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Pendant 10 jours, le Grand Paris Express lève le voile sur l’imaginaire de ses gares

Oeuvre d’Abdelkader Benchamma pour la gare du Grand Paris Express "Vitry Centre" dessinée par l'architecte Frédéric Neau / © SGP/DR
Oeuvre d’Abdelkader Benchamma pour la gare du Grand Paris Express « Vitry Centre » dessinée par l’architecte Frédéric Neau / © SGP/DR

Alors que l'ouverture des premières lignes du Grand Paris Express est attendue pour la fin 2026, la Société des grands projets va dévoiler les œuvres imaginées par les duos architectes-artistes pour les 68 gares du nouveau métro à l'occasion d'une exposition temporaire à la station Saint-Denis – Pleyel du 3 au 13 octobre. Ce dont nous parlent Pierre-Emmanuel Bécherand, responsable de l'architecture et de la culture de la Société des grands projets, et José-Manuel Gonçalvès, directeur artistique et culturel du Grand Paris Express.

En partenariat avec la Société des grands projets

Pourquoi présenter maintenant dans une exposition les œuvres qui seront exposées dans les gares du Grand Paris Express ? Qu’est ce qui justifiait ce timing ?

Pierre-Emmanuel Bécherand : Il nous a fallu dix ans pour stabiliser l’ensemble des projets et désigner l’ensemble des 70 artistes. Dix ans pour s’accorder avec les architectes, les ingénieurs et les artistes sur la faisabilité. Nous sommes arrivés à un moment où certaines œuvres sont déjà livrées, d’autres en production, d’autres encore à l’étude mais toutes vont se faire. Il y avait donc la volonté de partager cet aboutissement avec les élus, les acteurs du territoire et bien sûr le grand public. D’autant que l’ouverture des premières gares arrivent, notamment sur les lignes 15 Sud et 18, et que la moitié des œuvres va être prochainement visibles. Quant à l’intégralité de la collection, elle sera achevée en 2031. 

José-Manuel Gonçalvès : Effectivement, à chaque fois que nous franchissons une étape, nous révélons là où nous en sommes. Et là, tout est enclenché. Cette temporalité renvoie au processus de fabrication. Dans un premier temps, il y a la rencontre avec les artistes, puis les échanges, ensuite la constitution d’un mini-labo pour la conception car il faut rendre la réalisation possible d’un point de vue économique mais aussi technique. On a vraiment fait de la R&D car beaucoup d’œuvres sont élaborées à partir de principes nouveaux. 

Quels grands principes avez-vous suivis pour établir cette collection ? 

José-Manuel Gonçalvès : Nous avions une obligation qui nous a réjouis et qui était de garantir la parité entre artistes masculins et féminins. Nous nous sommes également fixé un autre objectif : constituer, avec ces 70 œuvres, un état des lieux de l’art aujourd’hui, en s’appuyant sur des artistes confirmés, mais aussi se projeter dans ce qu’il sera demain en convoquant la nouvelle génération. 

Pierre-Emmanuel Bécherand : Quand nous avons lancé le projet il y a dix ans, nous souhaitions vraiment ne pas donner un cahier des charges trop précis aux artistes. Chaque œuvre est née de discussions. Nous n’avons pas souhaité normer les choses. Il s’agissait de créer un espace de liberté, pas d’imposer des thématiques qui auraient pu brider les artistes. La diversité est vraiment notre mot-clef. 

Comment avez-vous formé les duos architecte/ artiste?

Pierre-Emmanuel Bécherand : Nous n’avions pas de listes figées en amont. Il s’agissait d’associer le bon architecte, le bon artiste, la bonne gare et le bon territoire. Au fil du temps, on a procédé à des ajustements. 

José-Manuel Gonçalvès : L’idée était vraiment de se laisser porter par le désir. De ne pas forcer le destin. Une chose était sûre : quand une gare succède à une autre sur la ligne, il ne faut pas qu’on y retrouve le même type d’œuvre ni le même type de surface que sur la précédente. Et, d’un artiste à l’autre, les discussions ont été différentes. Nous n’avons pas eu les mêmes questionnements avec Daniel Buren, habitué à travailler dans l’espace public, qu’avec Noémie Goudal qui n’avait jamais eu de commande dans un lieu aussi conséquent qu’une gare. Au gré des échanges avec les artistes mais aussi les architectes, les ingénieurs et les personnels de la Société des grands projets, nous avons tous appris les uns des autres. Car nous nous aventurions dans un complet inconnu.

Il y a donc ces œuvres mais également, sur chaque quai de gare, le travail mené par un illustrateur. En quoi cette production est-elle différente ?

