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« Le théâtre ne donne des quartiers qu’une vision monolithique, basée sur ce qui ne va pas »

banlieue
© Denna Jones (Flickr – Creative commons)

Figure emblématique du quartier de la Paillade à Montpellier, Nourdine Bara est un auteur de théâtre qui aime semer la culture un peu partout, comme lorsqu'il lance un café littéraire dans une boulangerie. Fin janvier, il fait paraître dans le magazine « Lokko » une tribune intitulée « Théâtre et quartiers populaires : à quel endroit se loupe-t-on ? » dans laquelle il dénonce une représentation formatée des quartiers sur les scènes nationales. Nous avons voulu en savoir plus.

D’où vous est venu le besoin de pousser ce coup de gueule ?

Nourdine Bara : Aujourd’hui, le théâtre ne donne des quartiers qu’une vision monolithique, basée sur ce qui ne va pas. En fait, cette idée d’une programmation très sélective, aux choix très arrêtés sur un aspect seulement de ce que sont les quartiers, je l’ai identifiée dès mes premières tentatives pour exister dans le théâtre. Je me disais : « C’est comme ça… Vas-y quand même ! S’ils ne s’y retrouvent pas dans mes textes, je garderai l’avantage, et l’usage, d’être arabe issu des cités. » Mais, aujourd’hui, je n’en peux plus de participer à ce jeu de dupes qui nous fait du mal à tous, à moi et à ceux qui s’y résignent. À ceux qui longtemps, moi le premier, s’en sont accommodés. J’en venais même à devancer ce que je considérais comme les seules possibilités de pouvoir me produire…

De quelles possibilités parlez-vous ?

Quand les grands théâtres nous ouvrent leurs portes, ce qui nous attend c’est une zone tampon, une « banlieue » à la programmation principale. Il s’agissait alors pour moi de n’aspirer à jouer que dans des scènes ouvertes, dans le hall, faire la proposition de jouer dans l’espace bar, ou dans un cadre quelconque de ce genre. Soyons clair : ces concessions, si j’ai bien voulu les faire sur la forme, je ne les ai jamais faites sur le fond, c’est-à-dire le contenu de mes textes. Mais là, je ne peux plus me contenter de ça, alors que la situation devient dramatique. Alors que grandit un malentendu entre les quartiers et le reste du territoire. Dans cette situation, comment le théâtre peut-il encore autant rechigner à ouvrir ses scènes pour y laisser vivre, loin du bruit et des polémiques, des instants où l’on prendrait réellement le temps de faire connaissance avec la vraie vie de l’autre ?

Mais il y a bien des auteurs issus des quartiers qui racontent les quartiers sur scène. Que leur reprochez-vous ?

Ce qui m’embête, ce n’est pas ce qu’ils racontent. Mais qu’ils ne racontent « que ça ». À savoir cette idée du quartier comme un carcan pour des habitants pris dans une malédiction, dans un malheur dont on ne se défait pas. Comme la parole des résidents de ces quartiers est peu fréquente, on en vient à penser que c’est ce qu’ils ont de mieux à dire. Ce tort n’est pas seulement celui de ces auteurs. Leurs propositions, le plus souvent, sont une réponse à une attente. Or, je préfère qu’on nous soupçonne de choses belles et positives plutôt que d’être vus comme d’éternelles plaintes sur pattes. Nous valons mieux que ça. Il y a comme une préemption de l’imaginaire en ce qui nous concerne. Ces quelques auteurs, qu’on retrouve sur bon nombre de scènes nationales, qui ne rechignent pas à servir cette attente, nous donnent à voir quelque chose de triste. Leur façon d’être dans la négation d’eux-mêmes impacte le collectif. Artistes, ils sont censés être des éclaireurs qui pénètrent le monde des idées, des émotions, pour nous parler d’un présent mais aussi d’un avenir et de tous ses possibles. À l’inverse, ils ne donnent à voir qu’une impasse…

Est-ce le cas dans toutes les institutions théâtrales ?

Non, heureusement. Il y a encore des espaces où le théâtre est à l’abri de cette compromission, de cette falsification de la vie. Je pense aux MJC, aux Maisons Pour Tous, à ces lieux affranchis de toute prétention hors de propos qui, comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman, « à leur tâche jour après jour (…) changeaient la vie ». Le problème vient d’un théâtre plus institutionnalisé. Un théâtre qui est à la traîne de tous les combats liés aux discriminations. Dans son effort pour rattraper son retard, il ressemble à un gamin qui se met frénétiquement à ranger sa chambre alors que jusqu’à présent il ne l’avait jamais fait. Forcément, on se dit que ce gamin a quelque chose à demander ou à se faire pardonner. Et son retard est si grand qu’il commence par le plus caricatural, le plus grossier, y compris en matière de féminisme, d’écologie, de handicap… Un vrai gâchis.

Est-ce que la solution ne serait pas de faire venir davantage les habitants de ces quartiers dans les théâtres ? Ainsi ils pourraient remettre en cause la vision qui est projetée d’eux…

Dans les quartiers populaires, on est très au courant et très affecté par l’idée qui grandit à notre propos. Si dans les théâtres se racontaient des choses qui étaient de nature à nous rassurer, à nous mettre du baume au cœur, parce que cela nous ressemblerait, parce que cela conduirait à une humanité mieux partagée, je peux vous dire que cela ne nous aurait pas échappé… On y serait allés ! Le truc, c’est qu’en plus c’est à nous de faire tout le chemin. Pas la moitié du chemin, la totalité ! Le théâtre, il nous attend dans son hall. Je suis un peu devenu, par les actions que je porte, un acteur de la vie culturelle, et mon expérience me dit qu’il faut avoir l’humilité de parcourir la totalité de la route jusqu’à un public qui n’a même jamais eu l’idée d’aller au théâtre, qui ne s’envisage pas comme potentiel public ! Lorsqu’on est un théâtre, ne concevoir que d’être « rejoint », ne concéder qu’une affiche, un article qui annonce un spectacle, se suffire de cette communication à mi-distance, cela trahit un désir minimum, une fierté mal placée, hors de propos.

Ces théâtres pourraient vous objecter qu’ils mettent en place des ponts en direction des quartiers : via des tarifs préférentiels, des ateliers de médiation, des partenariats avec les centres sociaux, les écoles…

Sauf que ce n’est pas fait avec le cœur. Plutôt par sentiment d’obligation qui ne trompe personne. Or, quand quelque chose est mal raconté, mal partagé, cela ne fonctionne pas. Si on n’y met pas le cœur, on peut se rater. Souvenons-nous combien la littérature, le théâtre mal communiqués à l’école peuvent nous en dégoûter. Se souvenir aussi combien le contraire est possible, combien on peut nous passionner pour la culture lorsqu’elle nous est transmise avec amour ! Un théâtre qui fait dans la demi-mesure ne provoque rien de bon, rien d’utile.

Infos pratiques : la tribune de Nourdine Bara est à retrouver sur lokko.fr

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