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« Dans les villes de plus de 30 000 habitants, moins de 0,4 % des maires viennent du monde ouvrier »

Ivry, où plusieurs des anciens maires sont issus du monde ouvrier, est l'une des dernières villes de petite couronne dirigée par un maire communiste / © Claude Valette (Creative commons - Flickr)
Ivry, où plusieurs des anciens maires sont issus du monde ouvrier, est l’une des dernières villes de petite couronne dirigée par un maire communiste / © Claude Valette (Creative commons – Flickr)

Alors que de nombreux anciens bastions communistes ont porté la candidature de Jean-Luc Mélenchon au 1er tour de l'élection présidentielle, Enlarge your Paris s'est plongé dans l'histoire du communisme municipal avec Emmanuel Bellanger, chercheur au sein du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains et spécialiste de l’histoire sociale des banlieues.

Comment définir ce qu’est le communisme municipal ?

Emmanuel Bellanger : On peut le voir comme une déclinaison de l’expression « villes rouges ». Ce qui va faire sa force à partir des années 20, c’est la large adhésion de la sociologie ouvrière des villes et des banlieues au Parti communiste. Le corps électoral se reconnaît dans des personnalités politiques qui sont issues du monde ouvrier. Prenons l’exemple des différents maires d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Georges Marrane (1925-1939 puis 1965-1985) était mécanicien-horloger, Venise Gosnat (1944-1945) a été forgeron puis concierge et Jacques Laloë (1985-1998), ouvrier tourneur. Il existe une identification forte entre le corps électoral et les élites communistes.Aujourd’hui, dans les villes de plus de 30 000 habitants, moins de 0,4 % des maires viennent du monde ouvrier ; Dans les années 30, à l’époque du Front Populaire, 10 % des mairies des grandes villes de France étaient dirigées par des ouvriers grâce au Parti communiste. 

A quoi tient la force du communisme municipal ?

Il restaure une fierté ouvrière tout en menant une politique sociale ambitieuse avec les HBM (habitations à bon marché) et une politique de santé qui se traduit par l’ouverture de centres municipaux de santé. Cela passe en outre par un contrôle social via les colonies de vacances, les associations de locataires, les jumelages… Le communisme municipal, ce sont des élus bâtisseurs et aussi des syndicats qui fidélisent. Le fait que les électeurs habitent la ville et y travaillent, ou, tout du moins, travaillent à proximité, permet de renforcer les liens et de créer véritablement un esprit de « village municipal ». On se reconnaît et on est reconnu. Dans les années 30, une trentaine de communes de la région parisienne appartiennent à la banlieue rouge. Cela équivaut à environ 800 000 habitants. 

Comment expliquer que ce mouvement s’effrite ?

Cela tient à la désindustrialisation qui démarre dès les années 60, à la faveur de la politique menée par l’Etat gaullien. Est alors mise en oeuvre la décentralisation industrielle. Entre 500 et 600 000 emplois sont délocalisés et quittent la banlieue pour la grande banlieue ou la province. Les territoires opèrent une transition vers la tertiarisation économique, comme à la Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) par exemple. En parallèle, les quartiers vont se paupériser et la notion de fierté ouvrière décliner. Reste la sociabilité municipale portée par les fêtes populaires. Dans les années 80, un deuxième choc survient. Le communisme municipal rate le rendez-vous avec la jeunesse issue de l’immigration. Dans les années 20 et 30, le PC soutenait l’ascension sociale des ouvriers.  Or cette logique d’ascension, il ne l’offre pas aux enfants de l’immigration coloniale. Ou alors avec retard. Aujourd’hui, c’est plutôt la France Insoumise (LFI) qui incarne cette jeunesse des quartiers populaires. 

Est-ce à dire que la France Insoumise est en train de rogner sur les terres du communisme municipal ?

Quand on regarde la géographie du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon lors du premier tour de la présidentielle, elle se calque sur celle des villes rouges. On le constate en Seine-Saint-Denis mais aussi au Havre, dans les banlieues de la métropole lyonnaise ou de Grenoble. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le communisme municipal avait perdu l’ancienne Seine-et-Oise, à savoir l’Essonne, le Val-d’Oise et la Seine-et-Marne. Or les villes et quartiers populaires de ces territoires se sont retrouvés dans la candidature de Jean-Luc Mélenchon. On a vu émerger un dynamisme commun entre les banlieues populaires et la grande banlieue. Les communes gentrifiées du Grand Paris ont également vu converger, à la faveur de la campagne de LFI, un vote populaire des quartiers et un vote « bobo » des centres villes.

Pourquoi alors n’a-t-on pas assisté dans ces villes à une percée significative de LFI dès les municipales de 2020 ?

Parce que la figure du maire protecteur est toujours porteuse en temps de crise. Lors de ces municipales, le PS comme la droite ont plutôt bien résisté. On a constaté une stabilité de la géopolitique municipale. Le PC a lui aussi bénéficié de de cette image séculaire du maire bienfaiteur. Il y a même eu des villes reconquises comme Bobigny, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) ou Villejuif (Val-de-Marne). Mais aussi des pertes importantes comme Saint-Denis, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ou Champigny (Val-de-Marne). Là où le communisme municipal résiste, c’est quand il porte avec fierté l’histoire de la ville. C’est le cas, par exemple, à Gennevilliers (Seine-saint-Denis) ou Ivry (Val-de-Marne). On a, à la tête de ces communes, des maires qui construisent leur légitimité politique en s’appuyant sur les conquêtes du passé, les réalisations et la préservation d’une histoire populaire. 

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