
On est toujours épatés, et heureux, quand un collectif veut faire quelque chose de bien, et bien le faire, pour les habitants. Un lieu commun, dans le bon sens du terme. Un de ces lieux sous les radars mais qui font le sel des territoires du Grand Paris – sa vie sociale, culturelle et parfois aussi économique. Bienvenue au Lieu Tranquille, qui est là pour gentiment secouer Noisy-le-Sec.
En remontant l’allée du Lieu Tranquille, on tombe sur un mur gris recouvert de tâches de couleurs : des photos de Noiséens en action, pinceau à la main, visseuse à la ceinture, sourire aux lèvres. Un échantillon de ceux qui ont rendu possible l’ouverture de ce tiers-lieu à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Le message est là, d’emblée : ce n’est pas un endroit venu de nulle part.
Une volonté collective
C’est d’ailleurs toute la différence. Le Lieu Tranquille émane d’une volonté collective et a été pensé par et pour les habitants, pas par une start-up parachutée ou un promoteur en mal de greenwashing. Rembobinage : en 2020, un groupe de Noiséens se demande « comment ouvrir un espace de mixité sociale et culturelle où les gens peuvent se croiser », raconte Raphaël Étienne, président et cofondateur du lieu. Une intuition – « l’avis de quatre ou cinq personnes au départ » – qu’ils décident de valider en allant rencontrer les habitants. Porte-à-porte, marché, théâtre… La petite bande qui s’est constituée en association distribue dans des endroits clés de la commune un questionnaire auquel ils obtiennent plus de 600 réponses. « L’idée était vraiment que les habitants construisent l’endroit. » Des ateliers participatifs permettent aux citoyens et associations de s’emparer du projet et de l’affiner. La ville met au pot 380 000 euros, auxquels s’ajoutent 380 000 euros de la Région, du Département et de la communauté d’agglomération pour rénover un espace de 210 m². Un chantier participatif démarre en mars 2025, pas totalement achevé quand le Lieu Tranquille a finalement ouvert ses portes. « Ce chantier a mobilisé beaucoup de forces vives, se réjouit Raphaël Étienne. On avait des gens qui venaient pour une heure, un jour, un mois, donner un coup de main, sous la coordination de David, un de nos bénévoles qui est professeur de menuiserie. »
Chaleur et proximité
Samedi 8 novembre, le résultat est là : au Lieu Tranquille, un bar chaleureux fait de bois et de mobilier de récup surplombe une vaste salle accueillant une scène de concert. Un coin enfant avec son propre toboggan a déjà ses petits aficionados. En rez-de-chaussée, un espace coworking attend les saoulés du télétravail à la maison. « Le coworking va nous permettre de payer les charges, mais clairement c’est le bar qui va permettre d’atteindre l’équilibre économique », analyse Raphaël Étienne sans détour. Pour ce faire, une programmation affûtée a déjà été mise sur pied, faite de concerts et d’ateliers (yoga, Pilates, ciné-débat, marché des créateurs…). « L’idée est vraiment de favoriser la proximité, insiste Raphaël Étienne. On accueille beaucoup d’artistes du 93 et nos intervenants bien-être sont aussi issus du tissu local. »
Ce choix de la proximité n’a rien d’étonnant. Car quand on demande à Raphaël Étienne si le tiers-lieu, en région parisienne, n’apparaît pas souvent comme un cheval de Troie de la gentrification, il ne mâche pas ses mots : « Un tiers-lieu, cela veut tout dire et rien dire. Il ne faut pas oublier que 80 % d’entre eux se déploient sur des territoires ruraux et il y a beaucoup de courants différents dans ce milieu. Et ne nous mentons pas : la question de la gentrification se posait avant l’existence des tiers-lieux. Pour moi, la question est : comment assurer la mixité ? » Formé à la facilitation, il a d’ailleurs consacré un mémoire au sujet. Et pour casser l’effet entre-soi, le Lieu Tranquille développe plusieurs stratégies : des activités proposées par des habitants et les associations qui permettent de faire venir des publics différents ; un espace coworking avec des tarifs préférentiels pour les locaux, les étudiants et la présence de tuteurs pour aider à la création d’entreprises ; une cuisine pro qui permet à des jeunes chefs du 93 de lancer leur activité ; des jardins partagés créés il y a trois ans, proposés aux familles du Quartier politique de la ville (QPV) tout proche et animés par des bénévoles de l’association. « Le principe est vraiment d’agir à plusieurs endroits », résume Raphaël Étienne.
Un lieu de liens
Ironie cruelle, le Lieu Tranquille ouvre alors que le projet de budget 2026 proposé par Sébastien Lecornu envisage de tailler la quasi-intégralité des financements dévolus aux tiers-lieux. Le projet de budget 2026 prévoit en effet une somme de 0,7 million d’euros contre… 13 millions d’euros votés en 2025 (pour finalement en accorder 7,5 millions). « Supprimer ces soutiens, c’est supprimer ce qu’essaient de faire les citoyens pour pallier les espaces où l’État n’est plus assez présent », déplore Raphaël Étienne. Au terme de tiers-lieu, il préfère d’ailleurs celui de « lieu de liens » : « Liens culturels, liens intergénérationnels… Il faut que les gens refassent des choses ensemble. » Et, dans la tempête qui menace le secteur, le Lieu Tranquille est bien décidé à tenir fermement ce cap. Avec déjà un nouveau projet : la végétalisation de la cour de 600 m² pour l’été 2026.
Infos pratiques : Le Lieu Tranquille, 34, rue Moissan, Noisy-le-Sec (93). Ouvert du lundi au mardi de 10 h à 18 h, du mercredi au jeudi de 10 h à 20 h, le vendredi et le samedi de 10 h à 22 h. Prochain concert de Horndogz (jazz hip-hop) ce vendredi 14 novembre à 20 h. Entrée libre. Accès : gare de Noisy-le-Sec (RER E) ou métro Coteaux Beauclair (ligne 11) puis 20 min de marche. Plus d’infos sur lestranquilles.fr
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14 novembre 2025 - Noisy-le-Sec