Culture
|

Annie Ernaux ou l’histoire d’un Prix Nobel à Auchan

Nommée prix Nobel de littérature 2022, Annie Ernaux vit à Cergy depuis de nombreuses années et situe notamment l'un de ses romans dans l'hypermarché Auchan de la ville / © pierrO (Creative commons - Flickr)
Lauréate du prix Nobel de littérature 2022, Annie Ernaux vit à Cergy depuis de nombreuses années et situe notamment l’un de ses romans dans l’hypermarché Auchan de la ville / © pierrO (Creative commons – Flickr)

Le 6 octobre, l'écrivaine Annie Ernaux se voyait décerner le prix Nobel de littérature. Depuis de nombreuses années, elle a élu domicile à Cergy-Pontoise (95). Une ville dans laquelle elle situe l'un de ses romans, « Regarde les lumières mon amour », où elle évoque l'hypermarché Auchan du centre commercial des Trois Fontaines. Un livre qui a particulièrement touché la journaliste Nora Hamadi, présentatrice de l'émission « Sous les radars » sur France Culture.

Dans les médias, lors de l’annonce de la remise du prix Nobel de littérature à Annie Ernaux, on a peu dit qu’elle vivait depuis des années à Cergy-Pontoise. Cela vous a-t-il étonnée ?

Nora Hamadi : Pour que le fait qu’Annie Ernaux vive en banlieue soit mentionné, il faut qu’il y ait des rédacteurs et des rédactrices qui aient une inclination pour ces problématiques. Sinon, c’est un non-sujet. Moi, je la vois comme une banlieusarde. Il me semble que Cergy (Val-d’Oise) raconte quelque chose de ce qu’elle est, comme pour nous tous. Le lieu où nous vivons parle de nous… Il y a chez elle un rapport au réel et j’ai du mal à me dire qu’elle aurait réalisé la même œuvre en habitant dans le 7e arrondissement de Paris. Et puis Cergy-Pontoise, c’est l’une de ces villes nouvelles écloses à la toute fin des années 60. Elles sont porteuses d’une utopie, même si la plupart se sont fracassées sur l’autel du réel. Ce sont des villes qui racontent quelque chose de la banlieue comme on l’a fantasmée dans les années 70.

Lors de sa désignation comme Prix Nobel, vous avez, dans un post Facebook, mis l’accent sur Regarde les lumières mon amour dans lequel elle évoque l’hypermarché Auchan du centre commercial des Trois Fontaines à Cergy. Pourquoi avoir choisi de mettre ce texte en avant ?

Parce qu’elle sublime un endroit qu’on ne raconte jamais : l’hypermarché. Il est souvent vu comme un repaire de beaufs mais elle, elle pose un regard plein d’empathie, non pas pour le lieu en soi – elle est très claire dans sa critique de cette société de l’abondance –, mais sur un espace de lien social. Et sur le fait que, quand il y a du vivant, il y a de la vie. Le livre parle aussi de la façon dont ce qu’on met dans nos caddies dit qui on est, qui sont nos voisins de caisse. Comment nous sommes à la fois scrutés et scrutateurs. N’oublions pas que le livre paraît en 2014, avant l’émergence des drives. On est dans un autre rapport aux courses. Et puis cela m’a aussi rappelé une partie de mon enfance. Le centre commercial devient le lieu de convergence, là où on se rencontre les mercredis après-midi et les week-ends. Il remplace la grand-rue, la place.

On parle souvent d’une écriture blanche, clinique, à son sujet. En quoi peut-elle toucher le lecteur ?

Son écriture, pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages, est comme un couteau. Effectivement, elle a quelque chose de clinique et froid qui peut dérouter, mais, derrière, cela vous transperce. Quand on est issu de classe populaire, elle fait résonner des questions telles que « quelle est ma place ? ». Annie Ernaux parle du sentiment d’illégitimité, de la crainte de ne pas être à la hauteur, du fait d’avoir des parents déclassés. Pour moi, ses textes sont des histoires-miroirs de celles de la romancière Aya Cissoko, quand elle évoque sa mère en boubou qui ne parle pas français. Chez Ernaux comme chez d’autres auteurs comme Nicolas Mathieu, David Lopez ou Nadir Dendoune, on trouve aussi cette forme de douceur : elle n’est jamais dans le jugement ou le mépris de classe. Elle porte un regard amoureux sur ceux à qui on conseille de traverser la rue pour trouver un travail. Dans un discours de 2017, Emmanuel Macron évoquait les gares traversées par « les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Pour Annie Ernaux, personne n’est « rien ».

À lire : Regarde les lumières mon amour d’Annie Ernaux. Éd. du Seuil. 160 pages. 5,90 €. Plus d’infos sur seuil.com

Lire aussi : 24 heures à Cergy, voyage dans une ville nouvelle

Lire aussi : Un écrivain nous fait voyager dans la banlieue du turfu

Lire aussi : Le Grand Paris conté par dix écrivains