Société
|

« On renvoie toujours les banlieusards à leurs manquements »

Le marché de Saint-Denis est le plus grand marché d'Île-de-France / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
Le marché de Saint-Denis / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Nommée depuis la rentrée à la tête de la revue de presse de la matinale de France Inter, Nora Hamadi dresse un portrait de la banlieue parisienne à travers son livre sorti le 17 septembre "La Maison des rêves" où elle évoque son retour à Longjumeau, la ville de son enfance.

Pourquoi écrire ce livre sur votre enfance et votre retour dans la ville de Longjumeau maintenant ? Faut-il y voir un lien avec les vingt ans de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois et avec les révoltes urbaines qui s’en sont suivies ?

Nora Hamadi : C’est la conjonction de plein de choses. Je portais ce projet depuis pas mal de temps et une fenêtre s’est ouverte. Ma collaboration avec Arte s’achevait, j’avais davantage de temps. Et effectivement se profilaient les vingt ans des révoltes de 2005. Cela a aussi été concomitant avec le décès de ma grand-mère et une intime conviction qu’à Longjumeau (Essonne), les choses avaient bougé. le trafic était en hausse, mais je n’avais pas idée d’à quel point. Le déclic est venu du fait que j’avais conscience d’occuper un espace privilégié. Je répète tout le temps que nos récits ne sont pas mineurs, mais singuliers et pluriels. Or je pouvais raconter cette « banlieue des champs ». Car derrière le mot « banlieue », il n’y a pas que Bobigny ou Ivry, mais aussi le bout de la ligne C. Il faut se rappeler que les grands ensembles ne constituent que 30% du parc immobilier des quartiers populaires. Moi j’ai grandi dans des immeubles qui ne dépassaient pas les 4-5 étages et entourés de vert… 

Justement, comment décririez-vous Longjumeau à quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds?

Déjà c’est une commune de 20 000 habitants à 19 km de Paris. Une ville moyenne que certains qualifieraient de ville-dortoir. Une ville qui a finalement toujours été un lieu de passage puisque, auparavant, c’était un relais de poste. Une ville résidentielle, pavillonnaire, où, dans les années 60, des quartiers sortent de terre. Ma voisine Louiza me racontait qu’en 68, elle allait encore faire des courses à la ferme située en face de son bâtiment. Bref, nous sommes dans le périurbain avec aussi des lotissements, des bus à trois chiffres qui passent toutes les 20 minutes. Une banlieue du RER. 

Votre livre a pour titre « La maison des Rêves ». Cette maison, c’est un lieu que vous décrivez dans votre ouvrage et qui accueillait les enfants du quartier pour plein d’activités. Est-ce que choisir cet endroit comme titre est une sorte de métaphore d’un quartier en déliquescence ?

Effectivement. La maison des Rêves, c’est l’allégorie d’un quartier qui a glissé. D’une ville qui a glissé et qui n’est plus l’écrin d’une possible ascension sociale. Mon livre, c’est une histoire de ces lieux qui ont disparu et qui, symboliquement, représentaient quelque chose de plus grand que ce qu’ils sont : la condition d’un horizon ouvert. Ils témoignent du coût de l’abandon, du séparatisme de l’Etat. Et on l’a payé cher cet abandon. Parce que cet écrin n’existe plus et c’est d’une tristesse folle. En ce sens, nous avons une histoire commune avec les territoires ruraux : la gare qui ferme, l’hôpital qui ferme, les structures associatives qui voient leurs moyens diminuer, le trafic qui augmente… C’est une histoire assez universelle finalement. Quand on est dans les périphéries au sens large, on est perdants. 

Et dans votre livre, on a l’impression que vous cherchez les responsables de cet abandon. Mais, qu’au final, il ne saurait y avoir un coupable unique. Que cela résulte plus d’une multiplicité de facteurs… 

J’aurais pu écrire « c’est la faute de Sarkozy, de Hollande… ». Mais, en réalité, il s’agit de renoncements successifs. On pourrait dire que c’est la faute à tout le monde et à personne en fait. C’est comme une petite lèpre qui attaque, avec des moyens qui se tendent et des services publics qui se délitent. Alors que moi, j’ai vraiment grandi dans « la petite cité dans la prairie » ! Donc que s’est-il passé ? Si on envisage la ville comme un corps, je dirais que cela a été un long et lent cancer qui a métastasé dans tous les organes. Prenons par exemple la destruction de la mixité opérée par la loi Boutin qui demandait aux locataires les plus riches de quitter leur logement social alors qu’ils payaient un surloyer. Mais ces personnes avaient fait le choix du vivre-ensemble et du faire ensemble ! En fait, l’histoire de mon quartier, c’est celle d’une Histoire de France par le bas. Qui peut aussi expliquer les tensions électorales et la fatigue démocratique. 

Vous êtes journaliste, vous êtes chargée de la revue de presse dans la matinale de France Inter. Avez-vous le sentiment que le traitement des quartiers populaires a évolué dans les médias en 20 ans ?

Oui et non. L’espace pour les contre-récits s’est élargi. Il y a vingt ans, on ne trouvait que des « espaces autorisés ». Aujourd’hui, c’est plus foisonnant et nuancé. Mais également plus polarisé. Si le traitement médiatique est pluriel, le traitement politique, lui, est monstrueux. On l’a très bien vu après la mort de Nahel en juin 2023 à Nanterre (Hauts-de-Seine). Et puis on constate que la question des quartiers populaires n’est pas à l’agenda. La façon dont le rapport Borloo sur les banlieues qui, quoiqu’on en pense, faisait consensus comme l’a montré l’appel de Grigny, a été lâché. On renvoie toujours les banlieusards à leurs manquements : ce seraient des chômeurs, des assistés… Mais c’est oublier un peu vite qu’on est le fruit d’un contexte économique et celui-ci n’est jamais explicité. C’était important pour moi de replacer cela. J’ai quitté mon quartier mais pas les quartiers. Je vis toujours dans une ville populaire et il est hors de question de quitter les miens. Du haut de mes privilèges, j’ai presque rédigé une sorte de tract factuel où je reviens sur les faits sur ce que je vois, ce que je vis. Pas sur ce qu’on veut bien nous raconter. 

Même si ce n’est pas encore assez satisfaisant, on voit aussi davantage de journalistes issus des quartiers dans les rédactions. Cela favorise aussi la possibilité d’autres récits…

En fait, c’est ambivalent. Car il faut aussi se méfier des autoproclamés porte-paroles de la banlieue qui endossent le discours de la responsabilisation individuelle. Le transfuge de classe qui va faire du storytelling en vous disant « quand on veut, on peut », sans questionner les leviers dont il a bénéficié. Ce discours est dangereux car il empêche de voir là où les services publics sont en retrait. Grâce aux réseaux sociaux, d’autres profils émergent. Mais comment faire se croiser les espaces pour qu’il y ait une forme de piraterie, dans un monde dirigé par les algorithmes ? Moi, j’ai ce privilège de pouvoir parler à un peu tout le monde, de me situer à la croisée des chemins. Et quand on a un micro tendu, cela induit nécessairement de plus grandes responsabilités.

Informations pratiques : La Maison des rêves de Nora Hamadi. Ed. Flammarion. 256p. 21€. En librairie le 17 septembre. Plus d’infos sur flammarion.com

Lire aussi : Entre Paris et la banlieue, un voyage dans la Zone

Lire aussi : Il est temps de sortir de la vision parisiano-centrée de la banlieue

Lire aussi : Au-delà du périph, la culture passe sous les radars des médias