
Dans une région où un quart du territoire reste forestier, l’automne n’est pas qu’une saison de couleurs. C’est le moment où les sols franciliens se mettent à table. Sous les forêts de Fontainebleau, Rambouillet ou Sénart, un festin invisible redonne vie aux arbres et équilibre à tout le Grand Paris.
Les forêts d’Île-de-France – Fontainebleau, Rambouillet, Saint-Germain, Sénart, Ferrières, Montmorency – entrent dans leur grande mue automnale. L’orange cuivré, le jaune safran et le marron caramel cèdent peu à peu la place aux branches nues. Un spectacle qu’on connaît bien, qu’on photographie, qu’on poétise. C’est même devenu un « marronnier » – un papier qui revient tous les ans dans le jargon de la presse – d’Enlarge your Paris. Ce qu’on connaît moins, c’est ce qui se passe sous nos pieds pendant cette période.
Car pour les sols forestiers franciliens, l’automne n’est pas une fin. C’est le début du plus grand banquet de l’année.
Plusieurs tonnes de festin par hectare
Comme le rappelle un article de The Conversation, « en forêt, la quantité de litière arrivant au sol chaque année est variable, mais atteint plusieurs tonnes par hectare, soit plusieurs centaines de grammes par m². » Plusieurs tonnes. Par hectare. Chaque année.
Et l’Île-de-France ne manque pas de forêts pour accueillir ce festin : plus de 280 000 hectares de surfaces boisées, soit près du quart du territoire régional. Des massifs majestueux comme Fontainebleau (25 000 hectares) aux petits bois de Vincennes ou de Boulogne, en passant par les forêts domaniales qui ceinturent le Grand Paris, notre région est un véritable archipel forestier. Et dans chacune de ces forêts, le même rituel se répète : les feuilles tombent, s’accumulent, forment cette litière que « personne ne balaie ou ne souffle », et qui pourtant « va peu à peu disparaître. »
Le carburant indispensable des écosystèmes
Comment ? Par décomposition. Sous l’action du climat et d’une « multitude d’organismes », cette litière se transforme progressivement. Elle constitue, selon les auteurs de l’article, « le carburant du fonctionnement de l’écosystème forestier », permettant à la fois « le retour au sol des éléments minéraux contenus dans ces feuilles (azote, phosphore, calcium, magnésium…) indispensables au développement des arbres » et « l’enrichissement du sol en matière organique participant à la séquestration dans le sol du carbone. » En clair : ces feuilles mortes nourrissent les arbres de nos forêts franciliennes. Elles capturent le carbone. Elles enrichissent les sols. Elles permettent à l’écosystème de fonctionner.
Un milliard de convives invisibles
Mais les véritables stars de ce festin automnal, ce sont les milliards d’organismes qui s’activent dans les sols de Fontainebleau, Rambouillet ou Saint-Germain. Une « biodiversité cryptique innombrable, mal connue et mystérieuse », nous dit l’article : acariens, pseudoscorpions, collemboles, bactéries, champignons.
Les chiffres donnent le vertige : « jusqu’à 500 000 collemboles par m², soit plus de 1 milliard d’individus par hectare. » Les vers de terre ? « 2 tonnes » par hectare. Les bactéries : « jusqu’à 1 milliard dans un gramme de sol. » « Sans tous ces organismes qui n’entretiennent pourtant pas de relations privilégiées ou affectives avec l’homme, les écosystèmes et agrosystèmes ne fonctionneraient plus », prévient l’article.
Alors que les feuilles commencent à tomber dans nos forêts d’Île-de-France, gardons en tête cette réalité : nous assistons au lancement du festin annuel. Des milliards d’organismes vont transformer ces tonnes de litière en humus, en minéraux, en carbone séquestré. Ils vont nourrir les chênes de Fontainebleau, les hêtres de Rambouillet, les châtaigniers de Sénart. La chance de l’Île-de-France ? Avoir encore ces espaces nombreux et vastes où la litière peut accomplir son œuvre essentielle. Le spectacle n’est pas seulement dans les couleurs d’automne. Il est aussi – surtout – sous nos pieds.
5 novembre 2025 - Fontainebleau