Artdevivre
|

Le Grand Paris Express vu de Los Angeles : « À Paris, le métro dit aux banlieues : vous comptez »

Le métro de Los Angeles. DR

« À Paris, le métro dit aux banlieues : vous comptez. » Eileen Hsu, responsable de la planification stratégique au Los Angeles County Metropolitan Transportation Authority (le métro de Los Angeles), a découvert le Grand Paris Express à l’occasion d’un déplacement en France. De la gare de Saint-Denis–Pleyel à celle de Saint-Maur–Créteil, elle a vu bien plus qu’un chantier pharaonique : un projet politique et culturel. À l’approche des Jeux olympiques de 2028, elle raconte comment Los Angeles s’inspire de Paris pour faire du métro un levier de beauté, d’égalité et de fierté urbaine.

Vous venez de découvrir le Grand Paris Express. Qu’est-ce qui vous a frappée ?

Eileen Hsu : J’ai pris la ligne 14 et visité les gares de Saint-Denis–Pleyel et de Maison Blanche jusqu’à Orly. Ce sont de véritables cathédrales. J’ai aussi découvert le chantier de La Courneuve–Six-Routes et la gare de Saint-Maur–Créteil sur la ligne 15. Le maître d’œuvre à La Courneuve décrivait avec passion chaque détail : les matériaux, la lumière, les finitions. Sur le toit, il y aura de la verdure. C’est là que j’ai compris : le Grand Paris Express n’est pas seulement un sujet technique, c’est un projet politique.

Politique, en quel sens ?

Parce qu’il dit aux banlieues : « vous comptez ». Le métro leur rend la beauté qu’on leur avait refusée. Il affirme qu’elles ont droit à l’architecture, à la culture, à une histoire commune. Il y a derrière cela une philosophie : l’accès et la beauté ne sont pas un privilège parisien, mais un droit pour tous.

C’est très différent de Los Angeles…

Complètement. Chez nous, les transports publics sont liés à la pauvreté. Les stations sont modestes, purement fonctionnelles. Tout vient de la culture automobile. En 1920 déjà, la Californie du Sud comptait une voiture pour 3,8 habitants. Hollywood l’a glorifiée : Thelma & Louise, Un tramway nommé désir… Aujourd’hui encore, 70 % des Angelenos conduisent. Mais cette liberté est une illusion : la voiture est subventionnée, le parking est gratuit, les taxes ne reflètent pas les coûts réels. C’est comme si la ville finançait sa propre dépendance automobile.

« À Paris, la beauté est conçue comme un droit. À Los Angeles, elle doit encore être conquise. »

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise à Paris ?

Que l’art soit intégré dès la conception. À Paris, l’art est la gare. Ce n’est pas un décor ajouté, c’est une déclaration politique. À Los Angeles, nous parlons de surprise and delight : une œuvre ici, une fresque là. Mais à Paris, c’est une autre échelle. L’État dit : « Nous allons faire de la beauté pour tous. » C’est une démarche descendante, généreuse. Chez nous, c’est plus participatif, mais plus fragmenté.

Comment impliquez-vous les habitants de Los Angeles dans votre démarche artistique ?

Nous demandons aux artistes de travailler avec les communautés. Koreatown doit se reconnaître. East LA doit voir son histoire. Little Tokyo, Chinatown, Glendale, la communauté iranienne, Little Ethiopia… chacun doit se sentir représenté. Si nous imposons une vision d’en haut, les gens diront : « ce n’est pas pour nous ». Notre modèle est plus démocratique, mais le risque, c’est la dilution du message.

« Pendant les JO, Los Angeles vivra deux semaines sans voiture. Et les gens verront que c’est agréable. »

Paris a accueilli les Jeux en 2024. Que retenez-vous de son expérience ?

L’idée que le métro peut raconter une histoire collective. Et être utilisé par tous. Pour 2028, nous ouvrons quatre nouvelles lignes : la ligne A vers Pomona, la D jusqu’à UCLA, la liaison North Hollywood – Pasadena, et surtout une connexion directe à l’aéroport. Nous introduisons le paiement sans contact, l’accessibilité universelle. Le métro doit être un lieu d’égalité.

Quelle sera votre stratégie pour les Jeux ? Et comment s’adresseront-ils aux habitants ?

Zéro parking pour les spectateurs. Des voies réservées aux bus et aux athlètes. Quinze fois plus de passagers qu’à l’habitude. Pendant deux semaines, Los Angeles vivra comme une ville sans voiture. Ce sera incroyable. Les habitants verront que c’est possible, et même agréable. Chaque quartier aura sa Fan Zone : Koreatown, East LA, Little Tokyo, Chinatown, Glendale, Little Ethiopia… Ce sera gratuit, inclusif. Parce qu’accueillir le monde, c’est aussi accueillir sa propre ville. Si une mère de famille d’East LA découvre que son fils peut aller voir un match en métro, elle comprendra : les transports publics, ce n’est pas une punition, c’est du respect.

« Le métro, c’est la ville qui te dit : tu comptes. »

Quel est votre rêve pour l’après-Jeux de 2028 ?

Que les Angelenos se disent : « c’était formidable, continuons ! » Que d’autres villes américaines s’en inspirent, comme nous nous inspirons de Paris. Paris a montré qu’on pouvait faire une métropole plus belle, plus cohésive, plus humaine, à travers ses transports. Le sujet n’est pas de copier, mais de s’inspirer. Parce qu’au fond, les transports publics, ce n’est pas une contrainte. C’est une promesse de dignité.

Le métro de Los Angeles. DR
Le métro de Los Angeles. DR