Société
|

Comment faire le Grand Paris des piétons ?

tour piéton grand paris
Le peloton du Tour piéton du Grand Paris organisé en août dernier par Enlarge your Paris et la Société du Grand Paris / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Avec 40 % des trajets quotidiens, la marche représente le premier mode de déplacement en Île-de-France, devant l'automobile et les transports en commun. Pourtant, le piéton reste encore le parent pauvre des politiques de mobilité. Ce qu'observent régulièrement les journalistes d'Enlarge your Paris, adeptes des randonnées urbaines dans le Grand Paris et qui plaident pour une prise en compte plus grande de la place des piétons.

Vianney Delourme et Renaud Charles, cofondateurs d’Enlarge your Paris

Le triomphe du vélo, observé avec la pandémie et les coronapistes, cache de moins en moins le retour en grâce d’un autre moyen de déplacement universel, vieux comme le monde, mais longtemps mal vu : la marche. Pourtant premier moyen de déplacement en Île-de-France selon l’Enquête Global Transport 2020, la marche à pied a longtemps été invisible dans les statistiques officielles. Pourtant, là aussi, les temps changent, pour ne pas dire que la roue tourne. Si les grèves grand-parisiennes de l’hiver 2019 ont marqué la consécration du vélo, elles ont aussi été le « 1995 » de la marche à pied dans le Grand Paris. Les images d’« embouteillages piétons » aux heures de pointe sur les grands axes de la capitale, aux abords des grandes gares parisiennes et aux portes de Paris symbolisent cette émergence.

Depuis, dans le cadre du déconfinement, le très officiel Cerema, centre d’études et d’expertise lié au ministère de la Transition écologique, a appelé à « dimensionner plus généreusement les espaces dédiés aux piétons » et à « faire de la marche la nouvelle « petite reine » des déplacements ». On a aussi pu lire, dans la presse, des éditoriaux rappelant les vertus de la marche, présentée comme un moyen efficace de lutter contre les effets sanitaires de nos vies ultra-sédentaires ou encore de se déplacer sans produire de CO2. À ces différents aspects, il faut en ajouter un autre, plus social : la marche est gratuite, et donc universelle et démocratique.

« En ville, la signalétique a été pensée pour les voitures, pas pour les piétons »

Tout cela suffit-il à garantir à la marche un avenir radieux ? Ce n’est pas si simple : la signalétique urbaine a été pensée pour les voitures. L’espace public est largement dominé par les automobilistes, qui pourtant ne génèrent que 35 % des déplacements quotidiens en Île-de-France (les marcheurs en génèrent 40 %, et les usagers des transports en commun, seulement 22 %). C’est la vitesse de la voiture qui continue de donner son rythme aux autres déplacements.

Et tous les territoires ne sont pas égaux dans le Grand Paris. Si le cœur métropolitain reste relativement simple d’accès pour les piétons, ce n’est pas le cas de certains espaces marqués par l’héritage industriel du XIXe siècle et celui du tout automobile du XXe siècle. C’est en banlieue que se trouvent toutes les grandes servitudes qui structurent la métropole parisienne. Autoroutes, voies ferrées, aéroports, cimetières, zones logistiques et commerciales, ports, cimenteries, déchetteries, centres d’incinération et de traitement des eaux… coupent la vue, bloquent le passage, contraignent les piétons à des kilomètres de détours, dans un contexte souvent dominé par la circulation automobile et marqué par de nombreux désagréments (bruit, pollution, absence d’arbres pour se protéger de la chaleur, trottoirs étroits, signalétique urbaine exclusivement dédiée aux automobilistes…). Autant de facteurs qui favorisent le sentiment d’insécurité, particulièrement pour les femmes, et qui, dans tous les cas, rendent la marche pénible.

En grande couronne, les trottoirs disparaissent souvent en sortie d’agglomération. Pourquoi si peu de départementales sont-elles bordées de trottoirs lorsqu’elles relient des zones denses distantes de peu de kilomètres ? Parcourir les routes du Grand Paris et d’Île-de-France avec Google Maps à la recherche d’itinéraires piétons est un exercice instructif. À partir de là, on peut se questionner longtemps pour savoir s’il n’y a pas de piétons à cause de l’absence d’aménagements spécifiques ou si l’absence d’aménagements est justifiée par l’absence de piétons !

Ce tour d’horizon serait incomplet s’il ne prenait pas en compte les chemins ruraux, héritage d’une région qui était encore, il y a deux générations, largement agricole. Aujourd’hui prisés le week-end par les joggeurs, les randonneurs et les familles, ils servent en semaine de pistes cyclables, permettant aux habitants de rejoindre les commerces de la commune voisine ou la gare la plus proche sans prendre la voiture. Pourtant, il n’existe aucune carte régionale (ni nationale) de ces chemins ruraux, et nombre d’entre eux disparaissent chaque année, avalés par des lotissements ou détruits par des exploitants agricoles qui ont le droit de les faire disparaître sur simple déclaration en mairie. Or, dans la perspective de la transition climatique et de la « décarbonation » de la mobilité, ces chemins « déjà là » ne représentent-ils pas un atout important ?

« Promouvoir le déplacement des piétons, voire leur retour, nécessite de regarder autrement l’espace urbain et périurbain »

Promouvoir le déplacement des piétons, voire leur retour, nécessite de regarder autrement l’espace urbain et périurbain en faisant baisser la pollution et le bruit, en améliorant la qualité des trottoirs et en les végétalisant pour rendre plus supportables ces étés, voire ces printemps, de plus en plus chauds. Il s’agirait également de sécuriser ou de rendre plus « urbains » certains lieux – avec de l’éclairage, de la signalétique – pour que tous et surtout toutes puissent s’y déplacer sereinement. Pour favoriser les mobilités piétonnes dans le Grand Paris, les difficultés sont nombreuses, mais les impératifs sociaux, économiques et écologiques associés à la marche sont eux aussi d’importance.

Et les opportunités sont là ! Les années 2020 vont voir se développer dans le Grand Paris et en Île-de-France des projets urbains et de transport qui seront autant d’occasions de repenser la place des piétons : construction du réseau du Grand Paris Express avec ses 68 quartiers de gare, prolongement de la ligne E du RER vers Mantes-la-Jolie (Yvelines) et modernisation du réseau régional des transports en commun. Sans oublier les Jeux olympiques de 2024 qui se dérouleront partiellement dans des territoires marqués par ces fractures urbaines si défavorables aux piétons. Une partie de l’héritage de ces Jeux réside peut-être dans les aménagements piétonniers qui seront engagés. En tout cas, il reste une certitude à l’aune de l’épisode pandémique que nous traversons : la révolution piétonne ne fait que commencer ! Et elle pourrait même contribuer à rendre plus résilient le Grand Paris.

Cette tribune a été publiée dans le magazine des Acteurs du Grand Paris à télécharger ici

Lire aussi : « La marche est une compétence qui s’apprend »

Lire aussi : La marche, 1er mode de transport depuis plus de 10 ans dans le Grand Paris

Lire aussi : Guérir les coupures urbaines pour prendre soin des piétons