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Les coronapistes marquent un tournant décisif dans la pratique du vélo en Île-de-France

La coronapiste de la rue de Rivoli à Paris partagée sur Twitter avec le hashtag #JaimeMaPiste / © @CommuteDeParis
La coronapiste de la rue de Rivoli à Paris. Une photo partagée sur Twitter par @CommuteDeParis sous le hashtag #JaimeMaPiste / © @CommuteDeParis

Elles ont fleuri au printemps dernier à la faveur du déconfinement. Si certaines ont disparu depuis, les coronapistes rencontrent un fort succès en Île-de-France, en particulier en banlieue où elles sont plébiscitées par 64% des habitants. Le Collectif Vélo Île-de-France, qui a participé à leur tracé, en dresse le bilan pour Enlarge your Paris et plaide pour leur pérennisation.

Stein van Oosteren, porte-parole du Collectif Vélo Île-de-France

Avec stupéfaction, le monde entier regarde les images de la rue de Rivoli remplie de vélos. Mais la dernière révolution du vélo en Île-de-France ne se déroule pas à Paris – qui ne fait que poursuivre une tendance déjà enclenchée – mais en banlieue. En quelques jours seulement, la petite couronne est passée d’un « Far West automobile », à un territoire maillé de coronapistes. Incroyable ! À tel point que de nombreux habitants investissent dans l’achat d’un vélo, souvent à assistance électrique, pour éviter les transports publics et les bouchons de voitures. Un vélo à assistance électrique n’est pas un achat d’impulsion, mais un investissement mûrement réfléchi. Leurs propriétaires comptent désormais sur la pérennisation du réseau des coronapistes.

Le Val-de-Marne a dégainé en premier, en réalisant rapidement son réseau de 40 kilomètres de coronapistes. L’une des pistes les plus attendues était celle sur l’avenue de Paris à Vincennes, la ligne A du futur réseau RER Vélo (RER V). Les Hauts-de-Seine ont mis un peu plus de temps à se lancer, mais ont fini par réaliser un réseau ambitieux. Il manque des pistes sur certains axes, comme la D910 à Boulogne (la ligne C du RER V), mais on peut enfin parler d’une meilleure couverture cyclable du département. C’est un progrès considérable !

« Il est important de réaliser des pistes d’emblée avec une protection plus forte »

La Seine-Saint-Denis a eu plus de difficultés à déployer son réseau de pistes, malgré le plan vélo ambitieux et la volonté forte de son président Stéphane Troussel. Les coronapistes réalisées souffrent à plusieurs endroits de voitures garées dessus en permanence. Avec le recul, cela montre qu’il est important de réaliser des pistes d’emblée avec une protection plus forte : soit des glissières de sécurité en béton, soit des potelets très rapprochés, soit la reconstitution d’un espace de stationnement/livraisons entre la chaussée et la piste.

En grande couronne, les départements ne participent pas encore à la construction du réseau cyclable régional. Ce sont plutôt les agglomérations qui agissent, comme Évry-Courcouronnes, Cergy-Pontoise et Paris-Saclay. Quelques changements bien pensés peuvent réaliser un impact significatif. Comme à Massy, où certaines coupures urbaines ont été résorbées en réservant une voie de circulation aux vélos et en sécurisant les giratoires. Pour s’assurer de l’adhésion de la population, le maire de Massy a demandé un retour d’expérience à ses administrés, avec un questionnaire.

« La Défense est le seul quartier à avoir adapté l’offre de stationnement en aménageant des « corona-arceaux » »

L’État joue aussi son rôle, notamment pour rendre La Défense – le premier quartier d’affaires d’Europe – cyclable, en acceptant la fermeture de la bretelle vers la D7. La coronapiste la plus emblématique et fréquentée du département des Hauts-de-Seine, sur la N13 sur le pont de Neuilly, a pu être aménagée grâce à l’accord de l’État. Ces accords ont permis l’entrée des vélos sur le boulevard circulaire et dans les souterrains de La Défense, qui sont devenus cyclables pour la toute première fois. D’un seul coup, ce quartier, qui emploie 180.000 personnes, est devenu beaucoup plus cyclable.

En plus de l’État et des grandes collectivités, certaines communes volontaires participent aussi au maillage cyclable du territoire en déployant des coronapistes elles-mêmes comme Gennevilliers, Colombes, Levallois-Perret, Malakoff, Rosny-sous-Bois, Antony, Sceaux, Clamart ou Châtillon. Autre observation : alors que des coronapistes apparaissent partout, La Défense est le seul quartier à avoir adapté l’offre de stationnement en aménageant des « corona-arceaux ».

