Société
|

Soutenir, l’expo qui explore la place du soin en ville

Bagnolet / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Les applaudissements aux soignants à Bagnolet pendant le premier confinement au printemps 2020 / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Jusqu'au 28 août, le Pavillon de l'Arsenal propose l'exposition "Soutenir. Ville, architecture et soin" dont nous avons parlé avec deux de ses organisateurs, la philosophe Cynthia Fleury et l'architecte au sein de l'agence SCAU Eric de Thoisy.

L’anniversaire de la crise sanitaire débutée il y a deux ans est-il la raison d’être de cette exposition?

Eric de Thoisy : Il est sûr que cet anniversaire est une date marquante. La crise sanitaire a été une expérience architecturale autant que spatiale. Mais cela fait un certain temps que nous réfléchissons à ce sujet. Au sein du collectif SCAU, le sujet du soin est très prégnant. Nous avons notamment travaillé sur la restructuration de l’Hôtel-Dieu à Paris, mais aussi conçu le groupe hospitalier Nord-Essonne sur le plateau de Saclay. Nous avions donc à coeur de creuser cette thématique.

Cynthia Fleury : Il existe une dimension spatiale du soin. Via cette exposition, nous souhaitions revenir sur la manière dont l’architecture est thérapeutique. C’est notamment le passage de l’hôpital comme « machine à guérir » à l’architecture-placebo pour ne donner qu’une des nombreuses illustrations de cette question. 

Ville et soin… Les deux termes peuvent sembler antinomiques. Vous rappelez d’ailleurs qu’au début de la crise sanitaire, un million de Franciliens ont choisi de quitter la région…

Eric de Thoisy : Ville et soin n’ont pas toujours été antinomiques. Il existe un mouvement de balancier. Dans l’entre-deux-guerres notamment, il y a ce souci de faire de la ville un lieu de soin. C’est dans cette optique que sont conçues les cité-jardins par exemple. 

Cynthia Fleury : Il est vrai que la ville n’apparaît pas toujours comme un lieu accueillant et sécurisant. Le dernier grand mouvement « mégalopolesque » entre les années 50 et 80 a rendu les villes plus inhabitables qu’elles ne le sont en réalité. Le phénomène de densification, la période des grandes barres HLM y ont contribué. Dans l’exposition, nous revenons sur les écrits de Mitscherlitch et de Laborit dénonçant la « sarcellite », autrement dit les troubles psychologiques liés à l’uniformisation des bâtiments. Il faut attendre la charte d’Aalborg en 1994 pour que les notion de durabilité et de ville résiliente deviennent clefs dans l’aménagement urbanistique.

Qui dit soin dit hôpital. Comment sa place a-t-elle évolué au sein de la cité ?

Eric de Thoisy : Là encore, il y a de grands mouvements d’oscillation. L’Hôtel-Dieu à Paris par exemple correspond à un épisode de centralité urbaine du soin. Mais il y a aussi des phénomènes de mises à l’écart quand on pense par exemple, vers l’an 1000, aux léproseries ou aux lazarets, ces établissements qui servent de zones de mise en quarantaine. Cela pose en fait la question du type de malades que l’on inclut dans la ville.

Cynthia Fleury : Derrière les stratégies territoriales, il y a toujours une réflexion sur ce qui fait norme. Prenons l’exemple des aliénés. Dans les années 70, la psychiatrie déstigmatise le patient, le réinsère dans la ville via la politique du « secteur », les unités mobiles, les centres médico-psychologiques. Mais s’éloigner de la ville n’est pas uniquement signe de stigmatisation ou d’exclusion : le centre de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère ou de la clinique de La Borde dans le Loir-et-Cher ont été des « lieux » en dehors des villes absolument déterminants pour la rénovation du soin psychiatrique et notamment leur « ouverture » sur le monde et la société. 

L'exposition Soutenir au Pavillon de l'Arsenal à Paris / © Pavillon de l'Arsenal
L’exposition Soutenir au Pavillon de l’Arsenal à Paris / © Pavillon de l’Arsenal

En termes d’architecture, la place faite au patient au sein de l’hôpital a-t-elle évolué ?

Eric de Thoisy : La grande tendance depuis essentiellement le tournant du XVIIIème siècle et jusqu’ à aujourd’hui a consisté surtout à privilégier une architecture très gestionnaire, faisant la part belle au soin technique. Mais, depuis quelque temps, on assiste à l’invention d’autres modèles où le malade retrouve toute sa place. Certains parviennent même à combiner ces deux tendances, « machinisme » et humanisme.

Cynthia Fleury : C’est le cas de l’architecte Paul Nelson. Dans les années 60, il a conçu les hôpitaux de Dinan et d’Arles. On trouve dans ses réalisations cette idée de « machine » et, en même temps, quand vous parlez aux soignants, ils mettent en avant la circulation dans les espaces, les dimensions à la juste échelle humaine, la lumière… Actuellement, on sent une prise en compte accrue des espaces communs. Comme si toutes les parties prenantes – patients, soignants, aidants…- étaient davantage prises en considération. 

L’exposition s’intéresse également à la place des morts dans la ville. Sachant combien notre société a du mal à regarder en face ce sujet, comment cette question est-elle envisagée ?

Cynthia Fleury : Il y a effectivement, dans notre monde actuel, une invisibilisation non seulement des morts, mais aussi des endeuillés et des rites funéraires. Nous avons pourtant besoin de lieux publics qui puissent accueillir les peines, comme un autre rythme de « vie », celui du recueillement, de l’hypervulnérabilité.

Eric de Thoisy : Jusqu’au XVIIIème siècle, ces lieux ne sont pas juste dédiés au repos des défunts, mais aussi à d’autres choses. Ainsi, à Paris,, le cimetière des Innocents était également un espace de marché. D’une certaine manière, on peut retrouver cela aujourd’hui. Par exemple, dans les années 50, l’architecte Robert Auzelle a défendu le principe de cimetières paysagers où l’on peut se promener. Quant à Agnès Varda, elle avait planté un pin et installé un banc à côté de la tombe de Jacques Demy.

Infos pratiques : Exposition « Soutenir. Ville, architecture et soin » au Pavillon de l’Arsenal, 21, boulevard Morland, Paris (4e). Jusqu’au 28 août. Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 19h. Entrée libre. Accès : Métro Sully-Morland (ligne 7). Plus d’infos sur pavillon-arsenal.com

Voir aussi : Deux mois d’applaudissements aux soignants vus par la photographe Jérômine Derigny

Lire aussi : Quand les politiques de santé dessinaient Paris

Lire aussi : A Ground Control, l’aide alimentaire aux étudiants passe par la déculpabilisation

Lire aussi : Avec la crise sanitaire, la tendance au bénévolat s’amplifie

Lire aussi : « En Seine-Saint-Denis, le Covid-19 tue, les inégalités aussi »