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À Toulouse, le maraîchage s’invite aux portes de la ville avec le 100e Singe

Sarah Pégorier, maraîchère, est installée sur un espace test agricole du 100e Singe à Toulouse / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Sarah Pégorier, maraîchère, est installée sur un espace test agricole du 100e Singe à Toulouse / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Comment relancer la production maraîchère dans les zones périurbaines ? C'est avec cet objectif qu'Amandine Largeaud a cofondé le 100e Singe, un tiers-lieu agroécologique consacré à la formation de maraîchers non issus du monde agricole dans la banlieue toulousaine. Enlarge your Paris est parti à sa rencontre.

Cet entretien a été réalisé dans le cadre des « Récits de territoire », une coproduction d’Enlarge your Paris avec la Banque des territoires consacrée aux tiers-lieux dans le Grand Paris, à Marseille et en région toulousaine. Le cahier « Récits de territoire, voyage dans l’archipel des tiers-lieux » est à télécharger ici

Qu’est-ce que c’est, un tiers-lieu agricole ?

Amandine Largeaud : Ce qui nous porte, c’est l’envie de remettre l’agriculture, le nourricier, au cœur de la société, au cœur de nos territoires, de la sortir de cette périphérie sociale et culturelle où elle est confinée, du silo professionnel et technicien dans lequel on l’a cantonnée depuis des décennies. Pour remettre le nourricier au centre, il faut engager des citoyens, des experts, des habitants et des élus. Donc, il faut un lieu d’échanges, de rencontres, de formation et de test. C’est précisément le rôle du tiers-lieu, qu’il soit agricole ou généraliste : c’est un outil social et territorial.

Y a-t-il quand même une offre que n’ont pas les tiers-lieux généralistes, qu’ils soient urbains ou ruraux ?

Les tiers-lieux utilisent les mêmes « outils », qu’ils soient thématiques ou généralistes : inciter les publics à se croiser, favoriser les coopérations, mutualiser les ressources matérielles et immatérielles, faire écosystème. Notre spécificité est que nous mettons à disposition à la fois des bureaux et des champs, nous mutualisons des outils qui vont de l’imprimante au motoculteur. Nous avons un site principal de 800 m2, avec 3 ha de champs, composé de bureaux mutualisés, de salles de formation, d’ateliers d’autofabrication d’outils, de parcelles de production maraîchères, de serres pédagogiques. Ce site est relié à six îlots d’incubation maraîchers tout autour de Toulouse. C’est pour cela que nous nous qualifions de tiers-lieu nourricier en archipel.

Quels sont les enjeux dans ce territoire qu’est la périphérie toulousaine ?

C’est un territoire « sous tension », vu par beaucoup comme une réserve foncière en attente d’urbanisation. Notre conviction est que les territoires périurbains post-ruraux peuvent avoir une autre finalité que d’être transformés en zones commerciales et pavillonnaires. Nous pensons que l’on peut redonner une fonction nourricière au périurbain, réimplanter une agriculture nourricière proche des gens, sur de petites surfaces… Bref, donner un autre potentiel social, économique et environnemental au périurbain.

« Les fonctions nourricières sont à la source de l’humanité, et un modèle d’agriculture c’est aussi un modèle de société, notamment dans le contexte de la transition écologique et climatique »

De quelle manière ?

Les reprises d’activité agricole sont aujourd’hui à 50 % le fait de personnes en reconversion, qui n’ont pas de réseaux d’entraide dans le milieu, pas de terres héritées de leur famille, pas de capital. Ce sont des NIMA (« non issus du monde agricole », dans le jargon) qui généralement souhaitent faire de l’agriculture sans pesticides, pas trop mécanisée, et si possible en lien avec les habitants et les consommateurs. Or les petites surfaces agricoles périurbaines sont parfaitement adaptées à ces nouveaux profils. Voilà pourquoi il est crucial de préserver, de redynamiser le périurbain nourricier. C’est en grande partie là que se nouent les sujets de transition et de sécurité alimentaires, de résilience. Et puis c’est dans les métropoles que se concentrent le pouvoir d’achat et la demande commerciale.

C’est donc pour accompagner ces « NIMA » que vous avez créé le 100e Singe ?

