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Les fermes s’ouvrent les portes des villes

L'agrocité de Gennevilliers / © AAA
L’agrocité de Gennevilliers / © Atelier d’architecture autogéré

La ville n'est plus le territoire hostile qu'elle était pour l'agriculture. La preuve avec trois exemples de fermes urbaines dans le Grand Paris alors qu'est organisée le 13 février une conférence sur le thème "Peut-on construire la ville agricole ?" à la Maison de l’architecture en Île-de-France dans le 10e arrondissement.

Des fermes en ville. Ce qui n’était jusque-là qu’un oxymore est en passe peut-être de devenir un pléonasme. Depuis quelques années, des projets se créent un peu partout dans le Grand Paris dans des espaces laissés vacants. C’est le cas par exemple du concept d’agrocité de l’Atelier d’architecture autogérée (AAA), des micro-fermes conçues comme des lieux de production mais aussi et surtout comme des lieux de vie en commun. La première a vu le jour à Colombes (Hauts-de-Seine) il y a 5 ans. Après qu’elle a été obligée de fermer ses portes, une autre s’est ouverte à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) en 2017 et une nouvelle est en cours de construction à  Bagneux (Hauts-de-Seine). “Le jardinage s’est imposé naturellement par sa capacité à rassembler des gens de tous horizons. Pour nous, c’est une porte d’entrée sur de nombreux bénéfices : le bonheur simple du partage, une meilleure santé, une reconnexion avec la nature et la valorisation des circuits courts. Des débats, des ateliers, des projections animent aussi le lieu, mais jardiner ensemble reste le premier levier fédérateur”, explique Constantin Petcou, fondateur de l’AAA. 

Chaque agrocité se construit en s’appuyant sur les envies des habitants. “A Colombes nous avions des ruches tandis qu’ici à Gennevilliers nous allons plutôt lancé une champignonnière. Tout se décide en assemblées générales. C’est cette liberté de se concerter et de décider ensemble qui rend le projet si collectif et qui lui permet de perdurer”, détaille Constantin Petcou. Même philosophie à la Ferme du Rail, qui ouvrira cet été le long de la petite ceinture dans le 19ème arrondissement. Lauréate de l’appel à projets “Réinventer Paris !”, lancé par la Mairie de Paris en 2016, elle se situe sur un écrin sauvage insoupçonné de la rue de l’Ourcq et qui s’étend sur 1300 m². A l’origine du projet, on trouve les adhérents des jardins partagés et des Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) du quartier ayant fait le choix de se regrouper. En plus d’un potager en permaculture, la ferme abritera un verger ainsi qu’une serre et intégrera un centre d’hébergement et de réinsertion sociale de 15 logements de même qu’une résidence sociale étudiante qui accueillera les élèves de l’école d’horticulture du Breuil

La future Ferme du rail dans le 19e / © Grand Huit
La future Ferme du rail dans le 19e / © Grand Huit

L’agriculture urbaine revêt une dimension sociale

“L‘architecte doit, plus que jamais, répondre à de grands enjeux sociétaux. Notre projet est donc pensé comme un laboratoire à petite échelle où sont intrinsèquement liés l’environnemental et le social”, confie Clara Simay, architecte et membre de l’équipe de maîtrise d’oeuvre. La dimension sociale est ici loin d’être anecdotique puisque le projet emploie environ 35% de salariés en insertion. Et comme le rappelle l’architecte Augustin Rosenstiehl, commissaire de l’exposition Capital Agricole au Pavillon de l’Arsenal (4e), le fait d’assurer une production locale en région parisienne n’est pas une utopie moderne. “En 1891, 80% de ce qui est vendu aux Halles de Paris provient de l’agriculture francilienne. En 1930, le pourcentage était encore de 60%. » Or aujourd’hui, le Grand Paris frôle à peine les 2% d’autosuffisance alimentaire.

Militante écologique, Sarah Msika a beaucoup voyagé à la découverte d’initiatives innovantes à travers le monde. “En échangeant avec de grands chefs, j’ai réalisé qu’ils ne parvenaient pas à se fournir localement pour des produits nécessitant une ultra-fraîcheur”. Lorsqu’elle crée la société Cultivate avec Sidney Delourme, ancien consultant en développement durable, l’objectif est de monter des projets urbains qui permettent de développer les circuits courts. Avec le site Chapelle International (18e), qu’ils ont remporté dans le cadre du concours Parisculteurs, ils vont se retrouver à la tête de la plus grande ferme urbaine d’Europe, d’une superficie de 7000 m² et pouvant produire près de 50 tonnes chaque année. Déployée sur le toit d’un hôtel logistique, elle se composera d’un potager de 1200 m², d’une serre hydroponique de 1500 m², d’une cantine végétarienne, d’une épicerie locavore et servira de théâtre à de nombreux événements publics dédiés aux façons de se nourrir autrement. 

“La France est novatrice en matière d’agriculture en ville et la Direction des espaces verts de Paris nous sollicite régulièrement pour présenter le projet à des délégations étrangères. Nous sommes ravis de contribuer à notre petite échelle à la transition en cours. En revanche, sur la logique locavore, nous sommes très en retard. De nombreux supermarchés américains regorgent depuis longtemps de produits cultivés par des exploitations urbaines locales”, regrette Sarah Msika. Une partie de la production de la ferme sera vendue directement chez Franprix, le plus grand réseau de distribution de proximité de Paris. Sarah précise avoir choisi Franprix en raison notamment des efforts de la chaîne pour retirer des produits conventionnels jugés trop néfastes et favoriser la logistique propre.

Le site de Chapelle international dans le 18e qui accueillera la plus grande ferme urbaine d'Europe / © Cultivate
Le site de Chapelle International dans le 18e qui accueillera la plus grande ferme urbaine d’Europe / © Cultivate

Des projets en mesure d’accélérer la transition écologique

Mais avant de faire pousser les premiers légumes, la difficulté consiste à convaincre des financeurs, surtout lorsqu’il s’agit d’occupations temporaires. Ce que confirme Clara Simay de la Ferme du Rail. “Nous ne possédons pas de grandes surfaces cultivables comme à Détroit puisque la spéculation foncière parisienne est très forte. Les activités annexes à la production sont essentielles pour ancrer durablement ce type de projets en ville car nous ne pouvons pas être sous perfusion de subventions.”

Pour Constantin Petcou, ce n’est qu’en mobilisant les compétences des citoyens, avec l’appui des architectes, des urbanistes et des ingénieurs, que l’on sera en mesure d’accélérer la transition écologique. En 5 ans passés à Colombes, l’AAA a prouvé que le modèle de l’agrocité était vertueux. Pour un investissement de 300.000€, près d’un million d’euros de bénéfices annuels ont été enregistrés. “L’agrocité montre qu’un autre mode de vie est possible et accessible à tous, loin du négativisme ambiant. Chaque citoyen a des compétences à partager et moi, en tant qu’architecte, je me sens d’autant plus responsable de porter ce type de projets ”. La ville se révèle plus fertile qu’il n’y paraît. 

«Peut-on construire la ville agricole ?», conférence le 13 février de 18h à 21h à la Maison de l’architecture en Île-de-France, 148 rue du Faubourg Saint-Martin, Paris (10e). Cette conférence est organisée dans le cadre des Rencontres agricoles du Grand Paris organisées jusqu’en juillet par Enlarge your Paris en partenariat avec la Métropole du Grand Paris. 

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