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Quand les HLM se racontaient en cartes postales

Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), la cité des 3000 / © Collection Renaud Epstein

En 1980, Renaud chantait "Dans mon HLM". Vingt ans après, Renaud Epstein, spécialiste des politiques urbaines et qui enseigne l'urbanisme à Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye, se lançait dans une collection de cartes postales représentant les grands ensembles. Des reliques qu'il partage chaque jour sur Twitter depuis 2014 et dont il nous évoque l'histoire.

Vous collectionnez les cartes postales représentant les grands ensembles de logements construits pendant les Trente Glorieuses dans les périphéries des villes ou dans les villes nouvelles. Comment est née cette collection ?

Renaud Epstein : Depuis de nombreuses années, j’ai accumulé des centaines et des centaines de cartes postales de grands ensembles, mais je ne sais pas exactement combien. A la louche, je dirais que j’en possède entre 1500 et 2000, dont 90% représentent des quartiers français, avec une nette surreprésentation des quartiers franciliens, même si toutes les villes françaises jusqu’aux plus petites ont vu leurs quartiers HLM immortalisés en cartes postales. A l’exception de certains pays de l’ex-bloc soviétique, comme la Tchécoslovaquie et l’Allemagne de l’Est, la production de cartes postales représentant ces nouveaux quartiers construits à partir des années 1950 jusqu’aux années 1970 a été assez réduite dans le reste du monde. Il y a là une double singularité française : la production des grands ensembles d’habitat social y a été particulièrement massive et la production de cartes postales les représentant a été bien plus systématique qu’ailleurs. Cette production, qui s’est étalée sur un quart de siècle, a été faite par des dizaines d’éditeurs et d’imprimeurs dont les marchés étaient le plus souvent locaux ou régionaux. Ce qui se traduit par une grande variété : il y a du noir et blanc, de la couleur, des photographies prises d’avion et d’autres au ras du sol, des plans larges sur le quartier et son environnement et des plans serrés sur un bâtiment ou un équipement… Tout au plus peut-on noter l’absence quasi-systématique de personnages sur les photos. Cette absence fait que nombre de ces cartes laissent une impression étrange, celle de quartiers sans vie à l’atmosphère irréelle. C’est d’autant plus frappant quand on retourne les cartes pour en lire le verso et qu’on se trouve plongé dans le récit des tranches de vies que les résidents de ces quartiers racontent à leurs familles et amis.

Que disent ces cartes postales ?

Mes travaux de recherche portent sur les politiques urbaines, et notamment sur la politique de rénovation urbaine. J’ai pris l’habitude d’acheter des cartes postales des quartiers dans lesquels je faisais des enquêtes dès que j’en trouvais en vente dans les cafés où je travaillais entre mes rendez-vous. Mais je ne me suis vraiment engagé dans la construction d’une collection à partir de 2003, lorsqu’a été lancé le programme national de rénovation urbaine qui a organisé une politique de démolition-reconstruction de grande ampleur de ces grands ensembles. En 2014, je me suis mis à tweeter quotidiennement une de ces cartes (« Un jour, une ZUP, une carte postale »). Le stock que j’avais constitué a vite été épuisé et il m’a fallu organiser un recueil plus systématique, en sillonnant les brocantes, les vide-greniers et désormais les sites de vente en ligne pour le renouveler. Pour moi, ces cartes sont d’abord les traces d’une époque, celle des Trente Glorieuses. Les grands ensembles sont l’incarnation dans le paysage urbain de cette période marquée par un grand mouvement d’urbanisation et de modernisation de la société française. Elles nous rappellent que ces quartiers aujourd’hui dégradés et stigmatisés ont longtemps été associés au progrès et à la promotion sociale. L’autre intérêt de ces cartes, c’est aussi de nous donner à voir la grande diversité des quartiers qu’on tend à regarder comme un tout indifférencié. En regardant ces cartes, on prend la mesure de l’extrême diversité des formes urbaines, des architectures et des environnements dans lesquels s’inscrivent ces quartiers. J’espère qu’en les diffusant, je contribue à déconstruire cette représentation uniforme qui conduit les pouvoirs publics à mener des politiques standardisées, comme si les problèmes des quartiers populaires et les solutions à y apporter pouvaient être les mêmes à Clichy et à Nancy, à Bezons et à Vierzon.