Cela fait dix ans que l’on voit émerger une vague de reconversions professionnelles massives, issues des burn-out, des quêtes de sens et de la volonté d’agir sur les urgences de notre société. Nous, on s’est lancés en 2015. Depuis 2017, nous avons porté l’activité, mis à disposition terre, matériel et accompagnement à une quinzaine de nouveaux agriculteurs agroécologiques qui exercent pendant trois ans au sein de notre espace test agricole. Nous avons 200 porteurs de projet dans notre réseau qui ont besoin de terre et d’accompagnement. Car l’accompagnement est l’une des clés du renouvellement des générations d’agriculteurs et de l’installation durable de ces « NIMA ». Donc oui, la formation et l’accompagnement des NIMA sont centraux. Mais pour réimplanter des agriculteurs de manière massive, le rôle des communes est crucial, car ce sont elles qui maîtrisent le foncier et les outils qui encadrent son usage (PLU, etc.). Nous soutenons les collectivités (élus et techniciens) pour les aider à concevoir des projets de transition alimentaires, créer des fermes municipales et des régies agricoles, établir des plans nourriciers, décider du gel de terres agricoles, etc. Nous accompagnons actuellement une dizaine de communes tout autour de Toulouse avec notre coopérative de conseil et d’accompagnement Le labo du 100e Singe.

Au 100e Singe, quel est votre métier ?

Aujourd’hui, je codirige le 100e Singe. Mais cela fait 25 ans que je crée des projets d’innovation sociale, dont deux projets pendant plus dix ans sur le Burkina Faso. Mon sujet est de créer des outils collectifs au plus près du besoin du changement de société, et de creuser des brèches pour que le maximum de monde s’y engouffre. Il faut créer un cadre qui n’existe pas encore, convaincre les institutions et les collectivités. C’est de l’intelligence collective dans les champs.

« Si en dix ans nous arrivions à créer une centaine d’ilots nourriciers avec de nouveaux agriculteurs agroécologiques installés durablement et coopérant ensemble tout autour de Toulouse, ce serait une vraie réussite »

Comment racontez-vous tout cela au monde agricole traditionnel ?

Hélas, les agriculteurs conventionnels et non conventionnels se parlent peu. Il y a une scission assez forte. Notre conviction est qu’on ne s’en sortira pas avec un seul modèle. Il faut des agriculteurs de grande surface et des modèles agroécologiques de plus petite surface. Nous espérons que les tiers-lieux nourriciers seront aussi des lieux de rencontre pour tous les univers agricoles.

Quel est votre horizon ?

À l’échelle de la société, il nous reste dix ans pour agir, parce que le monde agricole est en train de prendre sa retraite sans successeur, sans transmettre ses compétences ni ses terres. En 1950, il y avait en France cinq millions d’agriculteurs. En 2030, il en restera 200 000. Les fonctions nourricières sont à la source de l’humanité, et un modèle d’agriculture est aussi un modèle de société, notamment dans le contexte de la transition écologique et climatique. Ce qu’on met dans nos bouches, c’est aussi un contexte social, économique, culturel, politique. Certains souhaiteraient développer une agriculture sans agriculteur, très mécanisée et robotisée, mais ce n’est pas la société que l’on souhaite et cela aurait un énorme impact social, économique et écologique dans nos territoires.

Où vous voyez-vous dans dix ans ?

Nous n’avons pas envie des phénomènes de duplication de projets posés en « modèle ». Le 100e Singe et les tiers-lieux nourriciers en général sont des outils qui sont pertinents sur des territoires spécifiques. À d’autres endroits, il faut inventer d’autres outils. Notre rôle est plutôt de transmettre, partager les expériences, les réussites et les échecs pour que d’autres puissent travailler sur leurs territoires. Si en dix ans nous arrivions à créer une centaine d’îlots nourriciers avec de nouveaux agriculteurs agroécologiques installés durablement et coopérant tout autour de Toulouse, ce serait une vraie réussite.

Infos pratiques : le cahier « Les Récits de territoire, voyage dans l’archipel des tiers-lieux » est à télécharger ici

Un des espaces test agricoles du 100e Singe, en périphérie de Toulouse / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Amandine Largeaud et David-Alexandre Lobry, cofondateurs du 100e Singe / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Les bureaux du 100e Singe à Castanet-Tolosan, près de Toulouse / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Benoit Guénolé développe une ferme en aquaponie  au tiers-lieu 100e Singe à Toulouse / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Benoit Guénolé dans sa ferme en aquaponie au 100e Singe à Toulouse / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Camille Rabal, en espace test agricole, veut lancer sa ferme horticole et maraîchère au 100e Singe à Toulouse / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Camille Rabal, en espace test agricole, veut lancer sa ferme horticole et maraîchère au 100e Singe à Toulouse / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Sarah Pégorier et Romain Rougier, maraîchers, sont installés sur un espace test agricole du 100e Singe / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Le siège administratif du 100e Singe est situé dans la commune de Castanet-Tolosan / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris

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