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« L’eau est un bien commun, il ne faut pas faire du bénéfice dessus »

En France, environ 50 % de l'eau est gérée publiquement / © Pixabay
En France, environ 50 % de l’eau est gérée publiquement / © Pixabay

Lancée récemment, la pétition du maire de Grigny en Essonne, Philippe Rio, pour réclamer à Coca-Cola de cesser de puiser dans la nappe phréatiques de la ville a été signée 56 000 fois. Enlarge your Paris s'est entretenu avec lui.

Votre pétition réclamant que Coca-Cola cesse d’utiliser la nappe phréatique de Grigny a dépassé les 50 000 signataires. Par une autorisation préfectorale datant de 1986, la firme a la permission de s’en servir. Pourquoi lancer cette pétition maintenant ?

Philippe Rio : Parce qu’il y a eu un emballement médiatique sur la question, via notamment un article paru dans Le Parisien. On s’est donc dit qu’il fallait continuer à pousser le sujet. Après, élaborer une pétition ne signifie pas « être contre », mais plutôt qu’il faut changer de modèle. Or il s’avère que nous avons un plan B : Coca-Cola pourrait être raccordé à la Régie publique de l’eau de Grand Paris Sud. Cette pétition, c’est une sorte de pichenette pour avancer plus vite…

Où en sont les discussions avec Coca-Cola actuellement ?

Nous avons un accord de principe pour étudier la faisabilité technique et financière du projet. Coca-Cola doit comprendre que le modèle qu’ils emploient actuellement n’est plus dans l’air du temps ! Cette utilisation qui repose sur la force de l’habitude doit être remise en question. La société s’est d’ailleurs déjà fait épingler sur des sujets équivalents au Mexique ou en Inde. Les choses changent : Nestlé Waters a ainsi demandé une réduction de son autorisation annuelle de prélèvement à Vittel. Une prise de conscience est en cours chez les industriels. On ne peut pas demander aux collectivités de moins arroser les espaces verts, aux agriculteurs de faire attention, et laisser les industriels dans un angle mort.

Avec le réchauffement climatique, la question de l’accès à l’eau va se poser avec de plus en plus d’acuité. Comment y répondre ?

Je me suis rendu à la Conférence mondiale de l’eau organisée par l’ONU à New York du 22 au 24 mars dernier. Il n’y en avait pas eu depuis plus de quarante ans ! Notamment parce que, pour les pays occidentaux, jusqu’ici, la question de l’accès à l’eau n’était pas un problème. Or aujourd’hui, avec les sécheresses, on voit bien qu’en France par exemple on manque d’eau. Et cela va s’accélérer. Il y aura donc un double enjeu : l’accès mais aussi le partage. Dans ce cadre, la remunicipalisation [le retour à une gestion publique de la distribution d’eau potable, NDLR] constitue l’une des clés. À partir du moment où la production et la distribution ne constituent plus un enjeu financier, cela laisse une marge de manœuvre. L’eau est un bien commun, il ne faut pas faire du bénéfice dessus.

En août dernier, dans une tribune parue dans Libération, vous réclamiez que le droit à l’eau soit inscrit dans la Constitution. Pourquoi ?

Il existe un paradoxe français : notre pays a les deux plus grandes entreprises mondiales de l’eau que sont Suez et Veolia. Deux sociétés qui incarnent la France qui s’exporte. Le rapport de force est forcément asymétrique. Néanmoins, aujourd’hui, environ 50 % de l’eau du territoire est gérée publiquement. Et, dans une logique de sobriété économique, on ne peut pas gagner de l’argent sur l’eau comme le ferait une entreprise. Concernant l’inscription dans la Constitution, nos tentatives au Parlement ont échoué pour l’instant. Mais nous allons continuer. Car le réchauffement climatique nous impose des changements réglementaires.

Dans une ville de banlieue populaire comme Grigny, la question de l’accès à l’eau se pose-t-elle avec davantage de force que dans d’autres communes ?

Pour nous, la Seine est toujours là, même si son niveau risque de baisser de 30 % dans les années à venir. Mais il faut pouvoir proposer l’eau au juste prix – ne pas faire de bénéfices dessus – à la juste qualité et au juste service : qu’elle soit accessible tout le temps avec moins de problèmes de fuites. Ensuite, effectivement, la question de la consommation de l’eau dans les quartiers populaires est sensible. Comme l’énergie, c’est une dépense incompressible. Or, forcément, quand on a une famille nombreuse, il faut compter avec plus de douches quotidiennes, on utilise davantage d’eau pour la cuisine. On peut accompagner les changements d’usage. Nous avons ainsi plusieurs familles lancées dans le défi « familles à énergie positive ». Grâce à des évolutions de pratique, elles ont vu leur facture d’eau diminuer de 30 %. Quant à notre régie, cette année, elle a endossé la hausse des tarifs. Ils n’ont augmenté que de 1 % au lieu de 8 %.

Quel rôle pour l’État dans cette question de l’accès à l’eau ? Seriez-vous pour une nationalisation du secteur ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a besoin d’un nouveau rapport entre les collectivités locales et l’État sur le sujet. Car le rapport à l’eau n’est pas le même en Bretagne et en région parisienne. C’est un enjeu qu’il est compliqué de considérer à l’échelon national. Nous avons besoin que l’État soit présent autour de la table or, là, il ne l’est pas tellement. En fait, on n’a pas besoin de « plus d’État », mais de « mieux d’État ».

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