Aubervilliers, résidence du Fort. DR. Collection Renaud Esptein
Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), résidence du Fort / © Collection Renaud Epstein

Cet urbanisme est aujourd’hui très décrié…

L’urbanisme de barres et de tours des ZUP (zones à urbaniser en priorité) n’est clairement plus au goût du jour. En tout cas en France car hors de nos frontières, on assiste plutôt à un retour de hype de l’urbanisme moderne. Cet urbanisme est loin d’être dénué de qualités. Quand on regarde la production immobilière actuelle, notamment celle qui se développe un peu partout dans le Grand Paris, on ne peut qu’être frappé par la pauvreté architecturale de ce qui est train de sortir de terre, et surtout par l’absence de projet urbanistique. On juxtapose des opérations de promotion privée sans cohérence d’ensemble et sans souci des espaces publics. Il en va de même dans le périurbain où s’étalent des nappes infinies de lotissements pavillonnaires à l’obsolescence programmée. Ce qui devrait conduire à relativiser voire réviser notre perception collective très négative des grands ensembles. Car même s’il y a eu dans la période de la construction des ZUP des opérations catastrophiques, dans leur conception comme dans leur réalisation, ce n’est pas la norme. Il y a de nombreux quartiers HLM qui sont bien conçus et qui offrent des logements et des équipements collectifs de qualité pour des millions de ménages qui seraient mal logés si la France n’avait pas construit massivement du logement social dans les années 1960.

Quelles évolutions ont vécu ces grands ensembles ces dernières années ?

Cela fait 25 ans que je sillonne ces quartiers aux quatre coins de la France. Je ne les connais évidemment pas tous mais j’ai pu observer leur évolution. De grandes transformation ont eu lieu au cours ces dernières années avec la rénovation urbaine. Des investissements considérables ont été effectués, qui ont profondément changé l’urbanisme de centaines de quartiers, pour le pire et le meilleur. Mais il y a une constante : la forme des quartiers a changé mais cela ne s’est pas traduit par un changement de leur population. La rénovation urbaine devait apporter de la mixité sociale et sur ce plan, c’est un échec. Faut-il pour autant le regretter ? Au cours des vagues antérieures de rénovation urbaine, lors du Second Empire et dans les années 1960, la démolition des quartiers populaires avait conduit à la relégation de leurs habitants dans de lointaines périphéries. Il en va autrement actuellement. Contrairement à ce que craignaient certains, la politique de démolition-reconstruction n’a pas étendu le front d’une gentrification très excluante dans les cités de banlieue.

Infos pratiques : La série « Un jour, une ZUP, une carte postale » est à retrouver sur Twitter

Drancy (Seine-Saint-Denis), cité Gaston Roulaud / © Collection Renaud Epstein
Bobigny, cité Paul Eluard. DR, collection Renaud Epstein
Bobigny (Seine-Saint-Denis), cité Paul Eluard / © Collection Renaud Epstein
Boulogne - Pont de Sèvres DR. Collection Renaud Esptein
Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) / © Collection Renaud Esptein
La Courneuve, la cité des 4000. DR. Collection Renaud Esptein
La Courneuve (Seine-Saint-Denis), la cité des 4000 / © Collection Renaud Esptein
La Grande Borne à Grigny / © Collection Renaud Epstein
La Grande Borne à Grigny (Essonne) / © Collection Renaud Epstein
Argenteuil / © Collection Renaud Epstein
Argenteuil (Val-d’Oise) / © Collection Renaud Epstein
Thiais - Grands Champs. DR, collection Renaud Epstein
Thiais (Val-de-Marne), les Grands Champs / © Collection Renaud Epstein
La Seine-Saint-Denis. DR, collection Renaud Epstein
La Seine-Saint-Denis / © Collection Renaud Epstein
Clichy-sous-Bois. DR, collection Renaud Epstein
Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) / © Collection Renaud Epstein

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