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De la ligne 1 en 1900 au Grand Paris Express : une histoire de l’art dans le métro

La station Arts et Métiers sur la ligne 11 imaginée par le duo formé par l'auteur de bande dessinée François Schuitten et l'écrivain Benoît Peeters / © BooHguy (Creative commons - Flickr)
La station Arts et Métiers sur la ligne 11 imaginée par le duo formé par l’auteur de bande dessinée François Schuiten et l’écrivain Benoît Peeters / © BooHguy (Creative commons – Flickr)

De 1990 à 2023, il a été au cœur des espaces de transport de la RATP, par le design et les projets culturels. Désormais tout jeune retraité, Yo Kaminagai a bien voulu prendre le temps de nous faire découvrir un panorama de l'art dans le métro, des entrées Art nouveau conçues par Hector Guimard au début du siècle dernier aux œuvres imaginées par les duos artistes/architectes du Grand Paris Express.

En partenariat avec la Société des grands projets

Avec les entrées Art nouveau imaginées par Hector Guimard il y a plus d’un siècle, ne peut-on pas considérer que, dès les origines, il y a eu de l’art dans le métro parisien ?

Yo Kaminagai : J’établirais une différence entre l’art et l’artistique. En 1900, il n’y a pas d’art dans le métro. En revanche, Guimard y intervient comme « architecte d’art » : c’est l’acte I artistique. L’intention de la CMP, aussi stratégique qu’esthétique, est d’humaniser les entrées de ce nouveau système de transport critiqué dans la presse. Dans certains journaux de l’époque, on peut lire par exemple que les Parisiens n’aimeront pas s’y déplacer comme des taupes. À l’époque, il n’y a pas de télévision, pas de radio. L’entrée du métro est donc un média en soi. Aujourd’hui, il ne reste que 87 entrées Guimard. Il y a eu une grosse déperdition entre les années 30 et 60 où on se souciait assez peu de ce qui est devenu du patrimoine. Ensuite, les grandes voûtes blanches des stations de 75 m de long et 14 m de large créent un nouveau langage architectural, qui constitue l’acte II artistique. Quant à l’acte III, c’est le métro aérien. Haussmann ayant travaillé à embellir la ville pendant 50 ans, il fallait intégrer soigneusement cette infrastructure. D’où le choix de quelque chose de très classique avec des colonnes doriques comme piliers courants.

Quand l’art fait-il alors véritablement irruption dans le métro ?

Le premier recensement qu’on peut établir est celui d’un monument aux morts à la station Richelieu–Drouot dédié aux cheminots disparus durant la Première Guerre mondiale. En marbre noir, il est l’œuvre du sculpteur Carlo Sarrabezolles et a été inauguré en 1931. Mais pour moi, la première vraie manifestation date de 1957, année où la station Franklin D. Roosevelt est complètement rénovée par la Régie publicitaire des transports parisiens (RPTP). Elle est alors présentée comme la plus belle station du monde dans la presse. Mais je dirais que l’art s’installe dans le métro véritablement à partir de 1968. André Malraux est en effet soucieux d’améliorer le métro, en rapprochant l’art de la population. Tout commence par la station Louvre dont la rénovation est de nouveau financée par Métrobus, le nouveau nom de la RPTP. C’est l’architecte Robert Venter qui la repense en s’inspirant du musée avec une double peau en pierre et en y adjoignant des moulages d’œuvres du Louvre. Le RER, dès 1969, possède aussi une épaisseur artistique. Il s’agit, à travers l’architecture de ses gares, de faire la démonstration d’une modernité flamboyante.

La future gare du Grand Paris Express à Villiers - Champigny - Bry-sur-Marne / © Société des grands projets
La future gare du Grand Paris Express à Villiers–Champigny–Bry-sur-Marne / © Société des grands projets

Quelle stratégie la RATP a-t-elle développée concernant la présence de l’art dans les stations ?

