
[CINEMA] Qui a tué Johan Otto von Spreckelsen ? L'Inconnu de la Grande Arche, film rythmé et brillant, raconte une histoire d'architecture comme un thriller au cœur du pouvoir mitterrandien. Entre les carrières de marbre italiennes et les salons de l'Élysée, un architecte idéaliste essaye de faire face à la bureaucratie, aux barons de l'immobilier et à l'alternance politique, pour sauver son projet.
La Défense est une folie depuis le début. Depuis les années 1950, des architectes ont eu l’idée de planter des tours sur les bords de la future autoroute Paris-Saint-Germain-en-Laye, puis de recouvrir celle-ci d’une dalle. Et d’inventer ainsi, dans ce coin de banlieue rempli de maraîchers et de ferrailleurs, l’icône de la modernité à la française. Le film tiré du livre de Laurence Cossé raconte le projet de la Grande Arche, au cœur du premier septennat de Mitterrand, quand Paris se réinventait selon les idées d’un président amateur de grands gestes architecturaux et hanté par l’ombre de ses prédécesseurs.
« Otto quoi ? »
La scène inaugurale a des allures de conte. Dans une salle de l’Élysée, le président rejoint ses courtisans pour ouvrir l’enveloppe du lauréat du concours de la « tête Défense ». Johan Otto von Spreckelsen ? Personne ne connaît. La stupéfaction et la gêne s’installent. Le Danemark est un petit pays, susurre Mitterrand. « Appelez l’ambassade, ils sauront qui c’est. » Eh bien non. On finit par retrouver l’architecte en train de pêcher tranquillement dans son Danemark natal.
Otto débarque à Paris pour une conférence de presse. Son français est bon. “Qui êtes-vous ?” “Un Danois de 53 ans, j’enseigne l’architecture…” “Qu’avez-vous construit ?” “Ma maison et quatre églises.” On croit qu’il plaisante…Quel esprit ! On rit.
Un cube contre le monde
« L’inconnu de la Grande Arche« , c’est l’ascension et la chute d’un génie embarqué dans un projet trop grand pour lui. Otto découvre avec stupéfaction la Cour élyséenne mais sa franchise séduit Mitterrand. Face aux bureaucrates, dans sa relation complexe avec le grand architecte Paul Andreu, entre concurrence et admiration, il croit avoir son totem d’immunité. Otto refuse l’ordinateur, s’accroche à ses dessins, et fugue en Italie pour sentir le marbre dans une carrière à Carrare. “Vous avez besoin de 4 hectares de marbre ?!” Folie, vision, vertige se mêlent…Mais sa séduction et son obstination ne suffisent plus quand vient l’alternance politique et que le « Cube de Mitterrand » devient un otage de la cohabitation. Otto découvre la brutalité des jeux de pouvoir. Le rêve tourne à l’orage. Il perd pied.
Le plaisir du film tient à la justesse de chaque étape. Les dialogues sont fins, tendus. Les plans de La Défense sont magnifiques, la reconstitution des chantiers – Louvre, Grande Arche – extrêmement convaincante. Les teintes chromatiques d’un film et la bande son évoquent avec finesse les années 80. Certains plans sont de petits tableaux. La mise en cinéma de l’excellent livre de Laurence Cossé est une réussite. Ce n’est ni un biopic ni un film à thèse. C’est du cinéma politique, d’intrigues, prenant et passionnant.
Mais qui a tué Otto ?
Les deux scènes finales sont magistrales. D’abord, un passage allégorique très fin sur la mort de l’architecte. Puis Paul Andreu et Jean-Louis Subileau, le conseiller du Président, cherchant la tombe dans un cimetière. Ils passent à côté sans la trouver… On réalise qu’on vient de voir un thriller. Qui a tué Otto ? La bureaucratie ? La cour ? Les barons de l’immobilier ? Otto lui-même ?
Trouvez la réponse qui vous convient. Mais ce film vous fera regarder autrement l’arche qui trône au bout de l’axe royal, sur l’esplanade de la Défense. Avec en tête ce mot simple et génial prononcé par Otto juste après sa victoire : “Paris n’avait pas de cube.”
L’Inconnu de la Grande Arche, un film de Stéphane Demoustier, adapté du roman de Laurence Cossé. Sortie le 5 novembre 2025. 1h40. “Festival de Cannes – Sélection officielle 2025 – Un Certain Regard”

5 novembre 2025 - La Défense