La clé de cette transformation si rapide est double : la méthode de l’« urbanisme tactique » couplée à une gouvernance inclusive. En clair, au lieu de parler pendant une année pour créer une piste cyclable qui durera quarante ans, on fait d’abord une piste temporaire, puis les partenaires discutent et ajustent l’aménagement ensemble. « Je n’ai jamais vu un fonctionnement aussi efficace sur aucune politique publique » observe Pierre Serne, président du Club des villes et territoires cyclables et qui dirige une taskforce nationale pour faciliter la création des coronapistes.

Coronapiste à La Défense. Photo partagée sur Twitter par @jean_casa avec le hashtag #JaimeMaPiste / © @jean_casa
Coronapiste à La Défense. Photo partagée sur Twitter par @jean_casa sous le hashtag #JaimeMaPiste / © @jean_casa

« Jamais les associations n’avaient été associées si étroitement à la mise en œuvre de la politique cyclable »

En Île-de-France, ce nouveau mode de gouvernance a été initié par le préfet de la Région, qui réunissait deux fois par mois l’ensemble des partenaires pour suivre l’avancement des travaux. Cette méthode s’est affinée avec la multiplication des pistes. Les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne organisent même des réunions avec les partenaires pour chaque coronapiste : élus, techniciens et usagers. Jamais les associations n’avaient été associées si étroitement à la mise en œuvre de la politique cyclable. Cette discussion continue pour réaliser le RER V, dont les lignes feront bientôt l’objet de « comités de ligne » que la Région constitue actuellement avec le Collectif Vélo Île-de-France. L’engouement des collectivités pour le RER V est perceptible. Le Val-de-Marne et plusieurs collectivités souhaitent désormais poursuivre la ligne A du RER V jusqu’à Val d’Europe, le quartier de Disneyland Paris.

L’avenir des coronapistes dépend surtout des maires. Les départements, eux, sont volontaires pour créer un réseau cyclable sur leur territoire, mais ils se heurtent aux protestations de certains maires qui cèdent aux premiers ralentissements de voitures. Leurs arguments sont parfois étonnants, comme celui de la maire de Drancy en Seine-Saint-Denis qui a demandé la suppression de la piste cyclable sur l’ex N186. Elle se justifie sur Twitter : « Il y a peu de cyclistes chez nous car la plupart des habitants du 93 n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler, contrairement aux Parisiens qui ont le métro ». Si les habitants sont obligés de prendre la voiture, c’est justement car les routes n’ont pas de pistes cyclables ! Le faible nombre de cyclistes de la coronapiste s’explique ici par des discontinuités cyclables, et par la présence de plusieurs giratoires sans aucune protection pour le vélo. Bref, supprimer cette piste, c’est comme supprimer une autoroute tout entière car un éboulement a eu lieu sur un tronçon.

Dans le Val-de-Marne, les maires de Créteil et de Saint-Maur ont également obtenu, auprès du département, la suppression de toutes les coronapistes sur leur secteur (D86 et D19) car il y avait des bouchons. Une décision contreproductive : en supprimant la piste cyclable, les maires feront surtout revenir les bouchons qui existaient déjà avant la présence de pistes cyclables (paradoxe de Braess). La suppression des coronapistes sur la D86 pose problème car la D86 est l’une des rares rocades en banlieue, et les vélos, comme les automobilistes, ont aussi besoin de l’utiliser.

Dans les Hauts-de-Seine, deux coronapistes ont été supprimées : une sur la D19 à Gennevilliers, et une autre sur la D7 à Puteaux. Cette dernière suppression, demandée par la Ville de Puteaux, est honteuse : alors que la route compte huit (!) voies motorisées, les cyclistes sont priés de descendre un escalier à pied pour aboutir sur une terrasse de restaurant.

« 64 % des habitants en banlieue souhaitent préserver les coronapistes, soit plus qu’à Paris »

Ces suppressions de pistes, minoritaires pour l’instant, vont contre la volonté de 64 % des habitants en banlieue qui souhaitent préserver les coronapistes, soit plus qu’à Paris ! Elles ignorent la soif de vélo de la population et le succès de la majorité des coronapistes, mesuré quotidiennement par le Collectif Vélo Île-de-France. Les suppressions interviennent de façon précipitée, sans laisser le temps aux habitants de découvrir leur tout nouveau réseau et de changer leurs habitudes. Nulle part au monde on supprime une route au bout de trois semaines car on constate que peu de voitures l’utilisent.