Au départ, l’intention est qualitative. Il s’agit d’embellir l’espace. Au fur et à mesure, les choses évoluent. L’unité Management du design a été créée en 1990. Dès 1994, Jean-Paul Bailly, PDG de la RATP qui a une sensibilité artistique demande qu’on intègre de l’art dans la conception de la ligne 14. Il veut une vraie politique culturelle. C’est justement en 1994 que la station de la ligne 11 Arts et Métiers est réaménagée par le duo formé par l’auteur de bande dessinée François Schuiten et l’écrivain Benoît Peeters qui la transforment en sous-marin. Le Conservatoire national des arts et métiers avait organisé un concours de scénographie qu’ils avaient perdu. Mais la directrice de l’époque avait soumis leur projet à la RATP pour en faire une station. Elle est aujourd’hui considérée comme l’une des plus belles du monde. Quant à la ligne 14, il faut admettre qu’au départ l’ambition artistique a généré un flop, malgré la qualité architecturale des espaces livrés. Je pense notamment aux installations artistiques à l’ouverture, en 1998, que les voyageurs ne comprenaient pas. Parce que, dans les transports, les gens ne sont pas là pour ça, ils ne viennent pas pour de l’art. En 2000, pour le Centenaire du métro, outre un concours de scénographie qui a permis de réaliser 9 stations culturelles, deux œuvres d’art marquantes ont été créées : l’entrée Othoniel à Palais Royal–Musée du Louvre, très plébiscitée par les voyageurs parce qu’elle répond aussi à un besoin, car c’est un repère où on peut se donner rendez-vous. Ou encore le travail de Philippe Favier à la station Pyramides : il s’est inspiré des Plans indicateurs lumineux d’itinéraires – les fameux PILI – et en a livré une version onirique avec des textes du poète Jacques Roubaud. Je pense aussi au fameux jardin tropical de 400 m2 à la station Gare de Lyon : c’est un espace de respiration (psychologique) pour le voyageur. Depuis un demi-siècle, au fil du temps, le métro s’est approprié les œuvres d’art.

Vous dites que le voyageur n’est pas dans le métro pour voir de l’art. Mais alors comment faire pour parvenir à le toucher ?

Il existe deux procédés scénographiques. Celui de la scénographie immersive, comme c’est le cas à Arts et Métiers. Le voyageur se trouve alors propulsé dans un autre monde que le métro. On l’invite à être ailleurs, comme c’est aussi le cas dans la station Toledo à Naples qui vous projette dans un décor sous-marin aux multiples nuances de bleu. Sinon, la scénographie peut jouer la carte de l’exposition comme c’est le cas à la station Parmentier qui retrace l’histoire de la pomme de terre. En fait, la relation entre le métro et l’individu est double. Elle joue sur l’expérience mais aussi sur la symbolique : même si je ne regarde pas l’œuvre, je sais qu’elle est là, qu’elle rend l’espace plus hospitalier, plus accueillant.

Une réplique du métro de Paris à Mexico / © Ted McGrath (Creative commons - Flickr)
Une réplique d’une entrée du métro de Paris à Mexico / © Ted McGrath (Creative commons – Flickr)

A-t-on des données sur l’impact des œuvres sur les voyageurs du métro ?

Il y a effectivement eu des études sur le sujet en 1997 et en 2002. En 1997, on ne voyait pas tellement d’impact. En revanche, en 2002 – on se situe alors après la célébration du centenaire du métro –, on note une remontée d’estime très forte. Cela vaudrait la peine, aujourd’hui, de réévaluer l’impression produite par les œuvres sur les voyageurs.

Quel regard portez-vous sur la façon dont le Grand Paris Express a intégré, dès le départ, l’art dans son projet ?

En fait, la Société des grands projets qui porte le Grand Paris Express a imaginé de façon native un lien architecte/artiste en les appelant des « tandems ». Elle a créé une instance avec un comité artistique car elle a dû agir de façon systématique. Cette instance n’existait pas pour le réseau historique. Sinon, que ce soit dans le métro ou dans le Grand Paris Express, il s’agit de toucher le voyageur, de provoquer en lui des émotions qu’on espère positives. La différence est que les gares du Grand Paris Express n’ont pas la même topologie qu’une station de métro classique. Une gare du Grand Paris Express va rayonner de façon plus intense sur son territoire.

Les différentes œuvres qui habilleront les gares du Grand Paris Express ont été dévoilées. Y en a-t-il une qui attire particulièrement votre attention ?

Sur la ligne 14, j’aime beaucoup River of Air de Ned Kahn, installée à la station Maison Blanche. On se trouve avenue d’Italie, à un endroit où le bâti est vertical et, tout à coup, nous sommes face à une structure qui bouge, colorée, comme un arbre dont les feuilles bruissent. Une nouvelle version plus résistante doit être installée, je l’attends impatiemment. Concernant les œuvres sur les autres lignes du GPE, je ne veux pas me prononcer car il faut pouvoir contempler ces œuvres « en vrai », en présence de voyageurs. L’art dans le métro, c’est une expérience qu’on vit au milieu d’inconnus, où ressentir ou exprimer une émotion n’est pas évident : c’est de l’ordre de l’intime dans un espace collectif, ce qui forme une contrainte. Et il me semble que le succès d’une œuvre tient justement à sa capacité à nous faire dépasser un certain seuil émotionnel, pour marquer un moment du voyage urbain qu’on est en train de faire.

La nouvelle station du Grand Paris Express sur la ligne 14 du métro à Saint-Denis - Pleyel / © Archimétro
La nouvelle station du Grand Paris Express sur la ligne 14 du métro à Saint-Denis–Pleyel / © Archimétro

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