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« La transition écologique commence dans nos assiettes »

Vente de légumes chez V'Île fertile dans le Jardin d'agronomie tropicale à Nogent-sur-Marne / © V'Île fertile
Vente de légumes chez V’Île fertile dans le Jardin d’agronomie tropicale situé dans le bois de Vincennes à Paris / © V’Île fertile

A l'heure où notre alimentation compte pour 28% des émissions de CO2, construire une stratégie alimentaire métropolitaine durable est un enjeu majeur pour le Grand Paris. Ce dont nous parle Daniel Breuiller, vice-président de la Métropole chargé de la nature en ville.

« La métropole sera verte ou sera invivable » écriviez-vous l’an passé dans une tribune au moment du lancement des Rencontres agricoles du Grand Paris qui se sont déroulées de septembre 2019 à juillet 2020… 

Daniel Breuiller : En 1974, le militant écologiste René Dumont a montré lors d’une émission télévisée devenue mythique un verre d’eau « précieuse » en soulignant qu’à la fin du siècle elle manquerait. Cet été, de nombreuses cultures ont souffert de ce manque d’eau et de la sécheresse. Cet été il a fait 43°c à Paris, des écoles ont été fermées, le brevet des collèges repoussé ! Nous avons vécu l’été type dépeint en 2014 par une émission télévisée de vulgarisation pour décrire le dérèglement climatique en 2050. Cette accélération du dérèglement climatique nous impose de construire sans attendre la ville résiliente là où nous sommes en responsabilité. 

Que peut-on faire à l’échelle de nos métropoles face à un sujet aussi global et protéiforme ? 

La terrible déforestation de l’Amazonie pour planter du soja transgénique que nous importons pour nourrir nos bovins nous alerte aussi sur la nécessité d’avoir un regard très large sur le sujet, de relocaliser les sujets environnementaux globaux. Car tout cela commence dans nos assiettes ! C’est un enjeu que nous avons exploré pendant une année avec les Rencontres agricoles du Grand Paris, qui ont rassemblé entre septembre 2018 et juillet 2019, près de 3000 participants lors de 9 conférences et une dizaine d’ateliers organisés dans des tiers lieux et des fermes urbaines métropolitaines. Pour nourrir ces rencontres, un réseau de très haut niveau a été mobilisé réunissant AgroParistech, l’Ecole d’horticulture du Breuil, l’Ecole nationale vétérinaire de Maison-Alfort, l’Ecole nationale de paysage de Versailles, l’Agence régionale de la Biodiversité, la Sorbonne, la Chambre d’agriculture, les Jeunes agriculteurs, le Groupement agriculture biologique, l’Agence française d’agriculture urbaine professionnelle, la Société centrale d’apiculture… Ce sont les meilleurs experts professionnels qui nous ont nourris pendant toute cette année. Sans oublier les acteurs des villes et des territoires, ni les centaines d’habitants rencontrées chaque jour de la Transhumance du Grand Paris, organisée en juillet 2019 avec les Bergers Urbains. Alors à l’issue de cette année de débats, une conviction nous anime : la métropole agricole intéresse ! Et comme les compétences existent partout dans le Grand Paris, tout est possible.  

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L'esplanade des Invalides, point d'arrivée de la Transhumance du Grand Paris le 17 juillet. Avec Bastien Boyer, de la bergerie urbaine de Lyon et Sylvie, bergère bénévole à La Courneuve / © Jérômine Derigny
L’esplanade des Invalides, point d’arrivée de la Transhumance du Grand Paris le 17 juillet 2019. Avec Bastien Boyer, de la bergerie urbaine de Lyon, et Sylvie, bergère bénévole à La Courneuve avec les Bergers Urbains / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Quels enjeux ont été identifiés ? 

Les Rencontres agricoles ont permis d’identifier des enjeux liés à la préservation et à la valorisation de l’agriculture urbaine et périurbaine au sein de la Métropole. L’agriculture urbaine, comme celle de pleine terre, a un rôle important à jouer face au changement climatique par l’absorption des eaux pluviales, la diminution des îlots de chaleur et la préservation de la biodiversité. A l’heure actuelle, notre alimentation compte pour 28% des émissions de CO2 en raison notamment de l’allongement de la distance parcourue par les denrées que nous consommons. On est passés de 110 km en 1930 à 680 km en 2019. Revenir à 110 km peut considérablement réduire notre pollution. Pour cela une seule option, relocaliser partiellement notre production agricole. C’est aussi une question centrale si nous ne voulons pas que la loi EGALIM, votée il y a un an et qui impose 50% de produits biologiques dans nos cantines, ne nous conduise à importer du bio à faible garantie environnementale et à très mauvais bilan carbone. Il faut enfin reconnecter les citadins à la nature et aux saisons dans un contexte où le lien entre paysans et consommateurs s’est considérablement affaibli. L’agriculture urbaine doit permettre de reconstruire ce lien et favoriser ainsi la reconnaissance du travail agricole et la prise en compte de son utilité.

Il faut aussi faire en sorte de préserver les dernières terres agricoles de la métropole…

Le foncier agricole est en effet un enjeu majeur. Des pays comme la Chine acquièrent des terres dans le monde entier et même en France. Nous devons en prendre conscience et regarder notre foncier agricole comme une richesse précieuse, alors qu’il est trop souvent regardé comme une réserve de foncier à bas prix, comme dans le Triangle de Gonesse. Le premier rapport que j’ai présenté aux élus métropolitains il y a 2 ans et demi proposait de reconstituer une ceinture maraîchère, fut-elle en archipel. Les Rencontres agricoles du Grand Paris soulignent cette nécessité, et nous nous y attelons à Rungis, à la Plaine Montjean, dans le plateau Briard, à Saint-Denis et à Stains. La métropole compte encore 102 exploitations agricoles réparties sur environ 2 000 ha, soit 2% du territoire métropolitain. Cela représente une exploitation pour 74 000 consommateurs contre 1 pour 2 360 en Île-de-France et 1 pour 128 en France. Sur ces 2 000 ha agricoles métropolitains, seuls 12% sont dédiés au maraîchage. Il faut protéger, voire augmenter ce capital agricole.

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La Ferme urbaine de Saint-Denis / © Jean-Fabien Leclanche pour Enlarge your Paris
La Ferme urbaine de Saint-Denis / © Jean-Fabien Leclanche pour Enlarge your Paris

De quel pouvoir réglementaire ou financier dispose la Métropole du Grand Paris pour concrétiser ces ambitions ? 

La Métropole, qui a adopté en octobre une délibération de soutien à l’agriculture urbaine, pourra bientôt soutenir l’agriculture grâce au SCOT (schéma de cohérence territoriale) qui est en cours d’élaboration et qui a pour ambition d’imposer dans la métropole un principe de zéro artificialisation nette des terres agricoles et naturelles. Nous sommes en outre déjà en mesure de financer des projets agricoles. L’Agrocité de Gennevilliers a ainsi pu redémarrer notamment grâce a un soutien métropolitain. Et les projets d’urbanisme et d’aménagement lancés dans le cadre du concours « Inventons la métropole du Grand Paris » pourraient permettre à terme de créer 10 hectares d’agriculture urbaine supplémentaires. Enfin, nous pouvons coopérer avec la Région Île-de-France, les départements et les territoires ruraux pour établir une politique alimentaire métropolitaine cohérente. L’agriculture a un passé dans la métropole où elle fournissait au XIXe siècle près de 90% de l’alimentation. On ne retrouvera pas de tels taux mais l’agriculture peut aider à rendre la métropole vraiment durable en faisant évoluer notre alimentation.  

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