Une suppression particulièrement impertinente concerne l’ex-piste sur la D86 à Fontenay-sous-Bois. Elle n’était pas encore connectée à Saint-Denis et le pôle d’activité de Val-de-Fontenay est toujours en télétravail. En plus, il s’agit d’un tronçon crucial du réseau RER V soutenu par la Région, la future ligne Grande Couronne (GC). Un autre exemple, encore plus incompréhensible, est la piste sur la D7, au Kremlin-Bicêtre, qui est la coronapiste la plus fréquentée en Île-de-France. Si le maire la fait supprimer, les plus de 5.000 vélos qui passent chaque jour devront se débrouiller en faisant un détour. Ces nouvelles ruptures compromettent l’attractivité et l’efficacité du réseau cyclable, qui reposent sur chacun de ces tronçons. Ces suppressions de pistes marquent un retour en arrière qui menace l’avenir du RER V voulu par la Région et les Franciliens.

Une coronapiste dans le Val-de-Marne. Photo partagée sur Twitter par @LouisBelenfant sous le hashtag #JaimeMaPiste / © @LouisBelenfant
Une coronapiste dans le Val-de-Marne. Photo partagée sur Twitter par @LouisBelenfant sous le hashtag #JaimeMaPiste / © @LouisBelenfant

« Le trafic automobile s’est lissé sur la journée depuis la crise du coronavirus, ce qui a fortement réduit l’effet « heures de pointe » et la congestion »

Les aléas du réseau des coronapistes ne sont pas que politiques, elles sont aussi techniques. On constate par exemple que le trafic automobile s’est lissé sur la journée depuis la crise du coronavirus, ce qui a fortement réduit l’effet « heures de pointe » et la congestion. Ce lissage permet une circulation plus fluide, ce qui est favorable au vélo car cela évite la suppression de pistes pour cause de bouchons.

Un deuxième élément important est la qualité des aménagements. Paris est à la pointe pour avoir finement travaillé la question du stationnement, des livraisons, des arrêts de bus et des carrefours. La Ville a aussi utilisé  beaucoup de blocs en béton pour protéger les pistes, indispensables pour rendre impossible l’intrusion par les voitures. Cette protection manque en banlieue, où les pistes sont souvent délimitées par de simples balisettes qui sont régulièrement déplacées (lorsqu’elles sont amovibles) ou écrasées (quand elles sont fixées). Montreuil fait figure d’exception. La qualité de ses aménagements avoisine celle de Paris et lui garantit un fonctionnement bien meilleur.

« Un défi qui reste à relever est la sécurisation des 70 portes de Paris »

Un troisième élément est le jalonnement des pistes qui a commencé avec l’association Paris en Selle sur deux lignes du Vélopolitain (le réseau cyclable des quatorze lignes de métro proposé par les associations Paris en Selle et Mieux se Déplacer à Bicyclette). Paris a emboîté le pas en marquant les numéros des lignes au sol avec la couleur correspondant à chaque ligne de métro. Les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne le font aussi sur leurs coronapistes en indiquant par exemple aux usagers de la D920 qu’ils sont sur la « ligne du RER B ». Ces repères sont fondamentaux car ils font prendre conscience aux usagers qu’ils ne sont pas juste sur une piste cyclable mais sur une ligne qui fait partie de tout un réseau, et qui couvre toute la petite couronne.

Un défi qui reste à relever est la sécurisation des 70 portes de Paris. Seule une poignée de portes a été traitée, et pas toujours de façon satisfaisante. Malgré les efforts déployés sur la porte d’Orléans, elle reste impraticable pour le néo-cycliste, qui est pris en sandwich entre les bus et les voitures. La porte Maillot dispose d’un tracé cyclable mais entièrement sur le trottoir, donc très inefficace et conflictuel vis-à-vis des piétons. La porte de Montreuil a été équipée d’un bout de piste bidirectionnelle d’un seul côté et qui est squatté les jours de marché. Les usagers sont renvoyés dans la circulation à contre-sens sur un grand rond-point très fréquenté, sans aucune visibilité à cause des camionnettes garées sur la piste ! L’aménagement en cours sur la porte de Saint-Cloud est beaucoup plus prometteur. Il s’agit presque d’un carrefour protégé à la néerlandaise comme la place de Catalogne.

Malgré les défauts techniques et les quelques suppressions de pistes, l’Île-de-France vient d’effectuer un tournant décisif en matière de vélo. Le trafic généré par le réseau de coronapistes est conséquent et celles-ci sont très appréciées, surtout en banlieue. Beaucoup de cyclistes informent le Collectif Vélo Île-de-France qu’ils souhaitent qu’elles soient pérennisées. Notre conseil : exprimez cette appréciation sur les réseaux sociaux avec une photo de votre coronapiste et le hashtag #JaimeMaPiste. Et surtout, écrivez au maire pour lui demander d’appuyer la pérennisation du nouveau réseau, notamment le RER V, dont la réalisation vient de commencer.

Infos pratiques : La carte des coronapistes est à retrouver sur velo-iledefrance.fr

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