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A Saclay, les « terres précieuses » ont résisté au béton

Le Plateau de Saclay. Martine Debiesse DR

40 ans de bataille. Des élus, des associations, des agriculteurs contre l'urbanisation. En 2010 : une victoire rare, une protection juridique unique en France. En juillet 2025 : un nom enfin digne de ces terres. Martine Debiesse raconte comment une mobilisation collective a sauvé 2 000 hectares de richesse nourricière exceptionnelle.

Pendant 40 ans, l’État a rêvé d’urbaniser entièrement le Plateau de Saclay. Mais des élus, des associations, des agriculteurs ont dit non. En 2010, leur bataille aboutit à une protection juridique unique en France, pour ha de terres agricoles. Depuis juillet 2025, cette zone porte enfin un nom digne d’elle : “Terres protégées du Plateau de Saclay”. Martine Debiesse, biographe du territoire, raconte comment une longue mobilisation collective a sauvé une richesse nourricière exceptionnelle.

Saclay. Le nom commence à faire du bruit dans les classements internationaux des universités. Paris-Saclay grimpe, attire les chercheurs, les talents. C’est devenu un pôle d’innovation et de recherche majeur du Grand Paris. Mais Saclay, c’est d’abord une terre. Une terre agricole d’exception. Historiquement un domaine de chasse de Louis XIV, puis transformée après la Révolution en centre agricole unique en Île-de-France.

On revient de loin

Dans les années 1960, ces terres agricoles ont failli disparaître. L’État rêvait d’autre chose : urbaniser massivement le Plateau. La ville nouvelle de Saint-Quentin, 400 000 habitants, une autoroute, une gare nouvelle. Le Plateau était vu comme un vide à remplir. Pendant 40 ans, des élus, des associations, des agriculteurs se mobilisent. Ils disent non. Ils défendent une autre vision. S’opposent au mitage, à l’étalement urbain, routier… au tout béton.

En 2010, cette bataille aboutit : la ZPNAF est créée par la loi du Grand Paris votée au Parlement. Zone de Protection Naturelle, Agricole et Forestière. Un acronyme barbare qui désignait 2 354 hectares enfin protégés (soit environ un quart de la superficie de Paris)—un dispositif législatif unique en France. Pendant 15 ans, ce nom a rebuté. Même ceux qui se battaient pour défendre ces terres le trouvaient horrible.

Et puis, en juillet 2025, quelque chose a changé. La zone protégée depuis 2010 a enfin un vrai nom : Terres protégées du Plateau de Saclay. Pourquoi ce changement ? Et surtout : pourquoi ça compte ? Martine Debiesse, raconte dans un livre d’entretiens plusieurs décennies de mobilisation qui ont permis la préservation du plateau agricole.

Une attache personnelle

« Je suis très attachée au Plateau de Saclay. D’abord parce que j’habite à deux pas. » Mais c’est plus profond que ça. « La double vocation agricole et scientifique du Plateau fait écho à mon histoire familiale : deux grands-parents paysans de montagne, deux autres qui avaient les maths et la physique au cœur de leurs métiers. »

Et c’est surtout parce que Martine mesure l’enjeu véritable. Ces terres ne sont pas ordinaires. Elle cite Cyril Girardin, chercheur à l’INRAE et spécialiste des sols, qui explique : « Ces sols sont les plus productifs de France. Des rendements de 90 à 100 quintaux à l’hectare de blé, quand la moyenne nationale est de 74. Et sans irrigation, même pendant les canicules. Véritable trésor car ressource non renouvelable sur notre échelle de temps. » Des terres à la fertilité exceptionnelle. C’est cela qu’on aurait perdu.

Depuis 2010, Martine s’engage comme membre de l’association Terre et Cité « qui œuvre jour après jour avec une détermination sans faille, à ce que l’agriculture perdure sur ce Plateau. » En 2022, elle co-réalise avec Claire Leluc-Derouin le documentaire Terres Précieuses. C’est là que tout s’accélère. Après les projections du film, elle réalise quelque chose : « J’ai pris conscience que peu de gens du territoire savaient qu’il existe une protection des terres agricoles unique en France. »

Sans cette protection, le Plateau aurait disparu sous le béton. Pour le raconter, de juin 2023 à juillet 2025, elle mène plus de 80 entretiens avec des agriculteurs, des militants, des élus. Tous les acteurs du territoire qui ont fait exister cette protection. « C’est une façon de rendre hommage à tous ces élus, à tous ces associatifs, qui ont incroyablement donné de leur temps et de leur énergie, sans relâche, face à un projet d’État qui arrivait sur leur territoire. »

Un nom qui parle au cœur

Son nouveau livre a pour titre « Terres protégées ». Un nom auquel Martine tient particulièrement. Car la ZPNAF, c’est une loi, certes, mais sans garanties absolues. Car une loi peut tomber. Un lobby peut la fragiliser. Alors il faut de l’attachement, toucher les habitants. Un nom qui parle au cœur. Un nom qui crée du lien. Un nom qui dit d’où on vient : 40 ans de bataille collective, des gens qui ont dit non à l’urbanisation, des terres qui nourrissent vraiment. « Terres protégées ». Un nom à la hauteur de ces terres si précieuses.

Martine Debiesse a publié en 2015 « Terres précieuses », recueil de témoignages des agriculteurs du Plateau, puis a co-réalisé un film du même nom en 2022 avec Claire Leluc-Derouin. Son nouvel ouvrage « Terres protégées du Plateau de Saclay — Récit d’une détermination collective » paraît en 2025.

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Le Plateau de Saclay. Martine Debiesse DR