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« Quand tu mets un mur qui sépare Paris du 93, c’est un geste complètement inédit ! »

Le mur érigé le 27 septembre entre Paris et Pantin pour éviter la circulation des toxicomanes déplacés dans le square de La Villette / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris
Le mur érigé le 27 septembre entre Paris et Pantin pour éviter la circulation des toxicomanes déplacés dans le square de la Villette / © Joséphine Lebard pour Enlarge your Paris

Érigé la semaine dernière entre Paris et Pantin pour entraver la circulation des toxicomanes, un mur met au jour les difficultés qu'ont les pouvoirs publics à gérer la question du crack dans l'Est parisien. Il met également à nu la façon de considérer les banlieues populaires. Journaliste pour Enlarge your Paris, Joséphine Lebard était présente au rassemblement organisé mercredi 29 septembre devant le mur côté Pantin.

Les parpaings ont été posés il y a quelques jours. Mais des mains ont déjà eu le temps d’y taguer « mur de la honte », « 1789-1989 » ou un ironique « merci Darmanin ». En cause : le déplacement des consommateurs de crack de la rue Riquet (19e) vers le square de la Villette (19e). Square auquel on accède, depuis Pantin (Seine-Saint-Denis), via la rue Forceval, petite voie passant sous le périphérique qui vient donc d’être murée. Vendredi 24 septembre, le mur est érigé afin, selon de préfet de police de Paris et le préfet de région, d’assurer la protection des habitants du quartier et d’éviter que les consommateurs ne viennent aux Quatre-Chemins à Pantin. Ce mercredi soir 29 septembre, côté Pantin, un rassemblement était organisé devant le mur, vu par beaucoup comme une véritable mascarade.

D’un point de vue pragmatique d’abord : si la rue Forceval est murée, des voies adjacentes – comme la rue du Chemin-de-Fer – permettent le franchissement du périphérique. « C’est quand même penser que les crackeux sont des idiots, incapables de contourner un mur », grince Léon(1), un riverain. Atef en sait quelque chose. Installé de fraîche date dans le quartier, il se dit « touché directement » par le problème des consommateurs de crack. De son sac, il sort des photos de la façade de son immeuble. Au pied : des cartons, des matelas défoncés et des détritus laissés par les consommateurs. « Je tombe sur eux en train de prendre leurs doses, les effluves montent jusqu’à ma fenêtre alors que j’ai un bébé ! » Il regarde le mur avec désolation. « Pour eux, c’est ça, « la » solution. Le problème, c’est qu’il faut « des » solutions : un cocktail de social et de médical. »

Trouver une solution humaine et pérenne

Doris aussi contemple le mur avec effarement. « Quand tu mets un mur qui sépare Paris du 93, c’est un geste complètement inédit ! Cela dit bien comment le ministre de l’Intérieur considère le département », analyse cette retraitée, Pantinoise depuis 1978. Elle y voit aussi « un acte de plus pour diviser les plus fragiles et mieux régner ». En témoigne cette femme qu’elle a entendue lancer tout à l’heure : « Les crackeux, on n’en veut pas ! » Doris est allée faire un tour du côté du square de la Villette : « Le crack, c’est la drogue des désespérés. Ces gens n’en prennent pas par plaisir, ils doivent être soignés. » Quoique n’habitant pas aux Quatre-Chemins, elle tient à être présente ce soir-là pour montrer que « les Pantinois sont ensemble »

Présent lors de la manifestation, le maire de Pantin, Bertrand Kern, rappelle que l’érection du mur s’est faite « sans aucune concertation, aucune information, aucune participation, sinon la précipitation ». Et de réclamer « une solution pérenne et humaine pour ce problème du crack qui mine l’Est parisien depuis plus de dix ans. Les consommateurs sont des êtres humains en complète détresse à qui il faut proposer un parcours thérapeutique. 60 à 70 % d’entre eux seraient prêts à s’y engager ». L’édile souligne le contexte fragile du quartier des Quatre-Chemins, situé à cheval sur Pantin et Aubervilliers. « Le quartier a besoin de calme. Nous avons eu quelques signes encourageants ces derniers temps. Avec ce qui se passe actuellement, la maire d’Aubervilliers et moi-même avons peur que nos efforts soient réduits à néant. »

Une vision archaïque de la relation Paris-banlieue

Un habitant du quartier et membre du collectif SOS Quatre-Chemins demeure dubitatif. Selon lui, cette crise est « la cerise sur le gâteau de merde qu’on mange depuis plus de vingt ans. On nous dit qu’il faut « soigner les coutures » entre Paris et sa banlieue. Or la rue Forceval est une « super-couture » qui devrait l’être. Elle pourrait être valorisée comme passage en circulation douce… » Pour lui, on ne sort pas d’une vision de la banlieue où Paris exporte ses difficultés, à l’instar, au XIXe siècle, « des industries implantées en banlieue est afin que les fumées ne dérangent pas l’Ouest parisien »

Également membre du collectif SOS Quatre-Chemins, Dominique Gamard s’adresse par micro aux manifestants : « Nous démolirons ensemble ce mur et alors nous ferons une super fête ! » La foule applaudit. Léon, lui, demeure prudent : « On est dans un quartier sociologiquement pauvre. Aujourd’hui, les journalistes sont là. Mais après, ce sont les habitants qui vont devoir se débrouiller tout seuls… »

(1) À la demande de l’interviewé, son prénom a été modifié

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