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« Il faut avoir un apport personnel important pour acheter en région parisienne »

Jour 5. Le long du tracé de la Ligne 14 sud et du futur agro-quartier de Rungis / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Le futur agro-quartier de Rungis dans le Val-de-Marne / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

En 20 ans, le marché de l’immobilier grand-parisien s'est transformé. Maître Élodie Frémont, notaire à Paris et membre des Notaires du Grand Paris, en décrypte les tendances pour Enlarge your Paris.

En 20 ans, les prix de l’immobilier à Paris ont été multipliés par plus de 3 pour les appartements et par 2,4 pour les maisons. Quels facteurs expliquent cette explosion des prix ?

Maître Élodie Frémont : Paris était en retard par rapport à d’autres capitales européennes. On observe donc une augmentation raisonnée des prix, rien à voir avec une bulle spéculative. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : le parc immobilier continue de se réduire pour les primo-accédants car il y a de plus en plus de logements sociaux et de logements dédiés au locatif, notamment à Paris et en petite couronne. Un phénomène accentué par les décisions de la ville de Paris de porter la part des logements sociaux à 25%. Les augmentations de prix sont aussi dues aux grands appartements de cinq pièces et plus, achetés sans négociation dans les 6e, 7e et 16e arrondissements par des résidents étrangers ou des expatriés français. En grande couronne, c’est beaucoup plus disparate. On observe une progression importante des prix dans une ville comme Versailles (Yvelines), et un niveau moindre dans une ville comme Torcy (Seine-et-Marne).

2020 a été une année particulière, y compris pour le marché de l’immobilier…

Oui, complètement. Nous avons vu la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, les taux de crédit sont très bas et la durée des crédits s’est allongée, passant de 15 à 25 ans, ce qui est  favorable à l’investissement immobilier. On a ensuite observé un premier « effet Covid » lors du confinement du printemps. Cela a créé une angoisse et les Franciliens ont investi dans la pierre. Un phénomène renforcé par le fait que les marchés financiers ne vont pas très bien. Il y a ensuite eu un deuxième « effet Covid » avec une prise de conscience du besoin d’aller se mettre au vert. A présent, j’ai des clients qui ont deux appartements, l’un pour leur vie de tous les jours, où ils peuvent même télétravailler, et un autre quand ils viennent travailler à Paris.

Justement, où vont s’installer ces Parisiens en quête de vert ? Cela explique-t-il la hausse des prix en grande couronne ?

Globalement, ces acheteurs choisissent un lieu à une heure maximum de Paris pour investir dans un deuxième bien. En revanche, cela n’explique pas en soi la hausse des prix en grande banlieue [qui a doublé en 20 ans, Ndlr], moindre par rapport à Paris intra-muros. Cela s’explique par des constructions neuves plus nombreuses. Or, les programmes neufs d’il y a 10 ans, qui bénéficiaient de régimes fiscaux favorables comme la loi Pinel, sont aujourd’hui des biens que l’on retrouve sur le marché à des prix plus élevés.  

Les maisons reviennent-elles à la mode avec l’effet du confinement ?

Oui. Au regard des promesses de ventes enregistrées au dernier trimestre, on observe que les achats de maisons ont progressé en volume et en prix, alors même que la période est peu favorable aux transactions immobilières. C’est vraiment radical. En grande couronne notamment, on privilégie la maison avec jardin. Il y a une vraie prise de conscience de certains Parisiens du besoin d’être au vert.

Quels sont les outils pour réguler la hausse des prix de l’immobilier en Île-de-France ?

C’est une question politique. Avec un parc locatif représentant 25% à Paris, fatalement, on ne fait pas baisser les prix, malgré des taux d’intérêt bas. Aujourd’hui, le marché immobilier des primo-accédants est réduit à peau de chagrin. Il faut avoir un apport personnel important pour acheter en région parisienne. Le risque, à terme, est d’avoir un Paris ressemblant à Londres, un Paris de bureaux, un Paris-musée, réservé à certaines classes socio-professionnelles. Le primo-accédant qui a un budget limité ne pourra pas investir dans un deux-pièces parisien. Pour augmenter le nombre de biens, on peut donc construire en hauteur, assouplir les règles pour transformer des bureaux en logements ou encore accepter que la résidence principale soit un outil financier pour le primo-accédant, via Airbnb par exemple. Mais ce n’est pas vraiment la tendance à Paris.

Voyez-vous émerger des alternatives comme les offices fonciers solidaires ou l’autopromotion immobilière ?

Non, je n’en vois pas en Île-de-France. Ça ne fonctionne pas bien. Parfois, des particuliers montent des SCI (société civile immobilière) d’attribution, ce qui leur permet de négocier plus facilement un prêt, puis de se répartir des lots dans un immeuble. Tout va bien au début, mais à un moment, ça coince à cause du suivi des travaux ou des mésententes. En revanche, j’observe de plus en plus d’achats d’un usufruit ou d’un viager. Les retraités voient leur niveau de vie baisser, ils décident donc de vendre leur bien au lieu de le transmettre. C’est une tendance propre à Paris.  

À quoi ressemblera 2021 pour le marché immobilier ?

Mon sentiment est que les Franciliens vont patienter. Ils attendent notamment de savoir s’ils vont conserver leur emploi, dans quelles conditions et s’ils vont pouvoir investir. Le marché restera en suspens durant le premier trimestre 2021. Je le ressens auprès de mes clients. En conséquence, le volume de biens ne va pas augmenter, les prix vont donc stagner ou légèrement s’éroder. Mais l’hiver n’est pas véritablement révélateur de tendances. La plupart des achats ont lieu au printemps ou durant l’été.

Infos pratiques : Plus d’infos sur notairesdugrandparis.fr

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