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« La trottinette est un enfant mal né »

Trottinettes paris
La Ville de Paris va organiser une votation citoyenne sur l’usage des trottinettes électriques en avril / © Jeanne Menjoulet (Creative commons / Flickr)

Le 2 avril prochain, les Parisiens seront appelés à se prononcer sur l’avenir des trottinettes en libre-service dans la capitale à l'occasion d'une votation citoyenne. Un « enfant mal né » selon Stéphane Schultz, spécialiste des mobilités et fondateur du cabinet de conseil en stratégie 15 marches.

Comment l’usage de la trottinette a-t-il émergé en région parisienne ?

Stéphane Schultz : Il émerge… sur une faille réglementaire ! La trottinette n’a pas d’existence juridique au point qu’initialement elle était censée circuler… sur les trottoirs ! Or il y a toujours un décalage entre l’émergence d’une pratique et la mise en place de textes législatifs pour en définir l’usage. Fin 2018 / début 2019, les opérateurs qui ont observé le succès du vélo en free floating se lancent dans l’aventure de la trottinette. Or il ne s’agit pas d’un service public ni d’une entreprise privée sous contrat comme c’est le cas avec Vélib’ par exemple. Des villes comme Nantes ont choisi de l’interdire tout de suite. À San Francisco, on a misé sur la régulation avec un appel d’offres. En France, la législation évolue pour obliger les trottinettes à circuler sur la chaussée et les autorise à accéder aux pistes cyclables. À l’époque, Paris lance un appel d’offres pour limiter à trois le nombre d’opérateurs et à 15 000 le nombre de trottinettes qu’ils pourront mettre en service. Ce n’est pas un contrat de transport mais une convention d’occupation de l’espace public.  Le sujet est déjà la question du stationnement de ces engins. Puis survient le confinement. Durant cette période, les trottinettes sont peu utilisées, personne ne s’en occupe. Quand l’activité reprend, on réalise que la trottinette est un enfant mal né. Et, en septembre dernier, la mairie de Paris menace de ne pas renouveler, en février, le contrat des trois opérateurs.

Que voulez-vous dire par « enfant mal né » ?

Mal né parce qu’on n’a jamais su ou voulu l’intégrer dans le système de transports publics. Le Vélib’, par exemple, est disponible via le passe Navigo. Mais il faut aussi dire qu’à Paris se pose le problème plus large de la répartition des compétences : la Région s’occupe des transports, la Ville, de la voirie, mais pas toute la voirie… Donc, quand vous rajoutez de nouveaux services, cela a du mal à fonctionner.

La trottinette ne souffre-t-elle pas aussi d’un problème d’image ?

Effectivement. Je pense déjà qu’elle nous questionne sur la capacité des Français à accepter la nouveauté. À mes yeux, la trottinette fait l’objet de critiques démesurées. C’est d’ailleurs souvent le cas en matière d’innovation : le dernier arrivé se prend tout, d’autant qu’il n’est souvent pas très beau, un peu fragile… Comme un bébé, en somme. On parle de sa présence sur les trottoirs. Mais il y a quantité d’engins qui les encombrent : les voitures mal garées, les scooters qui roulent dessus pour échapper à un embouteillage… C’est vrai aussi que la trottinette a l’image d’un transport pour jeunes. On fustige ceux qui montent à deux dessus mais, d’abord, moi je trouve ça assez beau. Et cela révèle que nous manquons en ville d’un moyen de transport qui permette de se déplacer à deux ! Je crois aussi qu’elle est vue, notamment par les cyclistes, comme un mode de transport passif, utilisé par les fainéants. Pourtant on ne critique pas autant les vélos à assistance électrique ni les motos.

Le regard sur la trottinette peut-il changer ?

À mon sens, ce déficit d’image est temporaire. Ne serait-ce que parce que le phénomène ne se limite pas aux flottes de trottinettes en free floating. En 2021, il s’en est vendu 900 000 en France contre moins de 600 000 vélos à assistance électrique. Ce qui représente une augmentation de 42 % par rapport à 2020. C’est un mode de déplacement qu’on ne peut plus négliger. Il convient, par exemple, à des gens qui ne se sentent pas en sécurité dans les transports mais permet aussi d’effectuer le dernier kilomètre avant son lieu de travail ou de résidence.

Dès lors, quel regard portez-vous sur l’initiative d’Anne Hidalgo d’organiser en avril prochain une votation citoyenne sur l’usage des trottinettes en libre-service ?

Il va falloir faire preuve de pédagogie car nous ne sommes pas en Suisse et nous n’avons pas tellement l’habitude de ce type de « votation ». S’il n’y a pas de sensibilisation en amont, la participation pourra être décevante. Par ailleurs, soyons clairs : l’interdiction de la trottinette ne réglera pas la question de la circulation sur les trottoirs à Paris.

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