solidaires. En quoi cela consiste ?

OL : Il s’agit ici de dissocier le foncier du bâti. D’un côté, une structure garante de l’intérêt général, que l’on nomme organisme de foncier solidaire (OFS), acquiert le foncier, grâce à un prêt très longue durée de la Caisse des dépôts. De l’autre, les acquéreurs achètent les murs en souscrivant un bail réel solidaire (BRS) ; ils paieront en sus une petite redevance à l’office foncier solidaire pour jouir du foncier. Ce bail rechargeable, qui peut aller de 18 à 99 ans, est soumis à conditions de ressources. Culturellement, c’est un changement important de nos habitudes et de nos représentations. Potentiellement, on ne pourra pas céder son logement à ses enfants si ceux-ci ont des ressources trop élevées. On est là dans la situation où l’on s’achète un droit d’usage pour une durée longue, ce qui est plus sécurisant qu’un statut de locataire. En cas de revente du bien, celle-ci s’effectue sur la base du prix d’acquisition indexé et non sur la base du prix du marché. Si cela garantit à l’accédant de récupérer sa mise à la fin, cela lui interdit d’effectuer une culbute et donc d’alimenter la spéculation. C’est une proposition qui séduit les élus de tous bords et la ville de Paris vient de créer son propre OFS. Aujourd’hui, seule une petite opération a déjà été réalisée en France, au Pays basque, mais plusieurs dizaines d’opérations sont dans les tuyaux, y compris en Île-de-France.

Vous-même chez Habitat et Humanisme avez initié un projet d’office foncier solidaire au sein de l’actuelle friche des Grands voisins, dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris (14e), où doit éclore à terme un tout nouveau quartier…  

OL : Nous menons ce projet avec le promoteur Quartus avec qui nous avons remporté le concours sur l’îlot Lelong. L’organisme foncier solidaire n’était pas dans le cahier des charges initial. Nous l’avons proposé pour améliorer l’équilibre, qui prévoyait 22% de logement social et le reste en accession libre. Cela nous permet de proposer 26 logements à 5000€ du m2, soit moins d’un tiers du prix de marché, et va permettre à des gens qui n’auraient pas pu acheter à Paris d’y rester. Au final, nous allons faire cohabiter au sein du même ensemble une large palette de revenus, à la fois des locataires de logements sociaux et très sociaux, des acquéreurs via l’office foncier solidaire ainsi que des propriétaires aisés. Une des questions qui s’est posée concernait la distribution des logements dans l’immeuble. Fallait-il prévoir une entrée par catégorie d’occupants ? Le plus souvent, les promoteurs déploient des trésors d’inventivité pour assurer une parfaite étanchéité entre la partie sociale et la partie privative, si possible en créant deux adresses différentes. Nous avons au contraire choisi d’inventer la notion de “mixité au palier” avec pour chaque étage la même proportion de tous les types de logement sans différentiel de qualité.

Existe-t-il des équivalents ?

OL : Pas à notre connaissance. Le promoteur est courageux car lorsqu’un propriétaire achète un bien au prix fort, il achète aussi de l’entre-soi. Mais nous sommes certains qu’il y a une demande. En plus de leur logement, les acquéreurs vont également s’inscrire dans un projet de vie à fortes valeurs sociales et écologiques. Il n’y aura pas de parking par exemple mais une centrale de mobilité. Nous sommes en train d’écrire une charte afin que tous les futurs occupants puissent s’imprégner de l’esprit des lieux. Nous allons par ailleurs créer une association englobant la copropriété pour que tout ce qui touche à la vie collective de l’immeuble puisse être traité sur le principe “un homme / une voix”. Nous nous sommes inspirés pour cela des principes de la sociocratie, avec l’aide de nos partenaires de l’Institut des Futurs souhaitables. Raison pour laquelle nous voudrions désigner de manière très précoce les bénéficiaires des logements sociaux pour les former à ce mode de fonctionnement afin qu’ils prennent pleinement leur place et éviter que ce soit les propriétaires qui préemptent le lieu. 

Outre les offices fonciers solidaires, quelles autres alternatives existent ?  

BH : A Zurich par exemple, les coopératives d’habitat représente 20% du parc de logement de la ville. Le principe consiste pour les acquéreurs à se regrouper pour mutualiser leur prêt et ainsi obtenir de meilleur taux d’intérêts tout en participant à la rédaction du cahier des charges des logements. C’est une manière de se réapproprier la question de l’habitat. L’autopromotion immobilière est une autre piste qui se fait jour. Il s’agit de recruter les acquéreurs avant la construction des logements pour pouvoir discuter avec eux du programme immobilier. On peut citer également les bourses de logements qui permettent à des locataires sociaux de s’échanger leur logement. C’est une alternative aux projets d’infrastructures de transport en commun en ce qu’elles favorisent la mobilité des habitants d’un territoire qui ont ainsi la possibilité de se rapprocher de leur lieu de travail.

Jusqu’au deuxième tour des élections municipales le 22 mars, Enlarge your Paris s’associe à l’agence d’urbanisme Repérage urbain afin de permettre à tous les Grand-Parisiens de partager leurs idées sur les transports, le logement, l’environnement ou encore les loisirs via la carte participative en ligne « Debatomap ». Plus d’infos rubrique Société

Mobilisation des habitants du quartier de la place Sainte-Marthe à Paris (10e) contre la spéculation immobilière dans le quartier / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
Mobilisation des habitants du quartier de la place Sainte-Marthe à Paris (10e) contre la spéculation immobilière / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

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