« Greater Paris is born, reconfiguring the city » (Le Grand Paris est né, qui redessine la ville). Voici ce que l'on pouvait lire le 31 août dans un papier du New York Times. Mais comment faut-il l'appeler et nommer ceux qui y vivent alors qu'aujourd'hui de nombreuses appellations et de multiples gentilés cohabitent ?

Renaud CHARLES, rédacteur en chef et cofondateur d’Enlarge your Paris
Le Grand Paris est né. Ce n’est pas un journaliste d’Enlarge your Paris qui l’annonce mais un célèbre éditorialiste du New York Times. Dans un papier publié le 31 août dernier (dans lequel, instant autopromo, il est fait référence à Enlarge your Paris), Roger Cohen l’affirme dans la langue de Shakespeare : « Greater Paris is born, reconfiguring the city » (Le Grand Paris est né, qui redessine la ville). Or qui dit naissance dit par conséquent choix du nom du nouveau-né alors que de nombreuses appellations coexistent aujourd’hui.
Et ce qui se révèle difficile à décider lorsqu’on est deux l’est encore davantage lorsque l’on totalise 12 millions de parents. Un sujet qui avait d’ailleurs émergé lors des élections régionales de 2015 et avait suscité une passe d’armes entre les deux aspirants à la présidence de la Région, Valérie Pécresse et Claude Bartolone. Dans une interview aux Échos, ce dernier avait déclaré : « La première chose à faire est d’ordre symbolique : changer le nom de la région pour l’appeler Paris-Île-de-France est un atout pour la compétitivité. Paris est la deuxième marque la plus connue au monde après Coca-Cola ! Les entreprises et les habitants doivent pouvoir en bénéficier. » Réponse à l’époque de la future vainqueure : « Claude Bartolone a réinventé la roue. Ce nom existe déjà, c’est celui de l’agence de développement économique de la région ! », ajoutant que le changement de nom de l’Île-de-France n’était pas une « priorité ».
« Ce terme de « banlieue », synonyme au Moyen Âge de bannissement à une lieue autour de la ville, était ressenti comme l’expression d’une domination méprisant »
Un débat qui avait déjà eu lieu 40 ans auparavant au moment de la création de… l’Île-de-France justement. Jusque-là, le territoire n’avait tout simplement pas de nom et se faisait appeler région parisienne. « La renaissance linguistique du nom Île-de-France n’a été possible qu’au terme d’un débat homérique à l’Assemblée nationale. Les Parisiens voulaient conserver leur terme de région “parisienne”. Mais les banlieusards, déjà excédés d’être considérés comme la poubelle de la capitale, ne le supportaient plus », rappelle Xavier Panon, auteur de L’Île-de-France et les Franciliens. Ce terme de « banlieue », synonyme au Moyen Âge de bannissement à une lieue autour de la ville, était ressenti comme l’expression d’une domination méprisante. À main levée, puis par un vote « assis et levé », la région parisienne était sur le point de remporter la partie. Pierre Bas, ancien député-maire gaulliste du 6e arrondissement, s’étonnait qu’on veuille ressusciter « une province charmante mais disparue depuis deux siècles ». Et pourtant, rien n’était joué. Emmenée par le sénateur-maire de Versailles, André Mignot, la Haute Assemblée avait renversé la vapeur et redonné l’avantage à l’Île-de-France. »
Quant au gentilé choisi pour désigner les habitants de la région capitale, il a fallu attendre 1983 pour qu’il germe dans la tête de Michel Giraud, à l’époque président du conseil régional, et 1986 pour qu’il soit reconnu par l’Académie française. Pour autant, presque quarante ans plus tard, il n’a toujours pas su s’imposer. Qui se déclare francilien ? De même, qui se revendique altoséquanais (habitant des Hauts-de-Seine, Ndlr), yvelinois, essonnien, valdoisien, val-de-marnais, seine-et-marnais ou séquano-dionysien [habitant de Seine-Saint-Denis, Ndlr] ? Le gentilé Grand-Parisien n’a guère plus de succès. Quant au terme banlieusard, il véhicule l’idée que l’on se trouve en dehors de l’Olympe. Ce qui lui fait d’ailleurs un point commun avec provincial. Soulignons au passage qu’il est tout de même étonnant, pour ne pas dire grotesque, qu’en 2025 66 millions de Français aient encore le sentiment de vivre en périphérie et d’être des « Ultra-Parisiens ».
« Planter les graines d’un futur où le périphérique ne fera plus office de barrière aussi physique que psychologique »
C’est dire la charge symbolique que représente le choix du nom et du gentilé de ce territoire plus grand que Paris et qui s’apprête à faire de Paris intra-muros un centre-ville avec l’arrivée du Grand Paris Express. Car il ne s’agit plus d’annexer les communes de banlieue, comme ce fut le cas sous l’impulsion du baron Haussmann au milieu du XIXe siècle, mais d’écrire une nouvelle page de la décentralisation, cette fois aux portes de la capitale. Depuis 2015, le passe Navigo dézoné a ouvert la voie, ou plutôt les voies, en se voulant « facteur d’unité régionale et vecteur de transition écologique », selon la vision défendue par ses concepteurs. Alors que la campagne des élections municipales s’apprête à débuter, on ne peut qu’espérer que les discussions portent sur les fondements de cette identité commune afin de planter les graines d’un futur où le périphérique ne fera plus office de barrière aussi physique que psychologique, et où nous nous appellerons tous des… ?
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22 octobre 2025