Société
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La bergerie de la discorde à Bagnolet

La bergerie des Malassis à Bagnolet / © Sylvie Biscioni
La bergerie des Malassis à Bagnolet / © Sylvie Biscioni

Gilles Amar est un pur produit du 93. Après avoir travaillé dans une ferme pédagogique à Toulouse et officié en tant que berger dans les Pyrénées, il est devenu chevrier et jardinier en chef de la bergerie des Malassis à Bagnolet. Un espace qui fait l'objet d'un projet de construction. Alors qu'un rassemblement pour le maintien de la bergerie est prévu dimanche 9 mai, Gilles Amar et Olivier Taravella, premier adjoint au maire, répondent aux questions d'Enlarge your Paris.

Vous avez lancé une pétition sur change.org pour défendre le maintien de votre bergerie dans le quartier des Malassis à Bagnolet. Quel est projet envisagé à la place ?

Gilles Amar : C’est notre troisième pétition depuis 2013. Elle dénonce la volonté réaffirmée de la mairie de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) de construire deux immeubles de sept étages, une nouvelle école, une crèche et un centre de loisirs. Ceci implique de détruire la bergerie pour la reconstruire ailleurs. Or nous sommes aux Malassis depuis dix ans. Nous travaillons en harmonie avec l’école actuelle, nous permettons aux enfants d’être au contact d’arbres, de chèvres, de la pleine terre… On ne veut pas que ce système éco-social soit détruit ! Notre bergerie, c’est une déclaration d’amour à la banlieue. C’est une façon d’occuper l’espace, de défendre des réseaux de solidarité existants. On y réalise au quotidien ce que des politiques appellent de leurs vœux : maintenir le lien social, défendre l’écologie. De ces dix dernières années, je retiens que la poésie a un pouvoir politique. Qu’un lieu comme celui-ci est un révélateur de solidarité.

Pour vous, quel rôle joue l’élevage en ville ?

Les animaux ont toute leur place en ville, comme tout le monde. L’élevage en ville permet de soigner le lien entre les humains, comme entre les humains et les autres êtres vivants. Le développement durable ne consiste pas à parachuter des projets convenus, conventionnels, mais de reconnaître les savoir-faire des habitants et de les valoriser. C’est ce qu’on fait depuis 13 ans avec l’association Sors de terre à travers l’élevage, mais aussi l’entretien des espaces verts, la transmission de nos connaissances aux enfants…

Que reprochez-vous au programme de construction initié par la ville de Bagnolet ?

Il implique d’abattre tous les arbres du site, sans compter les arbustes. La future école aura trois étages et obstruera complètement le paysage. Sans compter que les enfants étudieront les plantes sur le toit. Ce n’est pas là, avec peu de pleine terre et en plein soleil, que les plantes s’épanouissent et que les enfants apprendront dans de bonnes conditions. Surtout, ces deux nouveaux immeubles participeront à la densification de ce quartier populaire au sein duquel la bergerie, ses pâtures, les pelouses de l’école, sont plus que de simples espaces verts. Ce sont des lieux de vie. On doit préserver ce paysage exceptionnel.

Que proposez-vous à la place ?

Une équipe d’architectes bénévoles a travaillé sur un projet alternatif d’école. Des experts étudient en ce moment le coût des travaux qu’il impliquerait. Bien sûr qu’il faut pouvoir accueillir de nouveaux enfants dans de bonnes conditions ! Notre objectif est d’ailleurs de conserver le nombre de places en crèche et de classes promis par la mairie. Le tout sans impacter ni les arbres, ni la bergerie, ni la qualité du sol. La nature en ville, ce n’est pas simplement faire pousser des patates entre quatre planches de bois. C’est préserver ce qui est encore là. On ne va rien lâcher !

Infos pratiques : Bergerie des Malassis, 9 rue Raymond Lefebvre, Bagnolet (93). La pétition pour le maintien de la bergerie est à retrouver sur change.org. Un « rassemblement populaire contre la destruction  de l’îlot de la bergerie des Malassis » est prévu dimanche 9 mai sur la place de la mairie à Bagnolet. Plus d’infos sur Facebook

Dans quel contexte la bergerie a-t-elle été installée dans le quartier des Malassis ?

Olivier Taravella : C’est un projet qui a vu le jour dans le cadre de la reconstruction de l’école Pêche d’or signée en 2009. Le maire de l’époque avait alors permis l’installation temporaire de la bergerie des Malassis, avant que le centre de loisirs, l’école et la crèche ne soient construits ainsi que des immeubles d’habitation.

Le projet a depuis évolué. Quelles ont été les aménagements pris pour tenir compte des revendications des habitants ?

En 2014, de nouvelles concertations ont réduit le nombre de logements neufs. Les travaux ont démarré fin 2016. Les habitants ont aussi souhaité garder la bergerie au sein du quartier, alors qu’elle devait originellement s’installer autre part une fois les travaux achevés. On a donc proposé dans un premier temps un déménagement sur un terrain 100 mètres plus haut dans la rue. Nous sommes tombés d’accord avec l’équipe de la bergerie et la mairie s’est engagée à financer la construction de la nouvelle bergerie pour un montant de 360.000€. Puis un jury a désigné le prestataire pour la reconstruction de l’école Pêche d’Or, du futur centre de loisirs et d’une crèche. C’était en 2018.

Le dialogue semble depuis être difficile entre l’équipe municipale et l’association gestionnaire de la bergerie…

Les choses se sont bloquées à l’été 2019 au moment du lancement de la campagne municipale. Le berger (Gilles Amar, ndlr) a exprimé son intention de ne pas quitter la parcelle. Le maire a alors pris l’engagement que les deux immeubles prévus à la place de l’actuelle école ne soient pas construits. Et on a fait évoluer le projet fin 2020. Nous avons proposé de décaler l’implantation de l’école pour sauvegarder davantage d’arbres, même si certains seront abattus c’est vrai. Surtout, cette configuration permettra à la bergerie d’être de nouveau accolée à la nouvelle école une fois les travaux terminés. Et un espace vert qui n’existe pas actuellement sera également aménagé au fond de la parcelle avec notamment la plantation d’arbres.

En quoi ce projet est-il nécessaire pour le quartier des Malassis ?

Le quartier des Malassis a accueilli beaucoup de nouveaux habitants ces dernières années. Cette nouvelle école et cette nouvelle crèche sont vitales pour soulager la tension démographique. En termes d’ajustements du projet, on a atteint notre limite financière. La ville accuse une perte de recettes de 2 millions d’euros avec l’annulation de la construction de deux bâtiments et un surcoût de 1,8 million d’euros pour financer les études et les travaux complémentaires. La construction de la nouvelle école a déjà plusieurs années de retard mais on espère maintenant qu’elle sera opérationnelle pour la rentrée 2023.

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