Pierre-Emmanuel Bécherand : Cette présence des illustrations est née d’une discussion avec Ruedi Baur, designer chargé de la signalétique dans le métro et sur les quais des gares du Grand Paris Express. Il s’agissait d’ancrer de l’image à chacun des arrêts : à chaque image correspond une vision sensible du territoire où la gare est implantée. Pour ce faire, la Société des grands projets a lancé un grand concours dont la première phase s’est finie cette année avec 30 premières illustrations achevées. C’est d’autant plus intéressant que les illustrateurs, qu’il s’agisse d’auteurs de BD ou de dessinateurs de presse, ont rarement accès à la commande publique. 

José-Manuel Gonçalvès : La fonction des illustrations est de montrer comment dans l’espace hyper fonctionnalisé des transports on parvient à glisser de la fiction pour laisser l’imaginaire s’épanouir. 

Pouvez-vous évoquer pour nous certaines oeuvres que les voyageurs pourront voir dans les gares ? Par exemple, celle de Jeanne Vicérial dans la gare de Bécon-les-Bruyères dans les Hauts-de-Seine ?

José-Manuel Gonçalvès : Jeanne Vicérial a l’habitude de travailler avec le tissu. Ici, elle utilise une nouvelle technique de fils élaborés dans un matériau métallique. Ces fils évoquent les kilomètres parcourus par les voyageurs et ils vont capter la lumière du puits situé dans l’atrium de la gare. Ce sera vraiment une sculpture de lumière qui va perler de haut en bas.

A la gare du Pont de Bondy en Seine-Saint-Denis, Théo Mercier va proposer une étonnante installation…

José-Manuel Gonçalvès : Cette gare est une sorte de grande virgule qui enjambe le canal de l’Ourcq. C’est la seule qui ait sa plateforme située avec le quai juste en dessous. Cette plateforme ne sera pas pratiquée par le public, c’était donc le lieu idéal pour qu’il s’y passe artistiquement quelque chose… Théo aime produire de l’humour et il a choisi un matériau qui a à voir avec l’histoire du lieu : c’est en effet là qu’ont lieu les excavations de terres pour le chantier qui sont ensuite mises dans de gros sacs blancs. Dans l’œuvre de Théo Mercier, les pierres excavées vont discuter avec des poutres dans un jeu d’équilibre et de déséquilibre. Comme une forme d’allégorie de l’existence. 

Dans la gare de Villiers-Champigny-Bry, on retrouve les artistes Elsa et Johanna…

Pierre-Emmanuel Bécherand : Toutes deux viennent du monde de la photo et ont élaboré un projet en lien avec le territoire. Bry-sur-Marne (Val-de-Marne) abritant des studios de cinéma, elles vont proposer des photos en rapport avec le 7e Art, à savoir des œuvres sous forme de vitraux rétro-éclairés. Ce seront des images façon Nouvelle Vague mais transposées dans des mondes différents et dans lesquelles elles interprètent tous les rôles.

Et quid du projet de Laure Prouvost, en gare de Massy-Palaiseau?

Pierre-Emmanuel Bécherand : C’est un projet très compliqué à mettre en oeuvre car très technique et qui verra émerger une horloge de 2 mètres de diamètre sur le toit de la gare accompagnée d’un pendule de 4 mètres se poursuivant dans les espaces intérieurs. On retrouve dans cette œuvre tout le vocabulaire de Laure Prouvost : les jeux de mots, le travail sur le langage… C’est la seule horloge réalisée par une artiste dans une gare du Grand Paris Express. L’idée est qu’elle soit vue aussi bien par les usagers que par les habitants du quartier. 

Constituer une grande collection d’œuvres d’art dans des gares, n’est-ce pas une démonstration du soft power français ?

Pierre-Emmanuel Bécherand : Il est clair que, vu de l’étranger, la capacité que nous avons eue de faire travailler ensemble architectes, artistes et ingénieurs est un sujet mis en avant par ceux qui nous regardent depuis l’Asie, l’Afrique ou l’Amérique. Et effectivement, c’est très français d’injecter de l’art dans une structure aussi fonctionnelle qu’un métro.

José-Manuel Gonçalvès : Je crois que la « French touch » tient à cela : ne jamais séparer l’usage de l’imaginaire. C’est pour ça que, par exemple, notre design est si renommé. Et ce qui fait la force de cette collection, c’est justement son ancrage dans le concret. Elle va répondre à beaucoup de questions sur la fonction de l’art dans l’espace public. Et ce d’autant plus qu’elle est vouée à durer dans le temps. 

Infos pratiques : présentation des projets d’œuvres d’art du Grand Paris Express à la gare de Saint-Denis – Pleyel, boulevard Ornano, Saint-Denis (93). Du 3 au 13 octobre. Gratuit. Accès : métro Saint-Denis – Pleyel (ligne 14). 

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