
Vingt ans après la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois, le Bondy Blog documente toujours les réalités des quartiers populaires. Mais Sarah Ichou le rappelle : pour son média, le 27 octobre n'est pas qu'une date anniversaire, c'est une question de tous les jours. Entretien sur deux décennies d'engagement dans un contexte médiatique de plus en plus polarisé, et sur les défis financiers d'une rédaction qui préfère rester en colère plutôt que de baisser les bras.
Comment s’est déroulée pour vous la semaine du 27 octobre, commémoration des 20 ans de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré ? Une date anniversaire qui correspond aussi à la création du Bondy Blog, cette même année 2005…
Sarah Ichou : Ça a été intense. En fait, nous étions au four et au moulin. Car nous avons été très sollicités par les médias et en même temps nous avons beaucoup produit. Nous avons fait deux matinales radio ; à midi nous avons eu une nouvelle demande, puis une autre à 15 h, encore une autre à 16 h… Il fallait à la fois être sur le terrain et sur les plateaux télé. Ce fut sportif mais nécessaire. D’autant que, pour nous, ce n’est pas fini. Nous avons sorti un papier par jour durant dix jours et nous avons encore une bonne semaine de textes à proposer à nos lecteurs et lectrices sur le sujet.
N’est-ce pas un peu rageant d’être sollicité pour cet anniversaire et que, les 364 autres jours, l’actualité des quartiers populaires retombe dans l’oubli ?
Les années précédentes, on ne nous a pas sollicités : ni pour les 19 ans, ni pour les 18 ans de cet événement tragique. Alors cette année, qui est un chiffre « rond », on nous a appelés. Nous avons répondu présent car c’est important. Mais nous sommes conscients que, dès le lendemain, les médias passent à autre chose. Je sais que dans certaines rédactions la commémoration aurait même pu passer à la trappe, chassée notamment par le vol au Louvre. Nous, en fait, les 20 ans, c’est toute l’année. Parce que cette question générale des violences policières – pourquoi des jeunes qui n’ont rien à se reprocher se mettent à courir quand ils voient les forces de l’ordre – se pose tout le temps. Alors, effectivement, au moment de la mort de Nahel Merzouk, on nous a aussi sollicités. Mais il y a d’autres choses à faire entendre dans la parole des habitants des quartiers populaires.
En 20 ans, justement, comment a évolué votre façon de faire porter la voix de ces habitants ? Y a-t-il des choses qui ont changé ?
On est encore très proche de notre ADN. Dès le départ, le BB a parlé violences policières mais aussi culture, foot, éducation… Ce qui a changé, c’est l’émergence des réseaux sociaux, et cela a questionné notre capacité à nous adapter aux nouveaux médias. Mais, en termes de récit, nous demeurons très proches des origines. Nous formons toujours des jeunes au journalisme. Nous nous inscrivons aussi dans la prépa Égalité des chances pour l’entrée en école de journalisme de jeunes issus des quartiers. Nous prenons aussi part aux cycles d’éducation aux médias en milieu scolaire. Mais, finalement, en 20 ans, le contexte a changé, plus que nous : nous nous situons dans un environnement encore plus polarisé où les quartiers sont portraiturés soit tout en noir soit tout en blanc. Dans ce paysage médiatique, nous essayons d’avoir un point de vue équilibré, honnête.
Qu’en est-il de votre situation financière ? En décembre 2024, vous aviez lancé un appel aux dons car vous vous trouviez en difficulté…
Effectivement, à ce moment, des subventions avaient baissé ou n’étaient pas arrivées. On a l’habitude d’être pauvres au Bondy Blog, mais là, cela a été un peu soudain. Nous avons été très émus du soutien de nos lecteurs, souvent modestes mais extrêmement solidaires. Beaucoup nous ont dit : « On ne peut pas perdre le Bondy Blog ». On a ainsi pu sauver les meubles, mais on n’est toujours pas riches. Et en même temps, quand on a atteint le quatrième sous-sol, plus rien ne fait peur ! On continue à faire des dossiers de subvention, à approcher des fondations. Et nous avons sorti deux émissions autoproduites disponibles sur notre site et sur YouTube qui sont autant de belles vitrines pour présenter notre travail et proposer des projets.
Comment voyez-vous l’avenir du Bondy Blog ?
On va continuer le travail, tout simplement. Mon ambition, c’est de pérenniser. On peut avoir plein d’idées, si on n’a pas de moyens, ça n’a pas de sens. Il y a de vrais enjeux sur la vidéo. Les articles, on gère, et ça reste la colonne vertébrale parce que, que ce soit en radio ou en télé, tout passe par l’écrit. Mais nous devons répondre à cette montée en puissance de l’image. Donc si je devais résumer nos ambitions, je dirais : 1, devenir riches ; 2, développer de nouveaux projets et continuer. Parce qu’il arrive qu’on nous reproche d’être toujours en colère. Mais tant qu’il y aura des raisons de l’être, on le sera.
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11 novembre 2025 - Bondy